Jean Antoine de BAÏF
(1532-1589)
Dernier poème en ligne :
1555 : Ô céleste beauté !…

Ce m’est sucre

le deuil : la joie

ce m’est suie.



 


 

À Jean Antoine de Baïf.

Bravime esprit sur tous excellentime,
Qui méprisant ces vanimes abois
As entonné d’une hautime voix
De savantieurs la trompe bruyantime.

De tes doux vers le style coulantime,
Tant estimé par les doctieurs François,
Justimement ordonne que tu sois,
Pour ton savoir, à tous révérendime.

Nul mieux de toi gentillime Poète,
Heur que chacun grandimement souhaite,
Façonne un vers doucimement naïf :

Et nul de toi hardieurement en France
Va déchassant l’indoctime ignorance,
Docte doctieur et doctime Baïf.

Joachim Du Bellay,
Les Œuvres françaises,
Paris, Federic Morel, 1569,
Divers jeux rustiques
augmentés de plusieurs poésies
, f° 80v°
[Gallica, NUMM-70132, PDF_1043]
(texte modernisé).

 

Jean-Antoine de Baïf était mort environ quatre ans avant Jean de Sponde. Il était fils de Lazare de Baïf qui fut succes­si­ve­ment Am­bas­sa­deur à Venise, Conseiller au Parle­ment de Paris, Am­bas­sa­deur en Alle­magne, Maître des Requêtes, et abbé de Grene­tière et de Charroux. Ce fut pendant son Ambas­sade à Venise, dont il fut chargé en 1531 et qui dura trois ans, qu’étant devenu amou­reux d’une Demoi­selle de condi­tion, il en eut Jean-Antoine de Baïf, qu’il fit ensuite légi­ti­mer. Lazare était un Magistrat fort savant pour son temps ; il était disciple de Budé, et avait été exprès à Rome pour y étu­dier le Grec sous Musurus, de l’Île de Candie. Connais­sant ainsi par lui-même le prix des sciences, il voulut que son fils y fût formé de bonne heure ; dans cette vue il le fit transpor­ter en France peu de temps après sa naissance.

Moi chétif, enfan­te­let tendre,

dit Baïf dans sa Contre-Étrenne à Nicolas Vergèce [PDF_259],

Ce crois-je, encore emmail­lot­té,
En des paniers je fus ôté.…
Hors la mater­nelle cité, &c.

Et dès qu’il fut sorti de l’enfance, on lui donna les meilleurs maîtres. [R]

Baïf nomme lui-même ces maîtres, et les nomme tous avec recon­nais­sance et avec éloge. Charles Étienne et Bonamy commen­cèrent à lui donner les principes de la langue Latine, et Nicolas Vergèce Grec de nation, ceux de la langue Grecque. En 1539 son père étant nommé ambas­sa­deur en Allemagne, et emme­nant avec lui Charles Étienne et Ronsard, laissa son fils sous la conduite de Tussanus, ou Tussan, qui éle­vait dans sa propre maison un nombre de jeunes gens de famille qu’on lui avait envoyés de diverses Provinces de France. Là, dit Baïf, en parlant au Roi,

Là les de Beaune étaient, qui leur belle nature
Y ployèrent un temps sous bonne nourriture,
Pour être quelque jour vos loyaux Conseillers,
Faits Évêques tous deux, et tous deux Chanceliers,
L’un du Duc d’Alençon, l’autre de votre mère.
Là venait Robertet, qui votre Secrétaire
Sieur du Fresne mourut, &c.

Il y avait des Parisiens, des Poite­vins, des Normands, des Touran­geaux, des Champe­nois ; ce qui fait dire encore à Baïf,

Là quatre ans je passai, façonnant mon ramage
De Grec et de Latin ; et de divers langages,
Picard, Parisien, Touran­geau, Poitevin,
Normand, et Champenois, mêlai mon Angevin.

De cette école, Baïf passa en celle de Jean Dorat, sous qui il étudia princi­pa­le­ment l’art poé­tique, et commen­ça à faire des vers tant Latins que Français. [R]

[pauvreté]

Cette bonne édu­ca­tion fut conti­nuée tant que vécut Lazare de Baïf, c’est à dire, jusqu’à environ la quinzième année de son fils. Mais soit que Lazare fût peu riche, soit qu’il n’eût laissé à son fils qu’une pension très médiocre, sa mort laissa celui-ci dans une situ­ation si peu commode, qu’il se vit souvent obli­gé de recou­rir à la géné­ro­si­té de ses amis. Voici encore de quelle manière il s’en explique dans sa Contre-Étrenne à Vergèce.

Depuis, avoué de la France,
Mon aimé pays paternel,
Par quinze ans d’heur continuel
J’accompagnai ma douce enfance.
Mais dès que mon père mourut,
L’orage sur mon chef courut :
Pauvreté mes épaules presse,
Me foule, et jamais ne me laisse, &c.

Il répète les mêmes plaintes en vingt endroits de ses poésies ; quelquefois avec amer­tume, souvent aussi en Philo­sophe qui sait prendre son parti. Mais dans plusieurs autres, comme dans l’Épître à son livre, il avoue qu’il avait reçu plusieurs grati­fi­ca­tions des Princes et des Grands, et en parti­cu­lier de Charles IX auprès duquel son mérite et son nom ne tardèrent pas à l’intro­duire, et qui le fit l’un des Secré­taires de sa Chambre. Il trouva aussi les faci­li­tés de faire au moins deux voyages en Ita­lie, dans l’un desquels il se transpor­ta exprès à Venise pour y visiter le lieu de sa naissance, ainsi qu’il l’écrit au cheva­lier Bonet. Dans une requête qu’il adres­sa à MM. les Prévôts & Éche­vins de Paris, pour être exempté d’aller à la garde & au guet, comme on voulait l’y obli­ger, il dit qu’il était Clerc tonsu­ré, mais qu’il n’avait ni rente, ni office, ni aucun béné­fice, et qu’il était libre de tout enga­ge­ment, n’étant ni veuf, ni marié. Baïf demeurait alors dans un Faubourg de Paris. [R]

[Amours]

La Cléri­ca­ture ne l’empê­cha point de faire l’amour. On voit par ses poésies qu’il eut plusieurs maîtresses. Dans le premier de ses deux livres des Amours de Méline, il dit qu’il n’avait pas encore 21 ans, lorsqu’il fit entendre à cette belle ses accents langou­reux :

J’allai chantant sur les rives de Seine
Lorsque neuf mois je comptais sur vingt ans.

Il sentait cependant tout le frivole de cette occupation, puisqu’il dit à Muret :

Mais quand viendra, qu’oubliant avec l’âge,
Comme tu fais, cette étude trop vaine,…
J’employe mieux mon esprit et mon temps

Mais cette sagesse ne vint pas encore sitôt, comme on le voit par ses quatre livres des Amours de Francine, et ses trois livres des Diverses Amours, dont le troisième est rempli d’obscé­ni­tés. Il était à Poitiers lorsqu’il chanta sa Francine, et avait alors 22 ans. Dans ses Diverses Amours, il se donne pour plus âgé, puisqu’il convient que sa passion le tyran­ni­sait depuis plus de cinq ans. Il prétend qu’il ne jeta sur le papier tant de Sonnets, de Chansons, d’Odes, d’Élé­gies, et autres espèces de poé­sie, qui toutes roulent sur ce même objet, que pour se déchar­ger l’esprit des pensées dont sa passion ne cessait de l’acca­bler, et qu’il y trouvait quelque remède. On croira bien plutôt que cette voie était plus propre à allu­mer le feu qu’à l’éteindre. [R]

[vers mesurés à l’antique]

Du Verdier, dans sa Biblio­thèque, prétend que ce fut Baïf qui le premier intro­dui­sit l’usage de cette poé­sie Française, mesu­rée à la manière des vers Grecs et Latins, dont on trouve en effet plusieurs pièces dans ses œuvres poétiques. Mais Nicolas Rapin s’en attri­bue l’honneur dans une Ode Saphique, impri­mée avec les poé­sies de Scévole de Sainte-Marthe, où il dit :

Sainte-Marthe, enfin je me suis avancé
Sur le train des vieux, et premier commencé
Par nouveaux sentiers m’approchant de bien près

Au mode des Grecs.

Sainte-Marthe lui-même semble ôter cette gloire à Baïf, si une invention si bizarre et si ridicule était un sujet de gloire, dans cette strophe d’une pièce adressée à Nicolas Rapin :

Un Baïf le plus Savant
Des Poètes de notre âge,
Embrassa ce bel ouvrage,
Qu’il voulut mettre en avant.
Mais s’il eut l’Âme battante
Pour l’avoir bien entrepris,
Il ne l’eut pas assez constante
Pour en montrer les écrits

J’avoue néanmoins que cet endroit est obscur, et il est certain que nous avons beaucoup de pièces de Baïf en vers mesurés, et même plusieurs traductions de Poètes Grecs. Pasquier, dans ses Recherches, attribue cette même invention à Jodelle. Quoi qu’il en soit, loin d’immor­ta­liser son inventeur et ceux qui l’ont imité, elle n’a fait que prouver le mauvais goût du siècle qui l’a vu naître, et celui de ceux qui lui ont donné le jour, ou qui l’ont favo­risée. [R]

[Académie]

À cet amour pour les vers mesurés, Baïf joignit celui de la musique, et cet amour lui fit naître la pensée d’établir dans Paris une Aca­dé­mie où l’on culti­ve­rait l’un et l’autre. Il eut pour adjoint dans cette entre­prise Joachim-Thibault de Courville, musi­cien, qui de concert avec lui, en parla au Roi. Tous deux présen­tèrent à Charles IX le plan de cette Aca­dé­mie, avec les statuts et règle­ments qu’ils se propo­saient d’y faire obser­ver. Le Roi applau­dis­sant à leurs vues, leur accorda des Lettres Patentes, au mois de novembre 1570, par lesquelles sa Majes­té donnait aux entre­pre­neurs la permis­sion de choisir dix asso­ciés, six desquels, est-il dit, jouiront des privi­lèges, franchises & liber­tés dont jouissent nos autres domesti­ques ; & afin, ajoute le Roi, que ladite Aca­dé­mie soit suivie & honorée des plus Grands, nous avons libé­ra­le­ment accep­té, & acceptons le surnom de Protec­teur & premier Audi­teur d’icelle. [R]

Ces Lettres envoyées au Parle­ment pour y être véri­fiées et enre­gis­trées, souffrirent quelques diffi­cul­tés. On craignit que cette Aca­dé­mie ne fût une occa­sion de nuire aux bonnes mœurs ; ce qui obli­gea les deux entre­pre­neurs de présen­ter requête au Parle­ment, tendante à ce qu’il plût à la Cour de députer à la première assem­blée de l’Acadé­mie quelques Magis­trats, pour se trouver à une épreuve de la poé­sie & musique dont est question, & en faire le rapport à la Cour. Par la même requête il est deman­dé que le premier Président, et tel des plus anciens Conseil­lers qu’on voudra nommer, avec le Procu­reur Géné­ral, et l’un des deux Avo­cats du Roi, veuillent bien accep­ter d’être de nom & de fait réfor­ma­teur de l’Aca­dé­mie, pour avoir l’œil à ce que rien ne s’y fasse qui soit contre les lois & bonnes mœurs. Sur l’examen de ces Lettres Patentes et Requêtes, la Cour donna le 15 Décembre 1570 ses conclu­sions, par lesquelles il est dit, qu’avant de procéder à la véri­fi­ca­tion desdites Lettres, & entéri­ne­ment de Requête, elle ordonne que tant lesdites Lettres que Requêtes seront commu­ni­quées aux Recteurs & suppôts de l’Univer­si­té de Paris, pour, eux ouïs, en ordon­ner. [R]

En consé­quence, Baïf comparut dans une assem­blée de l’Uni­ver­si­té, tenue le 30  Décembre de la même année, et fit supplique pour obtenir l’érec­tion de son Aca­dé­mie. Lecture faite des pièces, on demanda qu’elles fussent commu­ni­quées aux diffé­rentes facultés qui forment le Corps de l’Université, et que l’on s’infor­me­rait de Baïf s’il voulait se séparer de l’Univer­si­té, ou se soumettre à ses lois. Je n’ai point trouvé la réponse de Baïf dans l’ouvrage de Du Boulay. Le 13 Janvier 1571, l’affaire mise de nouveau en délibération, le Recteur exposa qu’il en avait commu­ni­qué avec l’Évêque de Paris, qui avait promis de se joindre à l’Univer­si­té, si elle donnait de bonnes et valables raisons contre l’érec­tion de cette Aca­dé­mie ; surquoi il fut ordon­né que chaque facul­té exa­mi­ne­rait cette affaire à charge et à décharge ; et le 15 février chacune donna son avis par écrit. Mais le Roi termi­na cette longue discus­sion, en ordon­nant que cette Aca­dé­mie aurait lieu. Henri III n’eut pas moins d’affec­tion que Charles IX pour cette Compa­gnie nais­sante : mais elle fut bientôt déran­gée par les guerres civiles ; et la mort de Baïf, arri­vée en 1591, ache­va de mettre en déroute sa petite socié­té acadé­mique. [R]

[Euvres en rime, 1573]

J’ai tiré les faits que je viens de rappor­ter, des poé­sies même de Baïf, et de l’Histoire de l’Univer­si­té de Paris par Du Boulay. Les Poé­sies de Baïf sont en grand nombre ; ce fut le Poète le plus fécond de son temps ; il rima dès sa première jeunesse, comme il le dit dans une pièce à Jean Dorat, qui est à la fin du troisième livre de ses poèmes, et la passion qu’il eut pour les Muses lui fit négli­ger presque toutes les occa­sions qui se présen­tèrent de s’avan­cer dans le monde. [R]

Dès 1573 Baïf rassem­bla la plus grande partie de ses poé­sies, et les publia en deux volumes in-8°. Le premier, sous le titre d’Euvres en rime, outre une Épître en vers au Roi Charles IX [PDF_4], qui contient une partie de la vie de Lazare de Baïf, son père, et de la sienne, renferme 1° Le premier des Mété­ores, dédié à la Reine Mère Cathe­rine de Médi­cis : c’est une espèce de traité de Physique et d’Astro­no­mie, où il y a quelques opi­nions popu­laires, et en géné­ral beaucoup d’obscu­ri­té [PDF_22]. 2° Présages d’Orpheus sur les tremble­ments de terre, à Jean de Belot [PDF_59] : ce poème, et le premier livre des Mété­ores avaient déjà paru en 1567 in-4° et dans cette édi­tion, on lit du même des vers au peuple Français, Du Roi étant à Paris le premier de l’an 1567 ; une Élégie à la France, par Jodelle ; et un Sonnet de Philippe de Hotman. 3° Vie des Champs [PDF_62]. 4° Le Laurier, à M. de Fizes, Secré­taire d’État [PDF_70]. Voilà ce qui compose ce premier volume, le premier livre des poèmes. [R]

Le second livre commence par une Épître à M. de Gondy, Comte de Retz [PDF_86]. Ensuite on trouve 1° L’Hippo­crène, en vers baïfins, c’est-à-dire, en assez mauvaise prose mesu­rée et rimée [PDF_91]. 2° Les Muses à M. Belot. Baïf y fait, mais d’une manière obscure, prolixe et confuse, l’éloge de la poé­sie, et ceux de Virgile et de Mécenas, et y enchasse celui de Jean Brinon qui était mort [PDF_104]. 3° Du Ménil la belle Agnès Sorelle, au Seigneur de Sorel : c’est la louange de la terre du Mesnil, qu’on nommait aussi la belle Agnès, parce qu’Agnès Sorelle, Maîtresse de Charles IX dont le Poète, peu scrupu­leux, fait aussi l’éloge, avait possé­dé cette terre [PDF_129]. 4° Épître au Roi [PDF_133]. 5° Ambas­sade de Vénus, au Seigneur du Val de Mondre­ville ; c’est une traduc­tion ou imi­ta­tion d’une pièce de Bembe [PDF_135]. [R]

La première pièce du troisième livre des poèmes est fort longue. C’est une invec­tive des plus violentes contre quelqu’un qui avait atta­qué la répu­ta­tion de l’Auteur [PDF_148]. Il y a longtemps que les Poètes ont montré leur extrême sensi­bi­li­té ; souvent plus dignes de reproches que les autres écri­vains, il y en a bien peu qui souffrent patiem­ment la censure. La seconde pièce a pour titre, Amy­mone, à Pierre de Ronsard ; c’est une pièce galante [PDF_171]. La troisième, Remon­trance sur la prise de Calais & Guine [PDF_195]. Les autres pièces sont peu impor­tantes. La dernière est à Dorat [PDF_210], à qui Baïf dit :

À peine étant hors du berceau
Je ne tairai qu’en mon enfance,
Au bord du Chevalin ruisseau
J’allai voir des Muses la Danse,
Par toi, leur saint Prêtre, conduit
Pour être à leurs Fêtes instruit.…
Toujours franc depuis j’ai vécu
De l’ambition populaire,
Et dans moi s’est tapi vaincu
Tout ce qui dompte le vulgaire :
Et constant, auprès de leur bien
Je n’ai depuis estimé rien.

[R]

Les pièces du quatrième livre, sont : Le Mûrier, ou la Fable de Pyrame & Thisbé, à Claude-Catherine de Clermont, comtesse de Retz [PDF_214] ; Hélène, à Hélène Bone de la Tour [PDF_235] ; Cartel des Tenants pour Amour [PDF_240] ; Cartel des Assaillants contre Amour [PDF_243] ; Salmaci, encore sur l’amour [PDF_244] ; la Contre-Étrenne, à Nicolas Vergèce, dont j’ai fait usage [PDF_258] ; La Furie-Mégère, Entremets de la Tragédie de Sophonisbe [PDF_260] ; une Épître où il loue Nicolas Nicolaï sur ses voyages, et les Relations qu’il en a données [PDF_262] ; Dithyrambes pour la pompe du Bouc d’Étienne Jodelle, en 1553 [PDF_266] ; L’Aurore [PDF_273] ; et une Épître à Jean Vatel [PDF_277]. [R]

Il y a encore dans ce premier volume cinq livres de poé­sies diverses ; mais je sens que l’énu­mé­ra­tion en serait ennuyante. Plusieurs sont sur l’amour ; et ce sujet, tant rebat­tu par nos Poètes, est peu attrayant pour un homme sensé ; d’autres sont des Épi­tha­lames, qui n’ont pu inté­res­ser que ceux que le Poète y flattait : ailleurs il chante quelques évé­ne­ments de son temps, comme, la paix faite avec les Anglais en 1549 [PDF_496], la Victoire de Moncon­tour sous la conduite de M.1#8239.le Duc d’Anjou [PDF_513] : ici il donne quelques imi­ta­tions de l’Arioste et de Simo­nide, dont j’ai parlé ailleurs ; ou il fait entendre ses regrets sur la mort de quelque Grand, par exemple, sur celle de Margue­rite de Valois Reine de Navarre [PDF_448] : là, il loue la Maison de Médicis [PDF_454], le Président de Birague [PDF_485], Rémi Belleau [PDF_491], Jacques Amyot [PDF_529], Louis de Gonzague Duc de Nevers [PDF_400] ; se loue lui-même, et parle tantôt de ses travaux, tantôt des regrets, qu’il avait ou qu’il feignait de sentir de s’être trop et trop longtemps occu­pé de la poé­sie. Par exemple, rappe­lant à Charles IX ce qu’il avait déjà dit de vive voix à ce Prince, au sujet de ses travaux poé­tiques, et de son Aca­dé­mie, il parle ainsi [PDF_289_290] :

…………………… Je dis premier comment
En votre Académie on œuvre inces­sam­ment
Pour, des Grecs et Latins imi­tant l’excellence,
De vers et chants réglés décorer votre France
Avecque votre nom ; et quand il vous plairait,
Que vous orriez l’essai qui vous conten­terait.
Je dis qu’étant piqué de la fureur plaisante
Des Muses, plus d’un chant en votre honneur je chante,
Déclarant le désir qui d’une douce ardeur
Brûle mon cœur dévot envers votre Grandeur.
Je dis que j’essayai la grave Tragédie
D’un style majestueux, la basse Comédie
D’un parler simple et net : là suivant Sophoclés,
Auteur Grec qui chanta le décès d’Herculés :
Ici donnant l’habit à la mode de France,
Et le parler Français aux joueurs de Térence :
Térence, Auteur Romain, que j’imite aujourd’hui,
Et comme il suit Ménandre, en ma langue j’ensuis,
Ce que j’ai fait, m’étant commandé de le faire
Afin de contenter la Reine votre mère,
Qui de surtout m’enjoint de fuir lasciveté
En propos offensant sa chaste Majesté.
Après, je vous disais comment je renouvelle
Non seulement des vieux la gentillesse belle
Aux chansons et aux vers ; mais que je remettais
En usage leur danse, &c.

Il parle ensuite du Ballet qu’il avait entre­pris. [R]

[autoportraits]

Voilà un exemple de ce que Baïf pensait de ses travaux ; en voici un de ses regrets, ou des plaintes dont il impor­tu­nait ses amis sur son atta­che­ment à la poésie, qu’il n’en cultivait pas moins. Il s’exprime ainsi en écri­vant à M. de La Mosle [PDF_551] :

Quand malcontent rêveur je pense
Que vingt et cinq ans par la France
J’ai fait ce malheureux métier,
Sans recevoir aucun salaire
De tant d’ouvrages qu’ai su faire,
Ô que j’eusse été Coquetier !…

Et ma tête à demi pelée
Grisonne : et ma barbe mêlée
Montre des touffets de poil blanc.
De dents ma bouche est dégarnie :
La goutte déjà me manie :
Et n’ai de rente un rouge blanc.…

Et quatre dizaines d’années
En vain déjà sont retournées,
Depuis qu’au monde je naquis.
Je cri’rai, s’il faut que je meure,
(Si je n’ai fortune meilleure)
Je meurs qui jamais ne véquis.…

Si les arts étaient en estime,
Je sais, si je ne suis le prime,
Que je ne suis pas le dernier, &c.

Il répète à peu près les mêmes choses dans l’Épitre à son livre, pièce remplie de ver­biage, comme le reste de ses poé­sies, mais dans la­quelle il se peint lui-même assez natu­rel­le­ment. Peut-être ne serez-vous pas fâché de voir ce por­trait ; c’est par ces sortes de pein­tures qu’on connaît un Auteur. Je ne vous en donne­rai d’ailleurs que les traits princi­paux [PDF_562].

Dis, que je suis du bon Lazare
Fils naturel, qui ne m’égare
De la trace de sa vertu.…

Dis, que pauvreté ni l’envie
N’ont su tant abattre ma vie,
Que mon los ne soit apparu :
Et que volant d’assez haute aile
Pour trouver la gloire immortelle,
Devant les Grands j’ai comparu.

Pour un, qui mené d’ignorance
Ou d’une maline méchance,
Voulut amoindrir mon renom,
Dix savants et francs de rancune
Ont dit ingrate ma fortune,
Qui ne répondait à mon nom.…

Mon Livre, n’oubli’ pas à dire,
À quiconque te viendra lire,
Que n’ai fourvoyé de la foi :
Dis que jamais dans ma cervelle
N’entra religion nouvelle,
Pour ôter celle de mon Roi.

Dis que cherchant d’orner la France
Je pris de Courville accoin­tance,
Maître de l’art de bien chanter :
Qui me fit, pour l’art de Musique
Réformer à la mode antique,
Les vers mesurés inventer.…

Dis leur que je fus débonnaire :
Souvent pensif : parfois colère :
Mais soudain il n’y paraissait.…

Après ce portrait de son esprit et de son cœur, Baïf trace ainsi celui de sa personne.

J’eus les membres grêles allègres,
Forts assez, bien qu’ils fussent maigres,
Pour gaillard et sain me porter.
De hauteur moyenne et non basse.
Dieu m’a fait souvent de sa grâce
Valeureux le mal supporter.

J’eus large front, chauve la tête,
L’œil tanné creusé dans la tête,
Assez vif, non guère fendu :
Le nez de longueur mesurée :
La face vive et colorée :
Le poil chatain droit étendu.

Dans la même Épître il parle ausi de ses amours ; et c’est par le recueil des vers presque sans nombre, que cette passion lui a fait enfan­ter, que finit le premier volume de ses poé­sies, où on lit aussi six Sonnets d’Étienne de la Boëtie [PDF_974]. [R]

[théâtre]

Le second volume contient les Jeux de Jan-Antoine de Bayf, dédiés à M. le Duc d’Alen­çon, frère du Roi. Ces jeux ren­ferment dix-neuf Éclogues sur dif­fé­rents sujets ; Anti­gone, Tra­gé­die, tra­duite de So­phocle, dé­diée, par une Épître en vers, à Éli­za­beth d’Au­triche, Reine de France : Le Brave, Comé­die, imi­tée, et tra­duite en par­tie du Miles glo­rio­sus de Plaute : L’Eu­nuque, Comé­die de Té­rence, c’est-à-dire, en par­tie tra­duite, et imi­tée en par­tie de cet ancien co­mique : Devis des Dieux, pris de Lucian : c’est une tra­duc­tion libre des Dia­logues de Lucien, inti­tu­lés : le Juge­ment des trois Déesses : Vénus et l’Amour : Pan et Mer­cure : Junon et Jupi­ter : Vul­cain et Apol­lon. Je ne dirai rien de ces pièces : je vous ai par­lé ail­leurs des tra­duc­tions de So­phocle, de Plaute et de Té­rence. […]

L’abbé GOUJET,
Biblio­thèque fran­çaise,
ou His­toire de la Litté­ra­ture fran­çaise,
tome 13, 1752, pp. 340-359
[Gallica, NUMM-50656, PDF_366_385]
(texte modernisé).


Liens

Éditions en ligne

* Les Œuvres en vers mesu­rés sont publiées par Olivier Bettens dans la gra­phie ori­ginale vou­lue par Baïf. Ce très impres­sion­nant tra­vail d’édition n’est qu’une par­tie du site virga consa­cré au fran­çais chan­té.


Anthologie en ligne

* Une page Baïf avec trois imi­ta­tions de l’« Ode à l’Aimée » de Sappho (dont deux chan­son­nettes me­su­rées) sur sa­phisme.com.


Études

* Les articles en ligne consacrés tout ou partie à Baïf sur Persée, por­tail d’édi­tion élec­tro­nique de revues scien­ti­fiques en sciences hu­maines et so­ciales.

Liens valides au 28/07/23.



Jamais dans mon oreille,

autre son que sa voix


En ligne le 12/12/04.
Dernière révision le 21/11/23.