Pierre de RONSARD (1524-1585)
Paris, veuve Maurice de La Porte, 1553.

QUand au premier la Dame que j’adore,
De ces beautés vint embellir les cieux,
Le fils de Rhée appela tous les Dieux,
Pour faire encor d’elle une autre Pandore.

Lors Apollin richement la décore,
Or, de ses rais lui façonnant les yeux,
Or, lui donnant son chant mélodieux,
Or, son oracle et ses beaux vers encore.

Mars lui donna sa fière cruauté,
Vénus son ris, Dione sa beauté,
Pithon sa voix, Cérès son abondance.

L’Aube ses doigts et ses crins déliés,
Amour son arc, Thétis donna ses pieds,
Clion sa gloire, et Pallas sa prudence.

«««  Commen­taires  »»»
de Muret

Quand au premier.) Il dit, que quand sa dame vint au monde, tous les dieux, d’un commun accord, lui donnèrent tout ce qu’un chacun d’eux avait de singulier. Le fils de Rhée.) Jupiter fils de Saturne, et de Rhée, autrement nommée Cybèle. Pour faire encor d’elle une autre Pandore.) Après que Prométhée, comme j’ai déjà dit eut dérobé le feu du ciel, Jupiter, pour se venger des hommes, donna charge à Vulcain, qu’il fît de terre une statue de femme la plus belle qu’il pourrait, et qu’il l’animât : ce qui fut fait. Après qu’elle fut animée, par comman­dement de Jupiter, un chacun des dieux lui donna ce qu’il avait de plus excellent. Comme Vénus la beauté, Pallas la sagesse, Mercure l’éloquence : et les autres dieux de même. Or en ce temps-là les hommes vivaient sans peine, et sans souci : d’autant que la terre, sans être labourée, leur produisait toutes choses néces­saires à vivre. Jamais n’étaient malades : jamais n’envieil­lissaient. Mais Jupiter mit à Pandore (ainsi se nommait cette femme, pour la cause que je dirai après) un vase en main, dans lequel étaient encloses les maladies, la vieillesse, les soucis, et telles autres malheurtés : puis l’envoya vers un frère à Prométhée, qui se nommait Épi­méthée, homme de peu de sens : lequel (combien que son frère l’avait bien averti de ne recevoir aucun présent, qui vînt de Jupiter) toutefois se laissa par elle abuser et la reçut. Étant reçue, elle ouvrit son vase, et remplit tout le monde des drogues, que j’ai ci-dessus nommées. Hésiode le raconte au livre nommé, Les œuvres et les jours. La raison de son nom est telle : Pan en Grec signifie, tout : et doron est à dire un don, ou présent. Elle fut donc nommée Pandore, parce que chacun des dieux lui fit un présent. Hésiode,

        - ὀνόμηνε δὲ τήνδε γυναῖκα
Πανδώρην, ὅτι πάντες ᾿Ολύμπια δώματ' ἔχοντες
δῶρον ἐδώρησαν, πῆμ' ἀνδράσιν ἀλφηστῇσιν.

Lors Apollin.) Ainsi disaient les vieux Français, non pas, comme nous disons aujourd’hui, Apollon. Or son oracle.) La puissance de prédire les choses futures. Il regarde à cette ancienne Cassandre, qui, comme j’ai dit, fut prophète. Vénus son ris.) Vénus est appelée par Horace, la riante,
Siue tu mauis Erycina ridens.
Hésiode l’appelle φιλομειδης, c’est-à-dire aime-ris : combien qu’aucuns baillent une autre exposition à ce nom, laquelle est moins honnête que vrai­sem­blable. Dione sa beauté.) Dione, selon Homère au cinquième de l’Iliade, est mère à Vénus. Hésiode en la Théo­gonie, la nombre entre les Nymphes de l’Océan. Pithon sa voix.) Pithon est déesse d’élo­quence, ou de persuasion, nommée par les Latins Suada, ou Suadela. Cérès son abon­dance.) Ses richesses. Hésiode sur la fin de la Théo­gonie raconte, que Plutus dieu des richesses fut engendré de Cérès, et d’un nommé Jasion. L’Aube ses doigts, et ses crins déliés.) L’Aube, qu’on nomme autrement Aurore, est louée d’avoir beaux doigts, et beaux crins par les Poètes, qui la nomment ore ροδοδακτυλος, ores ευπλόκαμος. Thétis donna ses pieds.) Elle est appelée en Homère, la déesse aux pieds d’argent. Clion sa gloire.) Clion est une des Muses, de laquelle le nom est dérivé de la gloire, qui se nomme en Grec κλἐος. Et Pallas sa prudence.) Pallas, autrement nommée Minerve, déesse de sagesse.
____
[texte modernisé]
[R]

 
 

En ligne le 17/06/11.
Dernière révision le 24/02/13.