Joachim BLANCHON
(?-?)
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1583 : Comme le Marinier…
 

Que je revive en vous,

et vous vivez en moi,

Et qu’androgynement

nous ayons sympathie.


 


L’abbé GOUJET, 1752
 

JOACHIM BLANCHON.

Je serai un peu plus indul­gent pour Joachim Blan­chon ; non que ses vers soient plus agré­ables que ceux de Bel­le­forest[1] ; mais parce que je ne puis vous don­ner l’his­toire de sa vie, sans le lais­ser un peu par­ler lui-même.

Ce Poète était de Limoges. Jean Dorat, qui était du même pays, le dit dans des vers faits à la louange de Blan­chon, où après avoir van­té plu­sieurs Poètes Limou­sins, il ajoute :

Tu quoque, Blanchoni, par his decus arte mereris,
Gallica Lemovicum Carmina prima canens.

Blanchon lui rendit éloge pour éloge, sur­tout dans l’Ode qu’il com­po­sa à l’hon­neur de la Ville de sa nais­sance, dans la­quelle il exalte comme orne­ments de cette Ville, Dorat, Muret, Siméon Du Bois, de Guéry, de Beau­breuil, et plu­sieurs autres.

Cette Ode fait par­tie des pre­mières Œuvres poé­tiques de l’Au­teur, impri­mées en 1583, et qui ne portent ce titre, comme je le crois, que parce qu’elles sont le fruit de sa pre­mière jeu­nesse. Je n’ai trouvé nulle part qu’il ait fait de secondes Œuvres. Ce n’est que d’après lui, que je dis que les pre­mières ont été com­po­sées dans sa jeu­nesse. Voici com­ment il s’exprime à la fin de ces Œuvres, dans un Son­net au Lec­teur.

Fuyant d’oisi­veté la vicieuse amorce,
En mon jeune printemps j’ai composé ces vers
Que j’avais jusqu’ici à la vue couverts.

Il ne faut pas conclure de ce der­nier vers, qu’il était vieux quand il publia ces poé­sies : il n’était plus si jeune ; mais il était encore peu avan­cé en âge, puis­qu’il ajoute :

Ils n’ont, ami Lecteur, attendu neuf soleils,
Car ces adolescents, à Icare pareils,
Ont voulu sans conseil même vol entreprendre.

S’il eût par­lé d’un autre, il aurait pu ajou­ter qu’ils eurent aussi la même des­ti­née. Mais un pareil aveu sort très rare­ment de la bouche d’un Auteur. L’amour propre de Blan­chon était d’ail­leurs sou­te­nu par les éloges que lui don­nèrent, en vers Latins, Jean Do­rat, Mar­tial Gué­ry ; et sur­tout, Antoine Va­let, qui en s’adres­sant au Roi même, sup­plie Sa Majes­té d’ani­mer la jeune Muse de l’Au­teur, afin de l’en­cou­ra­ger à chan­ter dans la suite de plus nobles sujets ; et en vers Fran­çais, Jean de Beau­breuil, Bas­tier, le même Mar­tial Gué­ry, Antoine Bar­ny, Made­leine Saul­te­reau, M. de Chas­te­net, Chres­tien, et M. Du Bourg.

Valet avait raison de souhai­ter que Blan­chon s’occu­pât à trai­ter des sujets plus dignes des Muses que ceux qu’on voit ici. Que lit-on en effet dans ce recueil ? Deux livres de poé­sies amou­reuses, l’un conte­nant les Amours de Dione, et l’autre, les Amours de Pasi­thée ; entre­mê­lés d’Odes, d’Élé­gies, de Stances, de Com­plaintes, de Chan­sons, et autres petites pièces ; le second en 77 Son­nets.

J’obser­ve­rai deux choses sur ce second livre ; la pre­mière, que la plu­part des Son­nets qu’il ren­ferme sont adres­sés à quelque ami, ou à quelque com­pa­triote de l’Au­teur, presque tous fort igno­rés aujour­d’hui. La seconde, c’est que dans le Son­net 67e Blan­chon dit, qu’il n’avait que quinze ans lorsque l’amour s’em­pa­ra de son cœur. C’était prendre des chaînes avant que d’être en état de les por­ter.

J’avais passé sans plus douze mois quinze fois
Quand la vive beauté qui reluit à ma Vie,
Riche de tant d’honneur, & de tant d’heur suivie,
Comme son prisonnier m’esclava sous ses lois.

La voir et l’aimer ce fut une même opé­ra­tion. C’est encore le langage qu’il tient dans le premier livre.

Les affec­tions sont promptes à cet âge-là ; mais l’in­cons­tance qui en est l’apa­nage, les détruit presque aus­si­tôt qu’elles sont nées. Blan­chon en est une preuve, au moins s’il a par­lé sérieu­se­ment. On voit en effet par la suite de ses poé­sies, que mécon­tent de ses amours, ou fei­gnant de l’être, il prit la réso­lu­tion de s’en­fon­cer dans quelque soli­tude écar­tée. C’est le sujet d’une assez longue pièce inti­tulée par cette rai­son, l’Antre. Mais la des­crip­tion qu’il fait de cette retraite, pré­sente quelque chose de si dis­gra­cieux, de si hor­rible même, qu’on la pren­drait plu­tôt pour la des­crip­tion de l’Enfer que pour celle d’une soli­tude. Cette exagé­ra­tion ne prouve-t-elle pas que sa réso­lu­tion n’avait rien de plus réel que le lieu dont il avait tra­cé la pein­ture ?

Par un autre tour d’imagi­na­tion, bien digne d’un Poète dont l’âge n’a point mûri l’esprit, Blan­chon finit ses deux livres d’Amour par un Son­net, en forme de Prière à Dieu, où il dit que sa pas­sion l’avait cap­tivé six ans, mais qu’ayant tou­jours été mal­heu­reuse, il y renonce, et ne veut plus chan­ter que le Sei­gneur. Que ne sup­pri­mait-il donc toutes ses rêve­ries amou­reuses ? C’était le pre­mier sacri­fice qu’il devait offrir au Sei­gneur, la pre­mière vic­time qu’il devait im­mo­ler. Mais je suis ten­té de croire qu’il n’a ima­gi­né cette Prière que pour ser­vir comme de Pré­face au troi­sième livre de ses poé­sies, qui contient ses mélanges. Ce troi­sième livre ren­ferme en effet beau­coup de poé­sies pieuses : telles sont, divers Son­nets sur l’amour de Dieu ; une Ode Chré­tienne ; une Para­phrase de la Prière d’Es­dras ; deux Prières à la Sainte Vierge ; une Plainte faite étant malade ; des Prières pour le matin et le soir, et pour d’autres occa­sions ; une, pour la pros­pé­ri­té du Roi ; des Stances sur la ver­tu, sur la libé­ra­li­té, etc. Dans celles-ci, le Poète fait sen­tir indi­rec­te­ment à Hen­ri III qu’il espère, qu’il attend même de lui quelque bien­fait.

Si ces poé­sies pieuses n’ont rien qui satis­fasse un lecteur ami du beau, au moins pouvait-elles édi­fier ceux qui avaient la patience de les lire. Mais par quelle bizar­re­rie, au milieu de cet éta­lage de mora­li­tés et de senti­ments de piété, l’Auteur va-t-il nous donner une pièce indé­cente, où il ne rougit point de faire l’apo­lo­gie des femmes immo­destes ? Si Blanchon a cru que le titre de Mélanges qu’il a donné à son troisième livre, l’auto­ri­sait à y insé­rer des pièces sur toutes sortes de sujets, ne le remplis­sait-il pas ce titre, et par celles dont je viens de faire l’énu­mé­ra­tion, et par celles qui suivent ? Telles sont entre ces dernières, le Discours au Roi, sur la paix ; le Discours à Monsieur, sur ses victoires ; le Discours à la Reine mère, qui sert comme de Préface aux 38 Sonnets qui suivent cette Épître, et qui sont réu­nis sous le titre de Trophée des Dames, parce que le Poète y fait l’Éloge des femmes en géné­ral, et en parti­cu­lier celui d’un grand nombre de femmes qui sont nommées avec distinc­tion dans l’Ancien et dans le Nouveau Testa­ment, et dans l’Histoire Ecclé­sias­tique et Profane. Telles sont encore ses Stances, en 25 Strophes, sur le mariage, par anti­thèses à celles de Phi­lippe Des Portes ; d’autres Stances sur la beau­té, adres­sées à la Reine, et l’éloge de Mar­gue­rite Reine de Navarre.

On trouve dans le même livre deux pièces qui sont sin­gu­lières. Dans l’une inti­tu­lée : l’Hy­men de la fille, à Joa­chim Mar­tin, et qui est une vio­lente satire contre les veuves, Blan­chon fait l’éloge de la femme et du mariage, mais en s’ef­for­çant de soute­nir qu’il faut en se mariant pré­fé­rer celle qui est fille à celle qui est veuve ; dans l’autre, qui a pour titre, Anti­thèse de l’hy­men de la veuve, il chante la pali­no­die, et fait autant l’éloge des veuves qu’il les avait dé­criées dans la pre­mière pièce.

Ce recueil est ter­mi­né par divers Son­nets, quelques Épi­taphes, un Adieu aux Muses, l’Ode à l’hon­neur de la Ville de Limoges, que j’ai déjà citée, et plu­sieurs Son­nets mo­raux, don­nés sous le titre de Tré­sor de sen­tences, au Roi. Presque tous les Son­nets sont à la louange de ceux à qui le Poète les adresse. Il y en a aux Ducs de Joyeuse et d’Éper­non ; au Comte d’Escars, au Chan­ce­lier de Chi­ver­ny, à MM. de Vil­le­roy et Bru­lart, Secré­taires d’État ; à son frère, Claude Blan­chon, Avo­cat ; à MM. de Pibrac, Ron­sard, Do­rat, Phi­lippe Des Portes, Muret, qui était alors à Rome, et que Blan­chon ne connais­sait que par la répu­ta­tion ; à Sa­luste Du Bar­tas, à Hugues Bar­bou, et à plu­sieurs autres. Le Son­net au Sieur Bar­bou est sur l’Impri­me­rie. Les Épi­taphes sont celles du Roi Charles IX, de Fran­çois de Lor­raine Duc de Guise, du Duc d’Au­male son frère ; de Sébas­tien de l’Au­bes­pine, Évêque de Limoges ; de Gau­tier de Ber­mon­det, Maître des Requêtes ; de Simon Des Cou­tures, Pré­si­dent à Limoges ; de Simé­on Du Bois, Lieu­te­nant Géné­ral de la même Ville ; et de quelques autres : ces Épi­taphes sont sans dates ; ce qui est un grand défaut dans ces sortes de pièces, qu’on ne recherche ordi­nai­re­ment que pour savoir le temps de la mort et l’âge de ceux qui en sont l’objet.

Dans l’Adieu aux Muses, Blanchon dit, qu’il avait fait la cour à celles-ci pendant douze ou quinze ans ; mais qu’il a perdu son temps en leur compa­gnie. C’est qu’elles ne l’ont jamais avoué pour leur dis­ciple. Consé­quem­ment elles ne lui avaient pro­cu­ré, sans doute, aucun avan­tage tem­po­rel, puis­qu’il se plaint dans la même Ode, que la pau­vre­té le talonne.

Dans l’Ode sur la Ville de Limoges, adres­sée à Dorat, il loue quelques Poètes qui ne nous sont pas connus, tels que Bas­tier, dont il dit :

En son Ode Pastorale
Bastier ce Belleau égale,
Qui sous forme de Berger
Chante les Rois et leur race,
Et sur le mont de Parnasse,  &c.

Il y loue aussi beaucoup Decourt peintre, Vigier, Corteys, et Jean de Beaubreuil.

L’abbé GOUJET,
Biblio­thèque française,
ou Histoire de la Litté­ra­ture française,
tome XIII, 1752, pp. 164-173
[Gallica, NUMM-50656, PDF_190_199].


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Notes

[1] La « vie » de Blan­chon suc­cède, dans la Biblio­thèque de l’abbé Goujet, à celle de Fran­çois de Bel­le­fo­rest.




En ligne le 20/12/04.

Dernière révision le 08/01/24.