Chez Olivier de Magny. Envoyé en mission dans le Périgord, le Rouergue, le Quercy. Quand Magny était sur le départ, à cause du parti à prendre entre les vêtements et les livres, ou sur le point de retourner, à cause de tout ce qu’il avait acheté, particulièrement de vêtements et de livres, qui ne rentraient plus dans les malles, il se mettait à haïr le dessein même de déplacement. Et cette fois sans espoir c’est-à-dire sans femme, vers aucune d’entre elles. Il ne pouvait plus en pénétrer une sans l’infester, il ne pouvait plus leur offrir que le service de sa main. Mais il ne pensait pas exclusivement à elles, il pensait à son mal, sur le point de retrouver son castel de Magny près de Castelnau, et à Cahors la maison de sa mère sur la Carriera Major, avec son mal. Il n’aurait plus jamais le cœur d’écrire : petit jardin petite plaine petit bois petite fontaine et petits coteaux d’alentour. Le cocher la voiture avec le jour allaient venir. Lorsqu’on l’appela par son nom. Il entendit quelqu’un appeler sans crier. Le danois bleu se mit à gronder.
[…]
Jodelle monta quatre à quatre, il méprisait la lenteur des marches. Sur le seuil il eut une sorte de pressentiment et quand il se trouva au milieu de la pièce bouleversée il fut sur le point de se trouver mal. Le bouleversé c’était lui, projeté au milieu d’un désordre riche et léger qu’il ne connaissait pas, désordre ennemi parce qu’il ressemblait si peu au sien. Une selve d’habits démultipliait Magny en autant d’hommes qu’il avait été en chacun de ses costumes et moments du jour, de la cape ourlée de loutre du matin à la robe de chambre en velours du soir, qui s’ouvre sur un fourreau de dentelle. Jodelle en fut retourné. La légèreté et l’amour qu’on se prodigue à soi-même le circonvenaient. Il était subjugué par cette suite éparse d’habits jetés, pendus, pliés, ce fouillis de bottes, cuirs, chausses, fourrures, manteaux, pourpoints, brocarts, damas, matières qu’il était incapable de reconnaître et de nommer, dont les couleurs se lançaient les unes contre les autres et que le linge pâle d’être habituellement au secret, loin de calmer, avivait.
[…]
— Un verre de vin, dit Magny, cela te fera du bien. Tu ne savais pas ? Ordre de mission. Je pars dans le Périgord, le Quercy, le Rouergue, demain, ce matin même, à l’aube.
Jodelle but. Quand il eut retrouvé ses jambes, il se leva. Il parcourut la pièce jusqu’à ce que tout ce qui l’avait fléché se soit fixé dans son esprit pour en flécher à son tour les autres. Et quand il eut pris à Magny tout ce qu’il pouvait lui prendre, il retrouva le souffle, sa voix l’assura qu’ayant eu connaissance de son départ il avait tenu à passer lui souhaiter la fortune du voyage. Il s’approcha du poète, il l’étreignit comme un frère. Mais plus petit, aussitôt abrité, il demeura un moment sous le visage, à respirer le violent parfum dont Magny se couvrait et dont personne n’avait découvert la composition – jasmin, tubéreuse ? – jusqu’à ce que le danois les sépare en grondant.
Florence DELAY,
L’insuccès
de la fête, pp. 36-38,
Gallimard, 1980.
Liens
Étude en ligne
* On peut consulter et télécharger sur Gallica The sources of Olivier de Magny’s sonnets, article en anglais consacré aux sources italiennes des sonnets de Magny dans les Amours et les Soupirs, avec de nombreuses citations de sonnets intégraux en français et en italien, de Leon Emile Kastner, paru dans la revue Modern Philology de l’Université de Chicago, volume 7, juillet 1909 - avril 1910, pp. 27-48.
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Compte rendu de lecture
* On peut lire un compte rendu de lecture, par Guillaume de Sauza, de Olivier de Magny, Œuvres poétiques, tome II, édition publiée chez Champion en 2006, paru dans la revue Réforme, Humanisme, Renaissance, (volume 64, 2007) consultable sur Persee, portail de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.
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En ligne le 12/12/04.
Dernière révision le 24/03/24.