Cesser, chère Nourrice ?
avant les luisants jours
Deviendront noires nuits, et les célestes cours
On verra se changer : avant des eaux la course
On verra roidement retourner vers sa source :
{…]
Avant tout l’univers son ordre changera,
Et ce qui est possible, impossible sera,
Que j’oublie le tort et la cruelle injure
De Créon, Roi cruel,
et de Jason parjure.
La Péruse, La Médée, 1555.
Prédire en les accumulant des impossibilia (du latin) ou des adynata (du grec – sing. adynaton), c’est-à-dire des bouleversements inconcevables dans l’ordre cosmique ou naturel, en préambule du serment de rester constant dans la foi amoureuse, ou la foi religieuse, voire dans la haine contre un méchant, est une figure à laquelle il est peu de poètes du seizième siècle qui ne se soient essayés.
Dans la liste ci-contre, les poèmes marqués "s.p." (sans préambule) sont les poèmes dans lesquels le motif des impossibles concourt directement au propos du poème (pour développer le topos du retour de l’âge d’or, par exemple), ou est employé en supplément du propos, quand dans tous les autres il l’est en préambule.
Recension, par Pierre BOYANCÉ,
dans la Revue des Études
anciennes,
Bordeaux, Janvier-Mars 1937, p. 281 [gallica,
NUMM-69273, PDF_289], de l’ouvrage
d’E. Dutoit sur l’adynaton :
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Ernest Dutoit, Le thème de l’« adynaton » dans la poésie antique. Paris, les Belles Lettres, 1936, 1 vol. in-8°, xiv-177 pages.
« On verra les cerfs agiles paître dans l’éther et les mers abandonner les poissons à nu sur le rivage : on verra, après avoir dans leur exil parcouru les terres les uns des autres, les Parthes boire l’eau de la Saône, ou la Germanie boire celle du Tigre, avant que les traits de ce héros s’effacent de notre cœur » (trad. Goelzer). Chacun connaît ces vers de Virgile. On y voit employé un procédé d’expression que M. Dutoit déclare n’être pas une figure de rhétorique à proprement parler, « mais bien plutôt… une forme de langage qui ne se laisse heureusement pas réduire à la notion d’un pur σχημα et qui est quelque chose de plus vivant, de plus varié… ». C’est « le thème de l’adynaton ».
M. Dutoit en suit l’histoire à travers la poésie grecque, puis à travers la poésie latine. Une série d’exemples sont étudiés avec une finesse exacte, qui ne recule pas devant la discussion des sens controversés et qui contribue ainsi heureusement à l’exégèse des passages que la discussion utilise. Et le séjour n’est point sans agrément, en la compagnie de ce guide, dans ce « monde renversé » de l’adynaton.
On constate que la poésie grecque a fait du thème un usage à la fois très restreint et très varié ; il a son origine dans le parler populaire et il reste en Grèce une forme du langage vivant. À Rome, on assiste à une évolution : alors que chez Plaute il revêt une forme très naturelle, l’époque classique lui fait subir une élaboration littéraire très sensible. Ovide aura « le privilège assurément peu enviable d’être le poète de l’adynaton ». […]
« à
certains endroits, le cours du fleuve
Mississippi s’est même
partiellement
inversé »
Perrine Mouterde, « La Louisiane
frappée par l’ouragan
Ida »,
Le Monde, mardi 31 août 2021.
« Tant
qu’il restera sur cette Terre un seul homme vaquant
à autre chose qu’à la lecture de son
nouveau livre, il sera mécontent.
Tant que les fleurs, brusquant le cours de
l’évolution, ne se doteront pas de deux
yeux ardents pour le lire, tant que les feuilles des arbres ne seront
pas ses pages, il sera vert. Tant que le perroquet ne
récitera pas ses poèmes, tant
que le ruisseau ne murmurera pas
ses mots et que la carpe, sortant de ce mutisme vexant, ne les
clamera pas à son tour de rive en rive, il
s’estimera floué,
incompris, mal-aimé, injustement
traité, honteusement
mésestimé.
L’écrivain serait-il cet
éternel insatisfait ? Il
s’en trouve, on en connaît. »
Eric Chevillard, « Tristesse de
l’invendu »,
Le Monde, vendredi 14 octobre 2016.