Francesco PETRARCA
(1304-1374)
Dernier poème en ligne :
Canz., 248 : Chi vuol veder…

Et transmuer d’un corps en autre

l’âme          

 

Thèmes.

[beauté physique]

1° Descrip­tion de la beau­té phy­sique de la bien-ai­mée qui est idé­ale : les che­veux, les yeux, le teint, la bouche, les mains, les bras, les pieds, la dé­marche, l’at­ti­tude, la voix, le sou­rire, sur­tout les yeux larges et bril­lants, qu’Amour a fait mou­voir de si douce fa­çon à la pre­mière ren­contre (le bel accueil). [R]

[beauté morale]

2° Descrip­tion de sa beau­té mo­rale qui est an­gé­lique : bien­veil­lance et com­mi­sé­ra­tion hon­nêtes, mo­des­tie, man­sué­tude, haute in­tel­li­gence, rai­son, chas­te­té, dé­cence, di­gni­té, ré­sis­tance, ri­gueur. [R]

[influence physique et psychique]

3° Influ­ence physique et psy­chique de ces deux genres de beau­té sur l’amant : sou­pirs, lan­gueur, pâ­leur, fièvre, in­som­nie, larmes, perte du libre ar­bitre, obses­sion par l’image de l’ai­mée, cris­tal­li­sa­tion de toute pen­sée autour de l’ex­clu­sive pen­sée, in­dif­fé­rence et dé­goût pour tout ce qui lui est étran­ger, goût de la so­li­tude et prin­ci­pa­le­ment des lieux où l’amant est deve­nu amou­reux, où l’ai­mée a vécu, où elle habite, et aux­quels il parle comme à des amis ; par contre, ti­mi­di­té et si­lence en pré­sence de l’ai­mée, dont la su­pé­rio­ri­té trop émi­nente en im­pose à l’amant. [R]

[antagonisme des effets]

4° Anta­go­nisme des effets pro­duits par ces deux genres de beau­té, dont le pre­mier entre­tient l’es­poir de l’amant et le fait vivre, le se­cond le dé­ses­père et le fait mou­rir : ana­lyse du bien­heu­reux mar­tyre, qu’il bé­nit tout en le dé­plo­rant. [R]

[influence morale]

5° influ­ence morale de l’aimée sur l’amant : Pé­trarque, en ai­mant Laure, tend au Bien idéal ; sa pen­sée s’élève jus­qu’au ciel et se pu­ri­fie ; son pro­fond amour est une ver­tu qui en­gendre toutes les autres, en par­ti­cu­lier le sen­ti­ment de l’hon­neur et de la fi­dé­li­té iné­bran­lable, que la mort même ne pour­ra vaincre. [R]

[influence esthé­tique]

6° Influ­ence esthé­tique : enthou­sias­mée par l’admi­ra­tion, exal­tée par l’espoir, l’âme de l’amant prend cons­cience du Beau abso­lu et cherche à le réa­li­ser en chan­tant les joies inef­fables de sa vi­sion ; irri­tée par l’obs­tacle, attris­tée par l’im­pos­si­bi­li­té de sa­tis­faire le dé­sir, elle chante en­core, mais cette fois pour ber­cer sa dou­leur, et ses chants dé­ses­pé­rés sont éga­le­ment beaux. Dans les deux cas, l’idée est assez poi­gnante, le sen­ti­ment assez vif, le trans­port assez fort pour faire dé­bor­der le cœur : l’amant de­vient poète ly­rique et poète si ins­pi­ré que ses chants lui assurent, ain­si qu’à l’aimée, une gloire immor­telle… [R]

[l’amour pétrar­quesque]

Voilà pour le fond. On voit qu’il faut se gar­der de con­fondre l’amour pé­trar­quesque et l’amour pla­to­nique. L’amour que pré­co­nise Pla­ton, celui qui a pour objet l’âme éter­nelle et la beau­té abso­lue, est exempt de toute souf­france(1). Pé­trarque, il est vrai, a aimé Laure « pour les rayons du ciel » qu’elle por­tait en sa per­sonne ; c’était d’ail­leurs le fait d’un chré­tien au­tant que d’un pla­to­ni­cien ; et l’on sait que Pé­trarque, avec son auteur fa­vo­ri saint Augus­tin, a goû­té sur­tout dans Pla­ton le chris­tia­nisme anti­ci­pé. Son amour fut pla­to­nique, en ce sens qu’il lui per­mit de s’éle­ver à la contem­pla­tion du Beau et du Bien [a]. Mais il fut en même temps élé­giaque, parce qu’il y avait en Pé­trarque un homme très sen­sible et un hu­ma­niste nour­ri de Vir­gile et des élé­giaques la­tins : tout en glo­ri­fiant la va­leur mo­rale de Laure, il cé­lé­bra les charmes de l’en­ve­loppe éphé­mère où son âme res­plen­dis­sait, et pleu­ra de ne pou­voir en jouir. D’autre part, on re­trouve dans le Can­zo­niere l’in­flu­ence des trou­ba­dours au moins au­tant que celle de Pla­ton et des pla­to­ni­ciens la­tins(2). Pé­trarque a aimé d’un amour che­va­le­resque (d’ail­leurs épu­ré, plus sub­til), qui, comme la plu­part des sen­ti­ments de la che­va­le­rie, eut pour prin­cipe le chris­tia­nisme. Même la deuxième par­tie du Can­zo­niere, où ses dé­ses­poirs se chan­gèrent sous l’em­pire de la foi en une ra­dieuse espé­rance, éter­ni­sant au ciel une ado­ra­tion qui avait du­ré vingt ans sur la terre, même cette par­tie, si chré­tienne et dan­tesque, est en germe dans la poé­sie pro­ven­çale (3). [R]

Style.

[Images]

1° Images, méta­phores et compa­rai­sons les plus carac­té­ris­tiques : cheveux d’or, sourcils d’ébène, teint de lis et de rose, lèvres de rose, dents ou doigts de perles, front ou main d’ivoire, cou d’albâtre ou de neige ; les yeux sont des astres, qui guident la nef de l’amant parmi les écueils de la tempête, ou des soleils dont les rayons brûlent son cœur ; c’est là qu’Amour fait son nid, à moins que ce ne soit dans le cœur de l’amant ; c’est de là qu’Amour tire ses flèches et monte à l’assaut du cœur, faible­ment défen­du par la Raison. L’aimée est une bête sauvage vaine­ment poursui­vie ; elle tient à la fois les épe­rons et le frein du cœur qui l’aime ; ses charmes sont des hame­çons ou des rets qui retiennent l’amant. Les yeux de l’amant sont les portes de son cœur et ceux de l’aimée en sont les clefs ; le cœur de l’amant sort de sa poitrine et émigre dans celle de l’aimée. Les larmes sont des pluies qui éteignent les feux ou les ravivent ; les soupirs, des vents qui attisent ou rafraî­chissent le feu qui consume l’amant. [R]

[hyper­boles]

2° Hyper­boles : les larmes forment une fon­taine, ou font gros­sir les fleuves ; les rayons des yeux suf­fisent à se­ré­ner le ciel ; ils sont ca­pables de dé­ge­ler le Rhin cou­vert de glaces ; le so­leil se cache de dé­pit se voyant vain­cu par les yeux de Laure ; la na­ture en­tière est en admi­ra­tion de­vant Laure, unique orne­ment du monde ; elle est la gloire de son siècle ; elle morte, le monde sera sans so­leil. [R]

[anti­thèses]

3° Anti­thèses et alliances de mots : le vi­sage de l’aimée est fait de chaude neige ; l’amant fris­sonne en été et brûle en hi­ver ; il est à la fois feu et glace ; Laure est un gla­çon qui l’en­flamme ; il espère et craint ; il se nour­rit et se consume des re­gards de Laure ; il se re­paît à la fois de miel et d’absinthe ; il res­sent une douce amer­tume des beautés de sa chère enne­mie, de sa douce guer­rière, fière et humble en même temps ; il goûte la paix en son­geant à la guerre qui se passe dans son cœur ; il jouit de son angoisse, adore sa pri­son, vit de sa propre mort. [R]

[concetti]

4° Jeux d’esprit et concet­ti : Pétrarque joue sur les mots Laure, laurier et l’aura (la brise) ; il brûle d’autant plus que le bois n’est plus vert ; ses larmes lavent les fautes commises par ses yeux.

Paul LAUMONIER,
Ronsard poète lyrique,
1909, pp. 479-481
[Gallica, NUMM-201387, PDF_526_528].


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Notes

(1) Voir notam­ment le Banquet. Cf. la Parfaicte Amye du poète plato­ni­cien Héroët, dont le 3e livre contient une satire du pétrar­quisme, comme l’a remar­qué H. Chamard dans sa thèse fr., p. 191, note 2. [note de P. Laumo­nier]

[a] Illus­trant le plato­nisme plus que le pétrar­quisme, voici un sonnet amou­reux d’Alexandre SYLVAIN, extrait des Épi­tomes de cent histoires tragiques, ensemble quelques poèmes, Paris, Nicolas Bonfons, 1581, f° 269v° [Gallica, NUMM-52306, PDF_554] :

LE Platonique dit que tout parfait amour
Est de Dieu procédant, et se transmet en l’ange
Qui pour en faire part à nos âmes se range
Et l’esprit en reçoit sa part de jour en jour.

Ayant fait son effet il pense à son retour
C’est quand de deux esprit a fait une mélange
Lors soudain de l’esprit à l’âme fait échange
Puis l’ange le reprend derechef à son tour.

Et le présente à Dieu, qui connaît bien le fruit
Qu’il a pour son pouvoir en ce monde produit,
C’est d’avoir attiré plusieurs esprits ensemble.

Ainsi le tout puissant attire à soi mon âme
Par l’amour saint et pur qu’elle porte à Madame,
Qui en grâce et beauté, l’ange plus beau ressemble.

(2) Cf. le Trionfo d’Amore, cap. IV, où Pétrarque cite, entre autres, Arnaud Daniel, Giraud de Borneil, Arnaud de Marueil, Geoffroi Rudel, Bernard de Venta­dour. [note de P. Laumo­nier]

(3) Voir la canz. XII de Pons de Capdueil dans le recueil de Raynouard, tome III, et l’hymne à la Vierge de Pierre de Corbiac, tome IV. [note de P. Laumo­nier]




Liens

Éditions en ligne

* L’inté­gra­li­té du Canzo­niere en ita­lien était dispo­nible en neuf pages du Proget­to Trecen­to sur le site de la Biblio­teca dei Classi­ci Ita­lia­ni de Giuseppe Bonghi.

Liens non valides au 11/11/23.


Introductions à l’œuvre

* Sur le site « Quasi-Cristaux », antho­lo­gie de son­nets de 1801 à nos jours, publiée aux bons soins de Valérie Beau­douin et Anne F. Garet­ta, de l’Ouli­po, Jacques Rou­baud pro­pose, par­mi des élé­ments d’his­toire du son­net, un cha­pitre sur Pétrarque : « Rerum Vulga­r(i)um Frag­menta ».

* Le dossier Pétrarque de L’Ency­clo­pé­die de l’Agora.

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Lectures audio en italien

* On peut écouter une grande partie des poèmes du Canzo­niere lus en ita­lien par Sergio Baldelli sur le site LibriVox.

Liens valides au 11/11/23.


Et torre l’alme a’ corpi, et darle altrui







En ligne le 18/12/04.
Dernière révision le 16/04/24.