Francesco PETRARCA (1304-1374)
Pace non trovo… (Canz., 134)
Lyon, Jean de Tournes, 1545, p. 133 [←Gallica].

Pace non trouo, e non hò da far guerra,
E temo, e spero, & ardo, e son vn ghiaccio,
E volo sopra’l Cielo, e giaccio in terra,
E nulla stringo, e tutto’l mondo abbraccio.

Tal m’hà in pregion, che non m’apre, ne serra,
Ne per suo mi ritien, ne scioglie il laccio,
E non m’ancide Amor, e non mi sferra,
Ne mi vuol viuo, ne me trahe d’impaccio.

Veggio senz’occhi, e non hò lingua, e grido,
E bramo di perir, e chieggio aita,
Et hò in odio me stesso, & amo altrui:

Pascomi di dolor, piangendo rido:
Egualmente mi spiace morte, e vita.
In questo stato son Donna per vui.

Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 56v° [←Gallica].

Paix je ne trouve, et n’ai dont faire guerre :
J’espère et crains, je brûle, et si suis glace :
Je vole au Ciel, et gis en basse place :
J’embrasse tout, et rien je ne tiens serre.

Tel me tient clos, qui ne m’ouvre n’enserre,
De moi n’a cure, et me tourne la face :
Vif ne me veut, et l’ennui ne m’efface,
Et ne m’occit Amour ni ne desserre.

Je vois sans yeux, sans langue vais criant :
Périr désire, et d’aide j’ai envie :
Je hais moi-même, autrui j’aime et caresse :

De deuil me pais, je lamente en riant :
Également me plaisent mort et vie :
En cet état suis pour vous ma maîtresse.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, sonnet LI, pp. 54-55 [←Gallica].

Paix je ne trouve, et n’ai dont faire guerre,
J’espère et crains, et brûlant suis en glace,
Rien je n’étreins, et tout le monde embrasse,
Je vole au ciel, et suis croupant en terre.

En prison m’a tel, qui n’ouvre ne serre,
Ne me retient pour sien, ne me délace,
D’amour je vis, et point ne me fait grâce,
Et ne me tue, encore moins desserre.

Sans yeux je vois, et sans langue je crie,
Je quiers secours, et de mourir je prie,
Un autre j’aime, et à moi je veux mal.

Je ris en pleurs, et deuil repaît mon âme,
Et vie et mort me fâchent par égal :
Voilà l’état, où suis pour vous, ma dame.

Paris, Étienne Groulleau, 1553, Sonnets, f° 3v° [←Gallica].

Je cherche Paix, et ne trouve que Guerre,
Ores j’ai peur, ores je ne crains rien,
Tantôt du mal, et tantôt j’ai du bien,
Je vole aux cieux, et ne bouge de terre.

Dans mes désirs l’espérance j’enserre,
Puis en l’instant je lui romps le lien,
J’aime celui qui m’est le seul moyen
Du dard pointu qui sans cesse m’enferre,

Je vois sans yeux, je cours sans déplacer,
Libre je suis, et me sens enlacer
D’un cable d’or qui le Soleil égale.

Je glace au feu, et brûle dedans l’eau,
Je ris en pleurs et ronge mon cerveau,
Chantant toujours comme fait la cigale.

L’onzième Livre d’Amadis de Gaule,
Paris, Jean Longis, 1554, chap. premier, f° 2r° [←Gallica]
[sonnet mis en page sur le modèle du sonnet du f° 41r°].

Je suis en paix et en mortelle guerre :
Je crains, j’espère, j’ards froide comme glace :
Je vole au ciel, tout étendue en terre,
Et rien n’étreins de fait et tout j’embrasse :

En prison suis qui ne s’ouvre ne serre :
D’un même lacs on me lace et délace :
Amour m’enferre ensemble et me déferre,
M’ayant donné et puis m’ôtant sa grâce :

Heur et malheur me suivent en ma chasse :
Je veux mon bien et à mon mal je cours :
Également la vie et mort je fuis :

Voire la vie et la mort je pourchasse :
Et veux périr et demande secours :
En tel état pour Florisel je suis.

Paris, Vincent Sertenas, 1554, Sonnets, 38, f° 12v° [←Gallica].

Cette prison, où je suis enserré
Ne me détient, prisonnier m’environne.
J’ai liberté, servitude m’ordonne.
Je romps les ceps, je suis plus enferré.

Je suis vivant, douleur m’a enterré.
J’ai tout vaincu, un autre se couronne.
Chaleur me brûle, à glace m’abandonne,
Plaisir m’étreint, et deuil m’a desserré.

Sans yeux je vois, sans langue je me plains.
Tout au plus haut je suis de la prison,
Au plus profond de la fosse complains,

L’ardent ennui de ma froide poison.
Un autre aimant, je me suis désaimé.
Ainsi je meurs, vivant sans être aimé.

Paris, André Wechel, 1555, livre II, f° 37r° [←Gallica].

Rien étreindre ne puis, toute chose j’embrasse :
J’aime bien d’être serf, et cherche liberté,
Je ne bouge de terre, outre le ciel je passe,
Je me promets douceur, où n’y a que fierté.

À tel me suis donné, qui pour sien ne m’avoue,
D’où vivre je m’attends, cela me fait mourir,
Je blâme le plus fort, ce que plus fort je loue,
Je demande remède, et je ne veux guérir.

Je me hais, j’aime autrui : je crains, et je m’assure :
Je suis feu, je suis glace : en fuyant, je poursuis.
Où je me fais vainqueur, là vaincu je demeure.

Ce m’est sucre le deuil : la joie ce m’est suie :
Je meurs si j’ai de l’aise, et je vis de l’ennui :
J’ai pris en même horreur et la mort et la vie.

Paris, Vincent Sertenas, 1557, CIII, f° 35r° [←Gallica].

Je cherche paix, et ne trouve que guerre,
Ores j’ai peur, ores je ne crains rien,
Tantôt du mal et tantôt j’ai du bien,
Je vole au ciel et ne bouge de terre.

Au cœur douteux l’espérance j’enserre,
Puis tout à coup je lui romps le lien,
Je suis à moi et ne puis être mien,
Suivant sans fin qui me fuit et m’enferre.

Je vois sans yeux, je cours sans déplacer,
Libre je suis et me sens enlacer
D’un poil si beau que l’or même il égale :

J’englace au feu, je brûle dedans l’eau,
Je ris en pleurs, et ronge mon cerveau,
Chantant toujours comme fait la cigale.

Les Odes, livre IV, « De l’absence de s’amie » [strophes 3 à 5],
Paris, André Wechel, 1559, ff. 148v°-149r° [←Gallica].

[…] 

L’amour me fait haïr moi-même,
Le bien me fait un mal extrême,
Et le feu trop chaud me pâlit,
Le repos hélas ! me travaille,
Le veiller m’est somme, et le lit
M’est un camp de dure bataille,
Où vivant on m’ensevelit.

Le pleurer me plaît, et le rire
M’apprête un contraire martyre,
Le repos m’est venin et fiel,
Au lieu de paix j’ai toujours guerre,
Je vois sans yeux, et vole au ciel
Sans jamais départir de terre,
Où jeune je semble être vieil.

J’espère et crains d’un seul courage,
Mon profit m’apporte dommage,
Et le jour plus serein qui luit
Ne m’est que ténèbre mortelle,
Bref, j’ai sans fin soit jour ou nuit
D’un vieil désir peine nouvelle,
En suivant cella qui me fuit.

[…] 

Paris, Abel L’Angelier, 1576, I, VII, f° 2v° [←Gallica].

N’espérer qu’une paix, et vivre en une guerre,
Ne pourchasser ma grâce et demander merci,
Paraître de douleur et de joye transi,
M’enlacer d’un lien qui jamais ne se serre :

Voler jusques aux cieux et demeurer en terre,
Me captiver moi-même, et m’élargir aussi,
Chercher mon passe-temps, et n’avoir que souci,
Être plus dur qu’un roc, et plus frêle qu’un verre :

M’armer de patience, et enrager tout vif,
Vivre tantôt heureux, tantôt pauvre chétif,
Brûler à petit feu, et geler en la glace,

Ma propre volonté changer en un moment,
Ce sont les passions que j’endure en aimant
Ma Flore, qui m’a pris par les rais de sa face.

Paris, Abel L’Angelier, 1578, Amours, XXI, f° 38r° [←Gallica].

Je ne puis trouver paix et n’ai où faire guerre,
J’espère au désespoir, je brûle et suis en glace :
Sans pouvoir rien tenir tout le monde j’embrasse,
Et tel m’a prisonnier qui ne m’ouvre ou resserre.

Je vole sur les Cieux et languis en la terre,
Je forcène d’amour et jamais ne m’en lasse.
L’on ne veut que je vive et moins que je trépasse,
Et tel ne me veut point qui mon lacs ne desserre.

Je vois sans yeux, j’ois sourd, et sans langue je crie :
Je cherche ma ruine et le secours je prie,
Je veux mal à moi-même et un chacun j’honore :

Je me pais de douleur, pleurant faut que je rie :
Également me plaît et la mort et la vie,
Et vous seule causez l’ennui qui me dévore.

Paris, Lucas Breyer, 1581, f° 41v° [←Gallica].

PAix je ne trouve, et ne puis faire guerre,
J’espère et crains, je brûle, et je suis glace,
Rien je n’étreins, et tout ce rond j’embrasse,
Je vole au ciel, et si je suis en terre,

Je suis captif et si rien ne m’enserre,
Enrété suis et rien ne m’entrelace,
Rien je ne veux et si j’aime la face
De celle-là sur toutes qui m’enferre,

Je vois sans yeux, sans cœur me convient vivre,
Le deuil me paît, le plaisir me veut suivre,
Je veux périr, l’aide le cœur m’enflamme,

Autrui me plaît, et moi-même m’ennuie,
Également veux la mort et la vie,
En tel état je suis pour vous ma dame.

Anvers, Chr. Plantin, 1583, La Marguerite, I, p. 818 [←Gallica].

Je vis en paix, et crains mortelle guerre,
Le feu me gèle, et dans la glace j’ards,
Je suis rétif, et vole en mille parts,
Je monte au Ciel, et ne bouge de terre.

Je me fais libre, et la prison m’enserre,
J’embrasse tout, et n’ai qu’ombrage épars,
Je deviens chiche, et mes biens je dépars,
Haine m’assure, amitié me déterre.

Un même lacs m’esclave, et m’affranchit,
Une même eau m’enflamme, et rafraîchit :
Heur, et malheur, m’atteignent en ma chasse.

Je veux péril, et secours je poursuis,
Je fuis la mort, et sans fin je trépasse :
Est-il Amant plus vexé que je suis ?

Les premières Œuvres poétiques, Les Amours de Dione,
Paris, Thomas Perier, 1583, sonnet LX, p. 31 [←Gallica].

J’aime la Paix, et suis toujours en Guerre,
J’aime à régner, et cherche le Tombeau,
Je hais l’Amour, et rien ne m’est plus beau,
Je vole au Ciel, et m’accroupis en terre.

Dans la prison, et en liberté j’erre,
Chargé de fers, et si suis sans fardeau,
J’espère, et crains, et brûle dedans l’eau,
Joyeux et gai, et la douleur m’enterre.

Je vois bien clair, aveuglé, et sans yeux,
Sans langue aussi, je pénètre les Cieux,
Un autre j’aime ennemi de moi-même.

L’hiver je brûle, et l’Été meurs de froid,
Voila l’état, Madame où l’on me voit,
Pour vous aimer d’une amitié extrême.

Paris, Marc Orry, 1583, f° 284r°v° [←Gallica].

JE n’ai jamais la paix et ne peux faire guerre,

 Je crains, j’espère, j’ards, j’ai l’estomac glacé,
J’embrasse tout le monde, et ne tiens rien pressé,
Je vole jusqu’aux cieux, et ne bouge de terre.

Telle m’a en prison, qui ne m’ouvre ni serre,
Ni sien me retenant n’a mon cep délacé.
Amour ne m’occit pas, ni vivant délaissé
Ne me tirant d’ennuis aussi ne me déferre.

Sans langue ni sans yeux je vois, je crie fort.
Je cherche du secours, je désire la mort.
Ennemi de moi seul autrui j’adore et aime.

Je ris en lamentant, je me pais de douleurs,
Le vivre et le mourir m’est une chose même,
En cet état m’ont mis Madame, vos rigueurs.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 54, p. 277 [←Gallica].

TRouver paix je ne puis, et ne puis faire guerre,
Je crains, j’espère, j’ards, et suis la même glace :
Je vole sur le ciel, et ne bouge de terre.
En ne rien étreignant tout le monde j’embrasse.

Tel me tient en prison qui ne m’ouvre ni serre :
Ni pour soi me retient, ni rompt ce qui me lace.
Amour point ne me tue, et si ne me déferre,
Il ne me veut voir vif, ni que mort me défasse.

J’étends sans yeux ma vue, et sans langue mes cris :
J’enrage de périr et conferme ma vie.
Je veux mal à moi seul, et tous me sont amis.

Je me pais de douleurs, et en pleurant je ris,
Et tant me plaît la mort comme j’aime la vie.
Madame c’est l’état en quoi vous m’avez mis.

Les Tragédies, Bergerie,
Rouen, Jean Petit, 1601, Sonnets, II [←Gallica].

HÉlas je brûle et si je suis de glace !

 J’aime beaucoup et je haïs bien fort ;
Je suis en vie, et je pense être mort ;
Je vais partout sans bouger d’une place.

De peur je tremble et je frémis d’audace ;
Je cherche paix et je trouve discord ;
J’ai la raison, on me donne le tort ;
Je sers toujours et n’en ai point de grâce.

Que puis-je faire en ces diversités ?
Que dois-je dire en ces adversités ?
Faut-il me plaindre ou bien faut-il me taire ?

Plus de constance on montre en se taisant ;
Mais la douleur se passe en la disant,
Comme par l’eau la chaleur se modère.

Le Pétrarque en rime française, Durant la vie de Laure,
Douai, F. Fabry, 1606, sonnet CV, pp. 195-196 [←Gallica].

Je n’ai dont faire guerre, en vain paix je pourchasse,
Et je crains et j’espère et j’ards de glace étant,
Et je m’envole aux cieux sur la terre couchant,
Je n’étreins rien, pourtant tout le monde j’embrasse.

Tel ne m’ouvre ni serre, et en prison me lace,
Ni pour sien me retient, en ses lacs me tenant,
Et Amour ne me tue, et des fers ne me prend,
Vif aussi ne me veut, et mon ennui ne casse.

Sans langue avoir je crie, aussi je vois sans yeux,
Et je voudrais périr, de secours désireux,
J’aime autrui, et je porte une haine à moi-même,

De douleur je me pais, et en plaignant je ris,
Ennemi à la vie et à la mort je suis,
Pour vous dame je vis en cet état extrême.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CIV, p. 101 [←Gallica].

il dépeint sa misère à sa dame.

Je ne puis trou­ver la paix et je n’ai pas de quoi faire la guerre ; et je crains, et j’espère ; et je brûle et je suis de glace ; et je m’en­vole au-dessus du ciel et je rampe sur la terre ; et je ne sai­sis rien et j’em­brasse le monde entier.

Quelqu’un m’a mis dans une pri­son qu’il ne m’ouvre, ni ne me ferme, et sans me rete­nir pour sien, il ne dé­tache pas mes liens ; et Amour ne me tue ni ne m’ôte mes fers ; et il ne me veut pas vi­vant, et il ne me tire pas d’em­bar­ras.

Je vois sans yeux ; et je n’ai pas de langue et je crie ; et je dé­sire mou­rir, et je de­mande se­cours ; et je me hais moi-même, et je ché­ris autrui :

Je me repais de dou­leur ; je ris en pleu­rant ; la vie et la mort me dé­plaisent éga­le­ment. Voi­là Ma­dame, l’état, où vous me ré­dui­sez.

























Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 56v° [←Gallica].

Paix je ne trouve, et n’ai dont faire guerre :
J’espère et crains, je brûle, et si suis glace :
Je vole au Ciel, et gis en basse place :
J’embrasse tout, et rien je ne tiens serre.

Tel me tient clos, qui ne m’ouvre n’enserre,
De moi n’a cure, et me tourne la face :
Vif ne me veut, et l’ennui ne m’efface,
Et ne m’occit Amour ni ne desserre.

Je vois sans yeux, sans langue vais criant :
Périr désire, et d’aide j’ai envie :
Je hais moi-même, autrui j’aime et caresse :

De deuil me pais, je lamente en riant :
Également me plaisent mort et vie :
En cet état suis pour vous ma maîtresse.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, sonnet LI, pp. 54-55 [←Gallica].

Paix je ne trouve, et n’ai dont faire guerre,
J’espère et crains, et brûlant suis en glace,
Rien je n’étreins, et tout le monde embrasse,
Je vole au ciel, et suis croupant en terre.

En prison m’a tel, qui n’ouvre ne serre,
Ne me retient pour sien, ne me délace,
D’amour je vis, et point ne me fait grâce,
Et ne me tue, encore moins desserre.

Sans yeux je vois, et sans langue je crie,
Je quiers secours, et de mourir je prie,
Un autre j’aime, et à moi je veux mal.

Je ris en pleurs, et deuil repaît mon âme,
Et vie et mort me fâchent par égal :
Voilà l’état, où suis pour vous, ma dame.

Paris, Étienne Groulleau, 1553, Sonnets, f° 3v° [←Gallica].

Je cherche Paix, et ne trouve que Guerre,
Ores j’ai peur, ores je ne crains rien,
Tantôt du mal, et tantôt j’ai du bien,
Je vole aux cieux, et ne bouge de terre.

Dans mes désirs l’espérance j’enserre,
Puis en l’instant je lui romps le lien,
J’aime celui qui m’est le seul moyen
Du dard pointu qui sans cesse m’enferre,

Je vois sans yeux, je cours sans déplacer,
Libre je suis, et me sens enlacer
D’un cable d’or qui le Soleil égale.

Je glace au feu, et brûle dedans l’eau,
Je ris en pleurs et ronge mon cerveau,
Chantant toujours comme fait la cigale.

L’onzième Livre d’Amadis de Gaule,
Paris, Jean Longis, 1554, chap. premier, f° 2r° [←Gallica].

Comme la reine Sidonie se sentit grosse d’enfant : et de la naissance de la belle Diane.

[…] Puis excla­mait : Je suis en paix et en mor­telle guerre : je crains, j’espère, j’ards froide comme glace : je vole au ciel, tout éten­due en terre, et rien n’étreins de fait et tout j’em­brasse : en pri­son suis qui ne s’ouvre ne serre : d’un même lacs on me lace et dé­lace : Amour m’en­ferre ensemble et me dé­ferre, m’ayant don­né et puis m’ôtant sa grâce : heur et mal­heur me suivent en ma chasse : Je veux mon bien et à mon mal je cours : éga­le­ment la vie et mort je fuis : voire la vie et la mort je pour­chasse : et veux pé­rir et demande se­cours : en tel état pour Flo­ri­sel je suis. Or fit la reine Sido­nie (sitôt qu’elle fut rele­vée de sa gé­sine) por­ter sa fille Diane en un châ­teau […]

Paris, Vincent Sertenas, 1554, Sonnets, 38, f° 12v° [←Gallica].

Cette prison, où je suis enserré
Ne me détient, prisonnier m’environne.
J’ai liberté, servitude m’ordonne.
Je romps les ceps, je suis plus enferré.

Je suis vivant, douleur m’a enterré.
J’ai tout vaincu, un autre se couronne.
Chaleur me brûle, à glace m’abandonne,
Plaisir m’étreint, et deuil m’a desserré.

Sans yeux je vois, sans langue je me plains.
Tout au plus haut je suis de la prison,
Au plus profond de la fosse complains,

L’ardent ennui de ma froide poison.
Un autre aimant, je me suis désaimé.
Ainsi je meurs, vivant sans être aimé.

Paris, André Wechel, 1555, livre II, f° 37r° [←Gallica].

Rien étreindre ne puis, toute chose j’embrasse :
J’aime bien d’être serf, et cherche liberté,
Je ne bouge de terre, outre le ciel je passe,
Je me promets douceur, où n’y a que fierté.

À tel me suis donné, qui pour sien ne m’avoue,
D’où vivre je m’attends, cela me fait mourir,
Je blâme le plus fort, ce que plus fort je loue,
Je demande remède, et je ne veux guérir.

Je me hais, j’aime autrui : je crains, et je m’assure :
Je suis feu, je suis glace : en fuyant, je poursuis.
Où je me fais vainqueur, là vaincu je demeure.

Ce m’est sucre le deuil : la joie ce m’est suie :
Je meurs si j’ai de l’aise, et je vis de l’ennui :
J’ai pris en même horreur et la mort et la vie.

Paris, Vincent Sertenas, 1557, CIII, f° 35r° [←Gallica].

Je cherche paix, et ne trouve que guerre,
Ores j’ai peur, ores je ne crains rien,
Tantôt du mal et tantôt j’ai du bien,
Je vole au ciel et ne bouge de terre.

Au cœur douteux l’espérance j’enserre,
Puis tout à coup je lui romps le lien,
Je suis à moi et ne puis être mien,
Suivant sans fin qui me fuit et m’enferre.

Je vois sans yeux, je cours sans déplacer,
Libre je suis et me sens enlacer
D’un poil si beau que l’or même il égale :

J’englace au feu, je brûle dedans l’eau,
Je ris en pleurs, et ronge mon cerveau,
Chantant toujours comme fait la cigale.

Les Odes, livre IV, « De l’absence de s’amie » [strophes 3 à 5],
Paris, André Wechel, 1559, ff. 148v°-149r° [←Gallica].

[…] 

L’amour me fait haïr moi-même,
Le bien me fait un mal extrême,
Et le feu trop chaud me pâlit,
Le repos hélas ! me travaille,
Le veiller m’est somme, et le lit
M’est un camp de dure bataille,
Où vivant on m’ensevelit.

Le pleurer me plaît, et le rire
M’apprête un contraire martyre,
Le repos m’est venin et fiel,
Au lieu de paix j’ai toujours guerre,
Je vois sans yeux, et vole au ciel
Sans jamais départir de terre,
Où jeune je semble être vieil.

J’espère et crains d’un seul courage,
Mon profit m’apporte dommage,
Et le jour plus serein qui luit
Ne m’est que ténèbre mortelle,
Bref, j’ai sans fin soit jour ou nuit
D’un vieil désir peine nouvelle,
En suivant cella qui me fuit.

[…] 

Paris, Abel L’Angelier, 1576, I, VII, f° 2v° [←Gallica].

N’espérer qu’une paix, et vivre en une guerre,
Ne pourchasser ma grâce et demander merci,
Paraître de douleur et de joye transi,
M’enlacer d’un lien qui jamais ne se serre :

Voler jusques aux cieux et demeurer en terre,
Me captiver moi-même, et m’élargir aussi,
Chercher mon passe-temps, et n’avoir que souci,
Être plus dur qu’un roc, et plus frêle qu’un verre :

M’armer de patience, et enrager tout vif,
Vivre tantôt heureux, tantôt pauvre chétif,
Brûler à petit feu, et geler en la glace,

Ma propre volonté changer en un moment,
Ce sont les passions que j’endure en aimant
Ma Flore, qui m’a pris par les rais de sa face.

Paris, Abel L’Angelier, 1578, Amours, XXI, f° 38r° [←Gallica].

Je ne puis trouver paix et n’ai où faire guerre,
J’espère au désespoir, je brûle et suis en glace :
Sans pouvoir rien tenir tout le monde j’embrasse,
Et tel m’a prisonnier qui ne m’ouvre ou resserre.

Je vole sur les Cieux et languis en la terre,
Je forcène d’amour et jamais ne m’en lasse.
L’on ne veut que je vive et moins que je trépasse,
Et tel ne me veut point qui mon lacs ne desserre.

Je vois sans yeux, j’ois sourd, et sans langue je crie :
Je cherche ma ruine et le secours je prie,
Je veux mal à moi-même et un chacun j’honore :

Je me pais de douleur, pleurant faut que je rie :
Également me plaît et la mort et la vie,
Et vous seule causez l’ennui qui me dévore.

Paris, Lucas Breyer, 1581, f° 41v° [←Gallica].

PAix je ne trouve, et ne puis faire guerre,
J’espère et crains, je brûle, et je suis glace,
Rien je n’étreins, et tout ce rond j’embrasse,
Je vole au ciel, et si je suis en terre,

Je suis captif et si rien ne m’enserre,
Enrété suis et rien ne m’entrelace,
Rien je ne veux et si j’aime la face
De celle-là sur toutes qui m’enferre,

Je vois sans yeux, sans cœur me convient vivre,
Le deuil me paît, le plaisir me veut suivre,
Je veux périr, l’aide le cœur m’enflamme,

Autrui me plaît, et moi-même m’ennuie,
Également veux la mort et la vie,
En tel état je suis pour vous ma dame.

Anvers, Chr. Plantin, 1583, La Marguerite, I, p. 818 [←Gallica].

Je vis en paix, et crains mortelle guerre,
Le feu me gèle, et dans la glace j’ards,
Je suis rétif, et vole en mille parts,
Je monte au Ciel, et ne bouge de terre.

Je me fais libre, et la prison m’enserre,
J’embrasse tout, et n’ai qu’ombrage épars,
Je deviens chiche, et mes biens je dépars,
Haine m’assure, amitié me déterre.

Un même lacs m’esclave, et m’affranchit,
Une même eau m’enflamme, et rafraîchit :
Heur, et malheur, m’atteignent en ma chasse.

Je veux péril, et secours je poursuis,
Je fuis la mort, et sans fin je trépasse :
Est-il Amant plus vexé que je suis ?

Les premières Œuvres poétiques, Les Amours de Dione,
Paris, Thomas Perier, 1583, sonnet LX, p. 31 [←Gallica].

J’aime la Paix, et suis toujours en Guerre,
J’aime à régner, et cherche le Tombeau,
Je hais l’Amour, et rien ne m’est plus beau,
Je vole au Ciel, et m’accroupis en terre.

Dans la prison, et en liberté j’erre,
Chargé de fers, et si suis sans fardeau,
J’espère, et crains, et brûle dedans l’eau,
Joyeux et gai, et la douleur m’enterre.

Je vois bien clair, aveuglé, et sans yeux,
Sans langue aussi, je pénètre les Cieux,
Un autre j’aime ennemi de moi-même.

L’hiver je brûle, et l’Été meurs de froid,
Voila l’état, Madame où l’on me voit,
Pour vous aimer d’une amitié extrême.

Paris, Marc Orry, 1583, f° 284r°v° [←Gallica].

JE n’ai jamais la paix et ne peux faire guerre,

 Je crains, j’espère, j’ards, j’ai l’estomac glacé,
J’embrasse tout le monde, et ne tiens rien pressé,
Je vole jusqu’aux cieux, et ne bouge de terre.

Telle m’a en prison, qui ne m’ouvre ni serre,
Ni sien me retenant n’a mon cep délacé.
Amour ne m’occit pas, ni vivant délaissé
Ne me tirant d’ennuis aussi ne me déferre.

Sans langue ni sans yeux je vois, je crie fort.
Je cherche du secours, je désire la mort.
Ennemi de moi seul autrui j’adore et aime.

Je ris en lamentant, je me pais de douleurs,
Le vivre et le mourir m’est une chose même,
En cet état m’ont mis Madame, vos rigueurs.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 54, p. 277 [←Gallica].

TRouver paix je ne puis, et ne puis faire guerre,
Je crains, j’espère, j’ards, et suis la même glace :
Je vole sur le ciel, et ne bouge de terre.
En ne rien étreignant tout le monde j’embrasse.

Tel me tient en prison qui ne m’ouvre ni serre :
Ni pour soi me retient, ni rompt ce qui me lace.
Amour point ne me tue, et si ne me déferre,
Il ne me veut voir vif, ni que mort me défasse.

J’étends sans yeux ma vue, et sans langue mes cris :
J’enrage de périr et conferme ma vie.
Je veux mal à moi seul, et tous me sont amis.

Je me pais de douleurs, et en pleurant je ris,
Et tant me plaît la mort comme j’aime la vie.
Madame c’est l’état en quoi vous m’avez mis.

Les Tragédies, Bergerie,
Rouen, Jean Petit, 1601, Sonnets, II [←Gallica].

HÉlas je brûle et si je suis de glace !

 J’aime beaucoup et je haïs bien fort ;
Je suis en vie, et je pense être mort ;
Je vais partout sans bouger d’une place.

De peur je tremble et je frémis d’audace ;
Je cherche paix et je trouve discord ;
J’ai la raison, on me donne le tort ;
Je sers toujours et n’en ai point de grâce.

Que puis-je faire en ces diversités ?
Que dois-je dire en ces adversités ?
Faut-il me plaindre ou bien faut-il me taire ?

Plus de constance on montre en se taisant ;
Mais la douleur se passe en la disant,
Comme par l’eau la chaleur se modère.

Le Pétrarque en rime française, Durant la vie de Laure,
Douai, F. Fabry, 1606, sonnet CV, pp. 195-196 [←Gallica].

Je n’ai dont faire guerre, en vain paix je pourchasse,
Et je crains et j’espère et j’ards de glace étant,
Et je m’envole aux cieux sur la terre couchant,
Je n’étreins rien, pourtant tout le monde j’embrasse.

Tel ne m’ouvre ni serre, et en prison me lace,
Ni pour sien me retient, en ses lacs me tenant,
Et Amour ne me tue, et des fers ne me prend,
Vif aussi ne me veut, et mon ennui ne casse.

Sans langue avoir je crie, aussi je vois sans yeux,
Et je voudrais périr, de secours désireux,
J’aime autrui, et je porte une haine à moi-même,

De douleur je me pais, et en plaignant je ris,
Ennemi à la vie et à la mort je suis,
Pour vous dame je vis en cet état extrême.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CIV, p. 101 [←Gallica].

il dépeint sa misère à sa dame.

Je ne puis trou­ver la paix et je n’ai pas de quoi faire la guerre ; et je crains, et j’espère ; et je brûle et je suis de glace ; et je m’en­vole au-dessus du ciel et je rampe sur la terre ; et je ne sai­sis rien et j’em­brasse le monde entier.

Quelqu’un m’a mis dans une pri­son qu’il ne m’ouvre, ni ne me ferme, et sans me rete­nir pour sien, il ne dé­tache pas mes liens ; et Amour ne me tue ni ne m’ôte mes fers ; et il ne me veut pas vi­vant, et il ne me tire pas d’em­bar­ras.

Je vois sans yeux ; et je n’ai pas de langue et je crie ; et je dé­sire mou­rir, et je de­mande se­cours ; et je me hais moi-même, et je ché­ris autrui :

Je me repais de dou­leur ; je ris en pleu­rant ; la vie et la mort me dé­plaisent éga­le­ment. Voi­là Ma­dame, l’état, où vous me ré­dui­sez.

























textes modernisés
[R]

 

En ligne le 11/11/17.
Dernière révision le 23/02/23.