Je ne puis trouver la paix et je n’ai pas de quoi faire la guerre ; et je crains et j’espère ; et je brûle et je suis de glace ; et je m’envole au-dessus du ciel et je rampe sur la terre ; et je ne saisis rien et j’embrasse le monde entier.
Quelqu’un m’a mis dans une prison qu’il ne m’ouvre, ni ne me ferme, et sans me retenir pour sien, il ne détache pas mes liens ; et Amour ne me tue ni ne m’ôte mes fers ; et il ne me veut pas vivant, et il ne me tire pas d’embarras.
Je vois sans yeux ; et je n’ai pas de langue et je crie ; et je désire mourir, et je demande secours ; et je me hais moi-même, et je chéris autrui :
Je me repais de douleur ; je ris en pleurant ; la vie et la mort me déplaisent également. Voilà Madame, l’état, où vous me réduisez.
Poésies
de Pétrarque, traduction complète
par le Comte Ferdinand de Gramont, Paris, 1842, sonnet CIV,
p. 101
(traduction republiée chez Gallimard,
révisée par Jean-Michel Gardair, dans la
collection « Poésie »
en 1983).
Des contradictions légitimes en poésie
…il est besoin de savoir qu’il y a des contradictions qui sont du tout bonnes et légitimes en Poésie, et c’est lorsque de propos délibéré on propose des choses impossibles, l’une à l’autre, comme on peut le voir en cette Stance qui est d’un ancien Poète Italien,
Son muto e parlo, è quando
piango io rido,
Son ciecco ; veggio, palpo e non ho senso,
Son sordo e sento, e tacio, e sempre grido,
Son privo d’intellecto e sempre penso:
Ognun me inganna e de nessun mi fido,
Nessun m’apprezza, e da ciascun hol censo,
Liber son yo e son prigion d’ognuno,
A tutti servo e non servo à nessuno.
Pétrarque a fait aussi un Sonnet aux Amours de Laure, duquel les quatre premiers vers sont ainsi,
Amor mi
sprona in un tempo, e affrena,
Assecura e spaventa, arde, e agghiaccia:
Gradisce e sdegna, à se mi chiama e scaccia,
Hor mi tene in speranza e hor in pena.
Ronsard a imité ce Sonnet au XIIe des Amours de Cassandre, duquel en voici le premier quatrain,
J’espère
et crains, je me tais et supplie,
Or je suis glace et ores un feu chaud:
J’admire tout et de rien ne me chaud,
Je me délace et puis je me relie.
Mais Desportes l’a mieux imité au XXVIIe Sonnet des Amours d’Hippolyte : il est admirable entre les plus beaux que l’on saurait jamais faire, et à cette occasion je l’ai mis ici,
Amour en même instant m’aiguillonne et m’arrête,
M’assure
et me fait peur, m’ard et me va glaçant:
Me pourchasse et me fuit, me rend faible et puissant,
Me fait victorieux et marche sur ma tête.
Ore bas, ore haut, jouet de la tempête,
Il va comme il lui plaît mon
navire élançant:
Je pense être échappé quand je suis
périssant,
Et quand j’ai tout perdu je chante ma conquête.
De ce qui plus me plaît je reçois déplaisir,
Voulant trouver mon cœur
j’égare mon désir,
J’adore une beauté qui m’est toute
contraire.
Je m’empêtre aux filets dont je me veux garder,
Et voyant en mon mal ce qui me peut
aider,
Las ! je l’approuve assez mais je ne le puis faire.
Toutefois il est vrai que ces propos de contrariétés ont plus de grâce lorsqu’ils sont opposés par des raisons que l’on appelle correction, comme quand l’on dit, Je chante mes amours mais plutôt vos beautés. Ô beaux yeux ! mais bien vrais Soleils.