Marc Antoine MURET
(1526-1585)
Premier poème en ligne :
1552 : Qui en la gaye saison…
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attendant mieux

 

Montaigne,
Essais, I, 26,
De l’institution
des enfants,
[extraits]
1598.

 

[…] Le monde n’est que babil, et ne vis jamais homme, qui ne dise plu­tôt plus, que moins qu’il ne doit : tou­te­fois la moi­tié de notre âge s’en va là. On nous tient quatre ou cinq ans à en­tendre les mots et les coudre en clauses, en­core autant à en pro­por­tion­ner un grand corps éten­du en quatre ou cinq par­ties, autres cinq pour le moins à les savoir brè­ve­ment mêler et entre­la­cer de quelque sub­tile façon. Laissons-le à ceux qui en font pro­fes­sion ex­presse. […] [R]

[on imite en vain Ronsard et Du Bellay]

C’est ce que répon­dit Ménandre, comme on le tan­ça, appro­chant le jour, auquel il avait pro­mis une comé­die, de quoi il n’y avait encore mis la main : Elle est com­po­sée et prête, il ne reste qu’à y ajou­ter les vers. Ayant les choses et la matière dis­po­sée en l’âme, il met­tait en peu de compte le demeu­rant. Depuis que Ron­sard et Du Bel­lay ont don­né cré­dit à notre poé­sie Fran­çaise, je ne vois si petit appren­ti, qui n’enfle des mots, qui ne range les cadences à peu près, comme eux. Plus sonat quam valet[1]. Pour le vul­gaire, il ne fut jamais tant de poètes : Mais comme il leur a été bien aisé de représen­ter leurs rythmes, ils demeurent bien aussi courts à imi­ter les riches des­crip­tions de l’un, et les déli­cates inven­tions de l’autre. […] [R]

[séduction de l’éloquence]

L’élo­quence fait injure aux choses, qui nous dé­tourne à soi. Comme aux accou­tre­ments, c’est pusil­la­ni­mi­té, de se vou­loir mar­quer par quelque façon par­ti­cu­lière et inu­si­tée. De même au lan­gage, la recherche des phrases nou­velles, et des mots peu connus, vient d’une ambi­tion scho­las­tique et pué­rile. Pussé-je ne me ser­vir que de ceux qui servent aux halles à Paris ! […] [R]

[apprentissage du grec et du latin coûteux en temps]

Je vou­drais pre­miè­re­ment bien sa­voir ma langue, et celle de mes voi­sins, où j’ai plus ordi­naire com­merce. C’est un bel et grand agen­ce­ment sans doute, que le Grec et La­tin, mais on l’achète trop cher. Je dirai ici une façon d’en avoir meil­leur mar­ché que de cou­tume, qui a été essayée en moi-même ; s’en ser­vi­ra qui vou­dra. Feu mon père, ayant fait toutes les recherches qu’un homme peut faire, par­mi les gens sa­vants et d’en­ten­de­ment, d’une forme d’ins­ti­tu­tion exquise, fut avi­sé de cet incon­vé­nient, qui était en usage : et lui disait-on que cette lon­gueur que nous met­tions à apprendre les langues qui ne leur coû­taient rien, est la seule cause, pour­quoi nous ne pou­vons arri­ver à la gran­deur d’âme et de connais­sance des anciens Grecs et Ro­mains. Je ne crois pas que c’en soit la seule cause. [R]

[un Allemand très bien versé en latin]

Tant y a que l’expé­dient que mon père y trou­va, ce fut qu’en nour­rice, et avant le pre­mier dénoue­ment de ma langue, il me don­na en charge à un Alle­mand, qui depuis est mort fa­meux méde­cin en France, du tout igno­rant de notre langue, et très bien ver­sé en la La­tine. Cet­tui-ci, qu’il avait fait venir exprès, et qui était bien chè­re­ment ga­gé, m’avait continu­el­le­ment entre les bras. Il en eut aus­si avec lui deux autres moindres en savoir, pour me suivre, et sou­la­ger le pre­mier : ceux-ci ne m’en­tre­te­naient d’autre langue que La­tine. [R]

[« nous nous latinisâmes »]

Quant au reste de sa mai­son, c’était une règle invio­lable, que ni lui-même, ni ma mère, ni va­let, ni cham­brière, ne par­laient en ma com­pa­gnie qu’au­tant de mots de La­tin, que cha­cun avait appris pour jar­gon­ner avec moi. C’est mer­veille du fruit que cha­cun y fit : mon père et ma mère y apprirent assez de la­tin pour l’en­tendre, et en acquirent à suf­fi­sance, pour s’en ser­vir à la néces­si­té, comme firent aus­si les autres do­mes­tiques, qui étaient plus atta­chés à mon ser­vice. Somme, nous nous lati­ni­sâmes tant, qu’il en regor­gea jus­ques à nos vil­lages tout au­tour, où il y a encore, et ont pris pied par l’usage, plu­sieurs appel­la­tions La­tines d’arti­sans et d’ou­tils. [R]

[Muret et autres précepteurs]

Quant à moi, j’avais plus de six ans, avant que j’en­ten­disse non plus de Fran­çais ou de Pé­ri­gour­din que d’Ara­besque : et sans art, sans livre, sans gram­maire ou pré­cepte, sans fouet, et sans larmes, j’avais appris du La­tin, tout aus­si pur que mon maître d’école le savait : car je ne le pou­vais avoir mê­lé ni alté­ré. Si par essai on me vou­lait don­ner un thème, à la mode des col­lèges ; on le donne aux autres en Fran­çais, mais à moi il me le fal­lait don­ner en mau­vais Latin, pour le tour­ner en bon. Et Nico­las Grou­chi, qui a écrit de comi­tiis Roma­no­rum, Guil­laume Gue­rente, qui a com­men­té Aris­tote, Georges Bucha­nan, ce grand poète Écos­sais, Marc Antoine Muret (que la France et l’Ita­lie recon­naît pour le meil­leur ora­teur du temps)[2], mes précep­teurs domes­tiques, m’ont dit sou­vent, que j’avais ce lan­gage en mon en­fance, si prêt et si à main, qu’ils crai­gnaient à m’accos­ter. […] [R]

[jeu de grec]

Quant au Grec, duquel je n’ai qua­si du tout point d’in­tel­ligence, mon père des­sei­gna me le faire apprendre par art. Mais d’une voie nou­velle, par forme d’ébat et d’exer­cice : nous pelo­tions nos décli­nai­sons, à la ma­nière de ceux qui par cer­tains jeux de ta­blier apprennent l’Ari­thmé­tique et la Géo­mé­trie. Car entre autres choses, il avait été conseil­lé de me faire goû­ter la science et le de­voir, par une volon­té non for­cée, et de mon propre dé­sir ; et d’éle­ver mon âme en toute dou­ceur et liber­té, sans ri­gueur et contrainte. [R]

[réveil en musique]

Je dis jusqu’à telle super­sti­tion, que parce qu’au­cuns tiennent que cela trouble la cer­velle tendre des en­fants, de les éveil­ler le ma­tin en sur­saut, et de les arra­cher du som­meil (au­quel ils sont plon­gés beau­coup plus que nous ne sommes) tout à coup, et par vio­lence, il me fai­sait éveil­ler par le son de quelque ins­tru­ment, et ne fus ja­mais sans homme qui m’en ser­vit. […] [R]

[les tra­gé­dies la­tines au col­lège de Guyenne]

Mettrai-je en compte cette facul­té de mon en­fance, une assu­rance de vi­sage, et sou­plesse de voix et de geste, à m’ap­pli­quer aux rôles que j’en­tre­pre­nais ? Car avant l’âge,

Alter ab undecimo tum me vix ceperat annus:

j’ai soute­nu les pre­miers per­son­nages, ès tra­gé­dies la­tines de Bucha­nan, de Gue­rente, et de Mu­ret, qui se repré­sen­tèrent en notre col­lège de Guyenne avec digni­té. […] [R]

MONTAIGNE,
Essais, 1598,
pp. 145-146; 149; 150-152
[Gallica, NUMM-71975]
(orthographe moder­ni­sée, ponctua­tion d’ori­gine).


Notes

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(1) « Ça sonne plus que ça ne vaut », Sénèque, Lettres à Lucilius, IV, 40.

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(2) Le nom de Muret n’est pas dans la liste des pré­cep­teurs de Mon­taigne dans la pre­mière édi­tion des Essais de 1580. Il appa­raît dans celle de 1588, sans la paren­thèse élo­gieuse, la­quelle fi­gure seu­le­ment dans l’édi­tion de 1595.



Abbé Raynal,
Anecdotes littéraires,
1756.

 

I

Muret qui avait l’esprit vif, sa­vait, quand les éco­liers fai­saient du bruit et l’in­ter­rom­paient, les pu­nir aus­si­tôt par quelque mot pi­quant qui les te­nait en­suite dans le respect. Un d’entre eux ayant un jour por­té en classe une cloche, vint à son­ner pen­dant l’ex­pli­ca­tion. Vrai­ment, dit Muret sans s’émou­voir, j’au­rais été bien sur­pris si dans ce tas de bêtes, il ne s’était trou­vé un Bé­lier avec sa cloche pour con­duire le trou­peau.

II

Lorsque Muret était pro­fes­seur à Pa­ris, les lieux où il ensei­gnait, étaient rem­plis d’une si grande foule de monde, qu’il ne res­tait point de place où il pût pas­ser, de sorte qu’il était éle­vé sur les épaules de ses Audi­teurs, et por­té ain­si jus­qu’à sa Chaire.

III

Muret fut accu­sé à Tou­louse d’un crime hon­teux ; un Conseil­ler du Par­le­ment fut chez lui, pour lui don­ner avis des pour­suites qu’on fai­sait contre lui, et ne l’ayant pas trou­vé, il lui écri­vit ce Vers :

Heu fuge crudeles terras, fuge littus avarum[1]

Muret, aver­ti par là du pé­ril qu’il cou­rait, sor­tit du Royaume, et prit le che­min d’Ita­lie, où il tom­ba ma­lade dans une hô­tel­le­rie. Comme il était mal vê­tu, et qu’il avait mau­vaise mine, les Méde­cins qui le trai­taient, le pre­nant pour tout autre qu’il n’était, dirent entre eux, par­lant La­tin, qu’il fal­lait qu’ils fissent l’essai sur ce corps vil, d’un re­mède qu’ils n’avaient pas en­core éprou­vé : Facia­mus expe­ri­men­tum in cor­po­re vi­li. Mu­ret connais­sant le dan­ger où il était, se le­va du lit dès que les Méde­cins furent sor­tis de sa chambre ; et ayant conti­nué son che­min, se trou­va gué­ri de son mal, par la seule crainte du re­mède qui lui avait été pré­pa­ré.

abbé RAYNAL,
Anecdotes littéraires,
nouvelle édition augmentée,
tome premier, 1756, pp. 39-40
[Gallica, NUMM-108424, PDF_46_47]
(orthographe moder­nisée, ponctuation d’origine).



Notes

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(1) Rabelais, dans le chapitre X du Tiers-Livre, trai­tant pour par­tie des sorts homé­riques et vir­gi­liens (on ouvre au ha­sard Ho­mère ou Vir­gile pour lire l’ave­nir), cite et tra­duit ce vers de Vir­gile :
« En M. Pierre Amy: quand il explo­ra pour sçavoir s’il eschap­pe­roit de l’em­busche des Far­fa­detz, & ren­con­tra ce vers, Aeneid. 3.
    Heu fuge crudeles terras, fuge littus avarum.
    Laisse soubdain ces nations Barbares,
    Laisse soubdain ces rivages avares.
Puys eschap­pa de leurs mains sain & saulve. »

[transcription du Tiers-Livre par Fran­çois Bon, dis­po­nible sur Athena].



Paul Laumonier,
Ronsard poète
lyrique,
1906.

[…] Le volume des Amours se ter­mi­nait par quatre Odes nou­velles. […]

La deuxième pièce [Les Îles for­tu­nées. A Marc Antoine de Muret. Puisqu’Enyon d’une effroyable trope…] a une grande va­leur his­to­rique et par là doit rete­nir notre atten­tion. Elle nous fait connaître, en effet, la plu­part des membres de la Bri­gade au prin­temps de 1553 […]. [Ronsard] l’a pla­cé là […] aus­si parce qu’il avait hâte d’ex­pri­mer publi­que­ment sa recon­nais­sance à l’hu­ma­niste Mu­ret.

Celui-ci était arri­vé à Paris vers le mi­lieu de 1551, pré­cé­dé d’une écla­tante répu­ta­tion de pro­fes­seur, acquise à Poi­tiers et à Bor­deaux ; son suc­cès dans cette der­nière ville avait été si consi­dé­rable que des Pari­siens y étaient allés pour l’écou­ter, et je ne serais pas éton­né que Ron­sard en 1547 eût entre­pris le voyage de Gas­cogne avec cette inten­tion sur le conseil de Dorat. À Pa­ris la gloire de Mu­ret n’avait fait que croître, au point que le roi et la reine se dépla­cèrent pour goû­ter son ensei­gne­ment. Un tel maître, inter­prète élo­quent d’Ho­mère, de l’An­tho­lo­gie grecque et des élé­giaques la­tins, ne pou­vait qu’être admi­ré de la Bri­gade, qui le pro­cla­ma « di­vin » à l’égal de Do­rat, et su­bit son influence pro­fonde, d’au­tant plus qu’il avait l’avan­tage de la jeu­nesse (28 ans en 1552, comme Ron­sard) et par­ta­geait tous les goûts de ces joyeux vi­vants. Très vite une grande inti­mi­té s’éta­blit entre eux et lui ; des vers très ad­mi­ra­tifs furent échan­gés ; on se ren­con­tra à la table du pro­digue Jean Bri­non, que ses hôtes chan­taient à l’en­vi et au­quel Mu­ret dé­dia son vo­lume de Juve­ni­lia le 1er dé­cembre 1552. Muret com­po­sa la mu­sique d’un son­net des Amours de Ron­sard ; Ron­sard le nom­ma par­mi ses émules en « éro­to­lo­gie » dans l’épi­logue du même re­cueil ; Mu­ret écri­vit une ode Ad P. Ron­sar­dum Gal­li­co­rum poe­ta­rum faci­le prin­ci­pem ; Ron­sard lui dé­dia les dix-sept épi­grammes des Folas­tries qu’il avait tra­duites de l’Antho­lo­gie grecque à son exemple ou sur son conseil ; enfin Mu­ret com­men­ta la 2e édi­tion des Amours, et ce fut en re­tour de cette pré­cieuse col­la­bo­ra­tion que Ron­sard lui consa­cra le poème des Îles for­tu­nées, où Mu­ret est pris pour « guide vé­né­rable » de la jeune école au pays ima­gi­naire du bon­heur.





Liens

Étude en ligne

* On peut lire au format PDF un article de Lucie Claire, Marc Antoine Muret, lec­teur de Tacite, dans « Philo­sophie, rhé­to­rique et poé­tique la­tines, de l’An­ti­qui­té à la Renais­sance », pre­mier numé­ro pa­ru en jan­vier 2007 de la re­vue Camenae, revue en ligne pu­bliée initia­le­ment par l’Uni­ver­si­té Paris IV et consa­crée à « l’ex­plo­ra­tion de la phi­lo­so­phie, de la lit­té­ra­ture et des arts du monde ro­main an­tique, de la rela­tion entre ces disci­plines et de leur récep­tion au Moyen Âge et à la Renais­sance ».

Liens valides au 09/04/22.


Vie de Muret

* Une page du site La Gaya scienza, site ita­lien sur l’homo­sexua­li­té et la cul­ture, est consa­crée à Marc Antoine Muret et joli­ment illus­trée (por­trait, fron­tis­pice d’une édi­tion de 1557, pho­to­gra­phie de l’Uni­ver­si­té de Padoue et gra­vure de celle de la Sapien­za à Rome, où Muret ensei­gna).

* On peut lire en ligne un article de Xavier Hous­sain consacré aux mé­moires fic­tifs de Mu­ret pu­bliés en 2009 par Gérard Ober­lé, Mémoires de Marc-Antoine Muret, de Gérard Ober­lé : Gérard Ober­lé au temps de la Renais­sance sur le site du Monde.

Liens valides au 09/04/22.


Musique

* On peut entendre, sur YouTube, la com­po­si­tion poly­pho­nique de Mu­ret sur Ma petite Colom­belle de Ron­sard, inter­pré­tée par l’Egidius Quar­tet sur le disque Ron­sard et les Néer­lan­dais (2003).

Liens valides au 09/04/22.




En ligne le 31/01/08.
Dernière révision le 09/04/22.