Ce m’est sucre
le deuil : la joie
ce m’est suie.
À Jean Antoine de Baïf.
Bravime
esprit
sur tous excellentime,
Qui méprisant ces vanimes
abois
As entonné d’une hautime
voix
De savantieurs la trompe
bruyantime.
De tes doux
vers le
style
coulantime,
Tant estimé par les doctieurs François,
Justimement ordonne que tu sois,
Pour ton savoir, à tous révérendime.
Nul mieux de toi gentillime
Poète,
Heur que chacun grandimement souhaite,
Façonne un vers
doucimement naïf :
Et nul de toi hardieurement en
France
Va déchassant l’indoctime
ignorance,
Docte doctieur et doctime Baïf.
Joachim Du
Bellay,
Les Œuvres françaises,
Paris, Federic Morel, 1569,
Divers jeux rustiques
augmentés de plusieurs poésies,
f° 80v°
[Gallica, NUMM-70132, PDF_1043]
(texte modernisé).
Jean-Antoine de Baïf était mort environ quatre ans avant Jean de Sponde. Il était fils de Lazare de Baïf qui fut successivement Ambassadeur à Venise, Conseiller au Parlement de Paris, Ambassadeur en Allemagne, Maître des Requêtes, et abbé de Grenetière et de Charroux. Ce fut pendant son Ambassade à Venise, dont il fut chargé en 1531 et qui dura trois ans, qu’étant devenu amoureux d’une Demoiselle de condition, il en eut Jean-Antoine de Baïf, qu’il fit ensuite légitimer. Lazare était un Magistrat fort savant pour son temps ; il était disciple de Budé, et avait été exprès à Rome pour y étudier le Grec sous Musurus, de l’Île de Candie. Connaissant ainsi par lui-même le prix des sciences, il voulut que son fils y fût formé de bonne heure ; dans cette vue il le fit transporter en France peu de temps après sa naissance.
Moi chétif, enfantelet tendre,
dit Baïf dans sa Contre-Étrenne à Nicolas Vergèce [PDF_259],
Ce crois-je, encore
emmaillotté,
En des paniers je fus ôté.…
Hors la maternelle cité, &c.
Et dès qu’il fut sorti de l’enfance, on lui donna les meilleurs maîtres. [R]
Baïf nomme lui-même ces maîtres, et les nomme tous avec reconnaissance et avec éloge. Charles Étienne et Bonamy commencèrent à lui donner les principes de la langue Latine, et Nicolas Vergèce Grec de nation, ceux de la langue Grecque. En 1539 son père étant nommé ambassadeur en Allemagne, et emmenant avec lui Charles Étienne et Ronsard, laissa son fils sous la conduite de Tussanus, ou Tussan, qui élevait dans sa propre maison un nombre de jeunes gens de famille qu’on lui avait envoyés de diverses Provinces de France. Là, dit Baïf, en parlant au Roi,
Là les de Beaune
étaient, qui leur belle nature
Y ployèrent un temps sous bonne nourriture,
Pour être quelque jour vos loyaux Conseillers,
Faits Évêques tous deux, et tous deux
Chanceliers,
L’un du Duc d’Alençon, l’autre
de votre mère.
Là venait Robertet, qui votre
Secrétaire
Sieur du Fresne mourut, &c.
Il y avait des Parisiens, des Poitevins, des Normands, des Tourangeaux, des Champenois ; ce qui fait dire encore à Baïf,
Là quatre ans je passai,
façonnant mon ramage
De Grec et de Latin ; et de divers langages,
Picard, Parisien, Tourangeau, Poitevin,
Normand, et Champenois, mêlai mon Angevin.
De cette école, Baïf passa en celle de Jean Dorat, sous qui il étudia principalement l’art poétique, et commença à faire des vers tant Latins que Français. [R]
Cette bonne éducation fut continuée tant que vécut Lazare de Baïf, c’est à dire, jusqu’à environ la quinzième année de son fils. Mais soit que Lazare fût peu riche, soit qu’il n’eût laissé à son fils qu’une pension très médiocre, sa mort laissa celui-ci dans une situation si peu commode, qu’il se vit souvent obligé de recourir à la générosité de ses amis. Voici encore de quelle manière il s’en explique dans sa Contre-Étrenne à Vergèce.
Depuis, avoué de la France,
Mon aimé pays paternel,
Par quinze ans d’heur continuel
J’accompagnai ma douce enfance.
Mais dès que mon père mourut,
L’orage sur mon chef courut :
Pauvreté mes épaules presse,
Me foule, et jamais ne me laisse, &c.
Il répète les mêmes plaintes en vingt endroits de ses poésies ; quelquefois avec amertume, souvent aussi en Philosophe qui sait prendre son parti. Mais dans plusieurs autres, comme dans l’Épître à son livre, il avoue qu’il avait reçu plusieurs gratifications des Princes et des Grands, et en particulier de Charles IX auprès duquel son mérite et son nom ne tardèrent pas à l’introduire, et qui le fit l’un des Secrétaires de sa Chambre. Il trouva aussi les facilités de faire au moins deux voyages en Italie, dans l’un desquels il se transporta exprès à Venise pour y visiter le lieu de sa naissance, ainsi qu’il l’écrit au chevalier Bonet. Dans une requête qu’il adressa à MM. les Prévôts & Échevins de Paris, pour être exempté d’aller à la garde & au guet, comme on voulait l’y obliger, il dit qu’il était Clerc tonsuré, mais qu’il n’avait ni rente, ni office, ni aucun bénéfice, et qu’il était libre de tout engagement, n’étant ni veuf, ni marié. Baïf demeurait alors dans un Faubourg de Paris. [R]
La Cléricature ne l’empêcha point de faire l’amour. On voit par ses poésies qu’il eut plusieurs maîtresses. Dans le premier de ses deux livres des Amours de Méline, il dit qu’il n’avait pas encore 21 ans, lorsqu’il fit entendre à cette belle ses accents langoureux :
J’allai chantant sur les rives
de Seine
Lorsque neuf mois je comptais sur vingt ans.
Il sentait cependant tout le frivole de cette occupation, puisqu’il dit à Muret :
Mais quand viendra,
qu’oubliant avec l’âge,
Comme tu fais, cette étude trop vaine,…
J’employe mieux mon esprit et mon temps
Mais cette sagesse ne vint pas encore sitôt, comme on le voit par ses quatre livres des Amours de Francine, et ses trois livres des Diverses Amours, dont le troisième est rempli d’obscénités. Il était à Poitiers lorsqu’il chanta sa Francine, et avait alors 22 ans. Dans ses Diverses Amours, il se donne pour plus âgé, puisqu’il convient que sa passion le tyrannisait depuis plus de cinq ans. Il prétend qu’il ne jeta sur le papier tant de Sonnets, de Chansons, d’Odes, d’Élégies, et autres espèces de poésie, qui toutes roulent sur ce même objet, que pour se décharger l’esprit des pensées dont sa passion ne cessait de l’accabler, et qu’il y trouvait quelque remède. On croira bien plutôt que cette voie était plus propre à allumer le feu qu’à l’éteindre. [R]
Du Verdier, dans sa Bibliothèque, prétend que ce fut Baïf qui le premier introduisit l’usage de cette poésie Française, mesurée à la manière des vers Grecs et Latins, dont on trouve en effet plusieurs pièces dans ses œuvres poétiques. Mais Nicolas Rapin s’en attribue l’honneur dans une Ode Saphique, imprimée avec les poésies de Scévole de Sainte-Marthe, où il dit :
Sainte-Marthe,
enfin je me suis avancé
Sur le train des vieux, et premier
commencé
Par nouveaux sentiers m’approchant de bien près
Au mode des Grecs.
Sainte-Marthe lui-même semble ôter cette gloire à Baïf, si une invention si bizarre et si ridicule était un sujet de gloire, dans cette strophe d’une pièce adressée à Nicolas Rapin :
Un Baïf le plus Savant
Des Poètes de notre âge,
Embrassa ce bel ouvrage,
Qu’il voulut mettre en avant.
Mais s’il eut l’Âme battante
Pour l’avoir bien entrepris,
Il ne l’eut pas assez constante
Pour en montrer les écrits
J’avoue néanmoins que cet endroit est obscur, et il est certain que nous avons beaucoup de pièces de Baïf en vers mesurés, et même plusieurs traductions de Poètes Grecs. Pasquier, dans ses Recherches, attribue cette même invention à Jodelle. Quoi qu’il en soit, loin d’immortaliser son inventeur et ceux qui l’ont imité, elle n’a fait que prouver le mauvais goût du siècle qui l’a vu naître, et celui de ceux qui lui ont donné le jour, ou qui l’ont favorisée. [R]
À cet amour pour les vers mesurés, Baïf joignit celui de la musique, et cet amour lui fit naître la pensée d’établir dans Paris une Académie où l’on cultiverait l’un et l’autre. Il eut pour adjoint dans cette entreprise Joachim-Thibault de Courville, musicien, qui de concert avec lui, en parla au Roi. Tous deux présentèrent à Charles IX le plan de cette Académie, avec les statuts et règlements qu’ils se proposaient d’y faire observer. Le Roi applaudissant à leurs vues, leur accorda des Lettres Patentes, au mois de novembre 1570, par lesquelles sa Majesté donnait aux entrepreneurs la permission de choisir dix associés, six desquels, est-il dit, jouiront des privilèges, franchises & libertés dont jouissent nos autres domestiques ; & afin, ajoute le Roi, que ladite Académie soit suivie & honorée des plus Grands, nous avons libéralement accepté, & acceptons le surnom de Protecteur & premier Auditeur d’icelle. [R]
Ces Lettres envoyées au Parlement pour y être vérifiées et enregistrées, souffrirent quelques difficultés. On craignit que cette Académie ne fût une occasion de nuire aux bonnes mœurs ; ce qui obligea les deux entrepreneurs de présenter requête au Parlement, tendante à ce qu’il plût à la Cour de députer à la première assemblée de l’Académie quelques Magistrats, pour se trouver à une épreuve de la poésie & musique dont est question, & en faire le rapport à la Cour. Par la même requête il est demandé que le premier Président, et tel des plus anciens Conseillers qu’on voudra nommer, avec le Procureur Général, et l’un des deux Avocats du Roi, veuillent bien accepter d’être de nom & de fait réformateur de l’Académie, pour avoir l’œil à ce que rien ne s’y fasse qui soit contre les lois & bonnes mœurs. Sur l’examen de ces Lettres Patentes et Requêtes, la Cour donna le 15 Décembre 1570 ses conclusions, par lesquelles il est dit, qu’avant de procéder à la vérification desdites Lettres, & entérinement de Requête, elle ordonne que tant lesdites Lettres que Requêtes seront communiquées aux Recteurs & suppôts de l’Université de Paris, pour, eux ouïs, en ordonner. [R]
En conséquence, Baïf comparut dans une assemblée de l’Université, tenue le 30 Décembre de la même année, et fit supplique pour obtenir l’érection de son Académie. Lecture faite des pièces, on demanda qu’elles fussent communiquées aux différentes facultés qui forment le Corps de l’Université, et que l’on s’informerait de Baïf s’il voulait se séparer de l’Université, ou se soumettre à ses lois. Je n’ai point trouvé la réponse de Baïf dans l’ouvrage de Du Boulay. Le 13 Janvier 1571, l’affaire mise de nouveau en délibération, le Recteur exposa qu’il en avait communiqué avec l’Évêque de Paris, qui avait promis de se joindre à l’Université, si elle donnait de bonnes et valables raisons contre l’érection de cette Académie ; surquoi il fut ordonné que chaque faculté examinerait cette affaire à charge et à décharge ; et le 15 février chacune donna son avis par écrit. Mais le Roi termina cette longue discussion, en ordonnant que cette Académie aurait lieu. Henri III n’eut pas moins d’affection que Charles IX pour cette Compagnie naissante : mais elle fut bientôt dérangée par les guerres civiles ; et la mort de Baïf, arrivée en 1591, acheva de mettre en déroute sa petite société académique. [R]
J’ai tiré les faits que je viens de rapporter, des poésies même de Baïf, et de l’Histoire de l’Université de Paris par Du Boulay. Les Poésies de Baïf sont en grand nombre ; ce fut le Poète le plus fécond de son temps ; il rima dès sa première jeunesse, comme il le dit dans une pièce à Jean Dorat, qui est à la fin du troisième livre de ses poèmes, et la passion qu’il eut pour les Muses lui fit négliger presque toutes les occasions qui se présentèrent de s’avancer dans le monde. [R]
Dès 1573 Baïf rassembla la plus grande partie de ses poésies, et les publia en deux volumes in-8°. Le premier, sous le titre d’Euvres en rime, outre une Épître en vers au Roi Charles IX [PDF_4], qui contient une partie de la vie de Lazare de Baïf, son père, et de la sienne, renferme 1° Le premier des Météores, dédié à la Reine Mère Catherine de Médicis : c’est une espèce de traité de Physique et d’Astronomie, où il y a quelques opinions populaires, et en général beaucoup d’obscurité [PDF_22]. 2° Présages d’Orpheus sur les tremblements de terre, à Jean de Belot [PDF_59] : ce poème, et le premier livre des Météores avaient déjà paru en 1567 in-4° et dans cette édition, on lit du même des vers au peuple Français, Du Roi étant à Paris le premier de l’an 1567 ; une Élégie à la France, par Jodelle ; et un Sonnet de Philippe de Hotman. 3° Vie des Champs [PDF_62]. 4° Le Laurier, à M. de Fizes, Secrétaire d’État [PDF_70]. Voilà ce qui compose ce premier volume, le premier livre des poèmes. [R]
Le second livre commence par une Épître à M. de Gondy, Comte de Retz [PDF_86]. Ensuite on trouve 1° L’Hippocrène, en vers baïfins, c’est-à-dire, en assez mauvaise prose mesurée et rimée [PDF_91]. 2° Les Muses à M. Belot. Baïf y fait, mais d’une manière obscure, prolixe et confuse, l’éloge de la poésie, et ceux de Virgile et de Mécenas, et y enchasse celui de Jean Brinon qui était mort [PDF_104]. 3° Du Ménil la belle Agnès Sorelle, au Seigneur de Sorel : c’est la louange de la terre du Mesnil, qu’on nommait aussi la belle Agnès, parce qu’Agnès Sorelle, Maîtresse de Charles IX dont le Poète, peu scrupuleux, fait aussi l’éloge, avait possédé cette terre [PDF_129]. 4° Épître au Roi [PDF_133]. 5° Ambassade de Vénus, au Seigneur du Val de Mondreville ; c’est une traduction ou imitation d’une pièce de Bembe [PDF_135]. [R]
La première pièce du troisième livre des poèmes est fort longue. C’est une invective des plus violentes contre quelqu’un qui avait attaqué la réputation de l’Auteur [PDF_148]. Il y a longtemps que les Poètes ont montré leur extrême sensibilité ; souvent plus dignes de reproches que les autres écrivains, il y en a bien peu qui souffrent patiemment la censure. La seconde pièce a pour titre, Amymone, à Pierre de Ronsard ; c’est une pièce galante [PDF_171]. La troisième, Remontrance sur la prise de Calais & Guine [PDF_195]. Les autres pièces sont peu importantes. La dernière est à Dorat [PDF_210], à qui Baïf dit :
À peine étant
hors du berceau
Je ne tairai qu’en mon enfance,
Au bord du Chevalin ruisseau
J’allai voir des Muses la Danse,
Par toi, leur saint Prêtre, conduit
Pour être à leurs Fêtes
instruit.…
Toujours franc depuis j’ai vécu
De l’ambition populaire,
Et dans moi s’est tapi vaincu
Tout ce qui dompte le vulgaire :
Et constant, auprès de leur bien
Je n’ai depuis estimé rien.
Les pièces du quatrième livre, sont : Le Mûrier, ou la Fable de Pyrame & Thisbé, à Claude-Catherine de Clermont, comtesse de Retz [PDF_214] ; Hélène, à Hélène Bone de la Tour [PDF_235] ; Cartel des Tenants pour Amour [PDF_240] ; Cartel des Assaillants contre Amour [PDF_243] ; Salmaci, encore sur l’amour [PDF_244] ; la Contre-Étrenne, à Nicolas Vergèce, dont j’ai fait usage [PDF_258] ; La Furie-Mégère, Entremets de la Tragédie de Sophonisbe [PDF_260] ; une Épître où il loue Nicolas Nicolaï sur ses voyages, et les Relations qu’il en a données [PDF_262] ; Dithyrambes pour la pompe du Bouc d’Étienne Jodelle, en 1553 [PDF_266] ; L’Aurore [PDF_273] ; et une Épître à Jean Vatel [PDF_277]. [R]
Il y a encore dans ce premier volume cinq livres de poésies diverses ; mais je sens que l’énumération en serait ennuyante. Plusieurs sont sur l’amour ; et ce sujet, tant rebattu par nos Poètes, est peu attrayant pour un homme sensé ; d’autres sont des Épithalames, qui n’ont pu intéresser que ceux que le Poète y flattait : ailleurs il chante quelques événements de son temps, comme, la paix faite avec les Anglais en 1549 [PDF_496], la Victoire de Moncontour sous la conduite de M.1#8239.le Duc d’Anjou [PDF_513] : ici il donne quelques imitations de l’Arioste et de Simonide, dont j’ai parlé ailleurs ; ou il fait entendre ses regrets sur la mort de quelque Grand, par exemple, sur celle de Marguerite de Valois Reine de Navarre [PDF_448] : là, il loue la Maison de Médicis [PDF_454], le Président de Birague [PDF_485], Rémi Belleau [PDF_491], Jacques Amyot [PDF_529], Louis de Gonzague Duc de Nevers [PDF_400] ; se loue lui-même, et parle tantôt de ses travaux, tantôt des regrets, qu’il avait ou qu’il feignait de sentir de s’être trop et trop longtemps occupé de la poésie. Par exemple, rappelant à Charles IX ce qu’il avait déjà dit de vive voix à ce Prince, au sujet de ses travaux poétiques, et de son Académie, il parle ainsi [PDF_289_290] :
……………………
Je dis premier comment
En votre Académie on œuvre
incessamment
Pour, des Grecs et Latins imitant l’excellence,
De vers et chants réglés
décorer votre France
Avecque votre nom ; et quand il vous plairait,
Que vous orriez l’essai qui vous contenterait.
Je dis qu’étant piqué de la fureur
plaisante
Des Muses, plus d’un chant en votre honneur je chante,
Déclarant le désir qui d’une douce
ardeur
Brûle mon cœur dévot envers votre
Grandeur.
Je dis que j’essayai la grave Tragédie
D’un style majestueux, la basse Comédie
D’un parler simple et net : là
suivant Sophoclés,
Auteur Grec qui chanta le décès
d’Herculés :
Ici donnant l’habit à la mode de France,
Et le parler Français aux joueurs de
Térence :
Térence, Auteur Romain, que j’imite
aujourd’hui,
Et comme il suit Ménandre, en ma langue j’ensuis,
Ce que j’ai fait, m’étant
commandé de le faire
Afin de contenter la Reine votre mère,
Qui de surtout m’enjoint de fuir lasciveté
En propos offensant sa chaste Majesté.
Après, je vous disais comment je renouvelle
Non seulement des vieux la gentillesse belle
Aux chansons et aux vers ; mais que je remettais
En usage leur danse, &c.
Il parle ensuite du Ballet qu’il avait entrepris. [R]
Voilà un exemple de ce que Baïf pensait de ses travaux ; en voici un de ses regrets, ou des plaintes dont il importunait ses amis sur son attachement à la poésie, qu’il n’en cultivait pas moins. Il s’exprime ainsi en écrivant à M. de La Mosle [PDF_551] :
Quand malcontent rêveur je
pense
Que vingt et cinq ans par la France
J’ai fait ce malheureux métier,
Sans recevoir aucun salaire
De tant d’ouvrages qu’ai su faire,
Ô que j’eusse été
Coquetier !…
Et ma tête à demi
pelée
Grisonne : et ma barbe mêlée
Montre des touffets de poil blanc.
De dents ma bouche est dégarnie :
La goutte déjà me manie :
Et n’ai de rente un rouge blanc.…
Et quatre dizaines
d’années
En vain déjà sont retournées,
Depuis qu’au monde je naquis.
Je cri’rai, s’il faut que je meure,
(Si je n’ai fortune meilleure)
Je meurs qui jamais ne véquis.…
Si les arts étaient en
estime,
Je sais, si je ne suis le prime,
Que je ne suis pas le dernier, &c.
Il répète à peu près les mêmes choses dans l’Épitre à son livre, pièce remplie de verbiage, comme le reste de ses poésies, mais dans laquelle il se peint lui-même assez naturellement. Peut-être ne serez-vous pas fâché de voir ce portrait ; c’est par ces sortes de peintures qu’on connaît un Auteur. Je ne vous en donnerai d’ailleurs que les traits principaux [PDF_562].
Dis, que je suis du bon Lazare
Fils naturel, qui ne m’égare
De la trace de sa vertu.…
Dis, que pauvreté ni
l’envie
N’ont su tant abattre ma vie,
Que mon los
ne soit apparu :
Et que volant d’assez haute aile
Pour trouver la gloire immortelle,
Devant les Grands j’ai comparu.
Pour un, qui mené
d’ignorance
Ou d’une maline méchance,
Voulut amoindrir mon renom,
Dix savants et francs de rancune
Ont dit ingrate ma fortune,
Qui ne répondait à mon nom.…
Mon Livre, n’oubli’
pas à dire,
À quiconque te viendra lire,
Que n’ai fourvoyé de la foi :
Dis que jamais dans ma cervelle
N’entra religion nouvelle,
Pour ôter celle de mon Roi.
Dis que cherchant d’orner la
France
Je pris de Courville accointance,
Maître de l’art de bien chanter :
Qui me fit, pour l’art de Musique
Réformer à la mode antique,
Les vers mesurés inventer.…
Dis leur que je fus
débonnaire :
Souvent pensif : parfois colère :
Mais soudain il n’y paraissait.…
Après ce portrait de son esprit et de son cœur, Baïf trace ainsi celui de sa personne.
J’eus les membres
grêles allègres,
Forts assez, bien qu’ils fussent maigres,
Pour gaillard et sain me porter.
De hauteur moyenne et non basse.
Dieu m’a fait souvent de sa grâce
Valeureux le mal supporter.
J’eus large front, chauve la
tête,
L’œil tanné creusé dans la
tête,
Assez vif, non guère fendu :
Le nez de longueur mesurée :
La face vive et colorée :
Le poil chatain droit étendu.
Dans la même Épître il parle ausi de ses amours ; et c’est par le recueil des vers presque sans nombre, que cette passion lui a fait enfanter, que finit le premier volume de ses poésies, où on lit aussi six Sonnets d’Étienne de la Boëtie [PDF_974]. [R]
Le second volume contient les Jeux de Jan-Antoine de Bayf, dédiés à M. le Duc d’Alençon, frère du Roi. Ces jeux renferment dix-neuf Éclogues sur différents sujets ; Antigone, Tragédie, traduite de Sophocle, dédiée, par une Épître en vers, à Élizabeth d’Autriche, Reine de France : Le Brave, Comédie, imitée, et traduite en partie du Miles gloriosus de Plaute : L’Eunuque, Comédie de Térence, c’est-à-dire, en partie traduite, et imitée en partie de cet ancien comique : Devis des Dieux, pris de Lucian : c’est une traduction libre des Dialogues de Lucien, intitulés : le Jugement des trois Déesses : Vénus et l’Amour : Pan et Mercure : Junon et Jupiter : Vulcain et Apollon. Je ne dirai rien de ces pièces : je vous ai parlé ailleurs des traductions de Sophocle, de Plaute et de Térence. […]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la
Littérature française,
tome 13, 1752, pp. 340-359
[Gallica, NUMM-50656, PDF_366_385]
(texte modernisé).
Liens
Éditions en ligne
* Les Œuvres en vers mesurés sont publiées par Olivier Bettens dans la graphie originale voulue par Baïf. Ce très impressionnant travail d’édition n’est qu’une partie du site virga consacré au français chanté.
Anthologie en ligne
* Une page Baïf avec trois imitations de l’« Ode à l’Aimée » de Sappho (dont deux chansonnettes mesurées) sur saphisme.com.
Études
* Les articles en ligne consacrés tout ou partie à Baïf sur Persée, portail d’édition électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.
Liens valides au 28/07/23.
Jamais dans mon oreille,
autre son que sa voix
En ligne le 12/12/04.
Dernière révision le 21/11/23.