Ô langue heureuse
où croît cette faconde,
Ô toi heureuse
et trop heureuse peau
Qui as dans toi
tout le plus beau du monde
ESTIENNE PASQUIER
Étienne Pasquier vivait encore lorsque parurent les Tragédies dont je viens de parler. Il était né à Paris le 8 de Juin 1529. Destiné de bonne heure à l’étude de la Jurisprudence, il s’y appliqua, et y réussit. Il commença à fréquenter le Barreau au mois de Novembre 1549 et s’y acquit en peu de temps la réputation d’un habile Avocat. Il plaida dans plusieurs causes importantes, et fut toujours applaudi de ceux qui savaient discerner le vrai mérite. Le Roi Henri III informé de sa capacité le gratifia de la charge d’Avocat Général de la Chambre des Comptes, qu’il exerça avec honneur, et qu’il remit quelque temps après à Théodore son fils aîné.
Se voyant dans un âge avancé, il se retira des affaires pour ne plus s’occuper que de ses livres, du commerce de ses amis, et de celui des Muses qu’il avait toujours aimées et cultivées. Il mourut à Paris le 30 d’Août de l’an 1615 âgé de quatre-vingt six ans, deux mois et vingt-trois jours : c’est la date fixée par un de ses fils, Nicolas Pasquier, écrite au sieur Pasquier de Bussi son frère, Auditeur de la Chambre des Comptes, et Échevin de la ville de Paris, dans le quatrième livre de ses Lettres. Étienne Pasquier fut inhumé à Saint-Séverin dans la Chapelle de Sainte-Barbe. Au mois de juillet 1609 il avait composé pour lui-même trois Épitaphes, dont deux en vers latins, et une en vers français. Voici la dernière, qui contient un abrégé de sa vie :
Quel je fus, quel je suis, passant, si
tu fais doute,
Arrête-toi un peu en ce lieu, &
m’écoute.
Autrefois au Barreau du Palais de Paris
Entre les Avocats étant de quelque prix,
Par un vœu solennel j’ordonnai que ma vie
S’éloignât du mépris,
s’éloignât de
l’envie.
Voguant entre ces deux, je me mis sur les rangs:
La Cause des petits je pris contre les grands.
Puis d’Avocat du Roi aux Comptes j’eus
l’office;
Henry pour mon repos m’élut à son
service.
Du gain d’honneur je fus plus que de l’or
épris,
Ô sottes vanités dont trompette je suis!
De mon esprit en prose & en vers je fis gloire,
Pour à mon nom braver sur les ans la victoire.
Femme à trente ans je pris, de même âge
qu’à
moi,
D’elle cinq mâles j’eus, gages de notre
foi,
Dont les quatre premiers survéquirent sa vie:
Le cinquième était mort avant pour sa patrie.
Enfin, content de peu, dans ma vieille saison,
J’ai fait une retraite honnête en ma maison.
Octante ans j’ai passés, ores je me repose,
Fort de corps, fort d’esprit: mais las! c’est peu
de chose
Tout cela, si toi, Dieu miséricordieux,
Ne loges, ô Seigneur, ma pauvre âme en tes Cieux.
[…]
Étienne Pasquier était naturellement bienfaisant et poli ; sa conversation était agréable et facile ; ses mœurs étaient douces et son caractère enjoué ; mais il a souvent porté trop loin cet enjouement, comme on le voit par plusieurs de ses Lettres et de ses Poésies tant latines que françaises, et par son Monophile et ses Colloques. Nous lui avons obligation de nous avoir donné dans ses Recherches des remarques importantes et des éclaircissements très curieux sur divers sujets de l’Antiquité, et principalement sur ce qui concerne la France. C’est lui qui nous a fait connaître dans le septième livre du même ouvrage, l’origine de notre Poésie, son accroissement et la grande vogue où elle fut sous les règnes de Henri II et de ses trois fils, qui montèrent successivement sur le trône de Saint Louis, et qui honorèrent les Poètes de leur estime et de leur protection.
[…]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la Littérature
française,
tome XIV, 1752, pp. 253-256
[Gallica, NUMM-50657, PDF_256_259].
Liens
Éditions en ligne
* Outre les éditions en ligne sur Gallica, on trouve des textes de Pasquier dans La Puce de Madame Des Roches, « recueil de divers poèmes grecs, latins et français, composés par plusieurs doctes personnages aux grands jours tenus à Poitiers l’an 1579 », en ligne en mode image sur le site Renaissance in print de la University of Virginia Library.
Liens valides au 23/07/23.
En ligne le 07/07/07.
Dernière révision le 23/07/23.