Francesco PETRARCA (1304-1374)
Or che ’l ciel… (Canz., 164)
Lyon, Jean de Tournes, 1545, pp. 153-154 [←Gallica].

Hor, che’l Ciel, e la terra, e’l vento tace,
E le fiere, e gli Augelli il sonno affrena,
Notte’l carro stellato in giro mena,
E nel suo letto il Mar senz’onda giace,

Vegghio, penso, ardo, piango, e chi mi sface,
Sempre m’è innanzi per mia dolce pena:
Guerra è’l mio stato d’ira, e di duol piena,
E sol di lei pensando, hò qualche pace.

Così sol d’vna chiara fonte viua
Muoue’l dolce, e l’amaro, ond’io mi pasco:
Vna man sola mi risana, e punge:

E perche’l mio martir non giunga a riua,
Mille volte il di moro, e mille nasco,
Tanto da la salute mia son lunge.

Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 57r°v° [←Gallica].

Or que le Ciel, Terre, et Vent est paisible,
Et que sommeil tout animal démène,
La nuit le char étoilé en tour mène,
Qu’en son lit est la mer sans flots taisible,

Je veille, ards, pense et pleure : et m’est visible
Ce qui m’occit, pour ma très-douce peine :
Mon état est guerre d’ire et deuil pleine,
Et paix trouver, qu’y pensant, n’est possible.

Donc seulement d’une source très-vive
Doux et amer sort, dont me vais paissant :
Une main seule, et me guérit et point :

Et puis afin que mon mal n’aille à rive,
Cent fois le jour suis mourant et naissant,
Tant loin je suis de mon salut déjoint.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CL, pp. 138-139 [←Gallica].

Ores se tait le ciel, et tout le monde,
Fères, oiseaux le doux sommeil refrène,
Ores la nuit son voûté char pourmène,
Et dans son lit se dort la mer sans onde.

Mais plus en moi ores tout deuil abonde,
Et en esprit je vois ma souveraine,
De tous ennuis est ma pensée pleine,
S’il n’est quand elle en la belle se fonde.

Ainsi l’amer vient de la source même,
Que fait le doux, et par même raison
Tout d’une main j’ai plaie et guérison.

Et en souffrant toujours martyre extrême,
Je meurs le jour et renais mille fois,
Quand si lointain de mon bien je me vois.

Paris, Robert Estienne, 1560, f° C1r° [←Gallica].

L orsque tous cois sont terre et ciel et vent,
E t qu’animaux le doux sommeil enserre,
E t que de nuit ce char en rondeur erre,
E t qu’en son lit la mer va reposant,

J e vois, je pense, et brûle, et suis pleurant,
E t tout objet m’est pour peine et pour guerre,
D essus mon cœur Amour ses traits desserre,
N’ayant repos que d’un seul pensement.

E t tout ainsi d’une fontaine naît
L’aigre et le doux, dont mon âme se paît,
E t un seul bras me guérit et me blesse.

E t puis, afin que mon martyre dure,
L e Destin veut que je naisse et je meure
C ent fois le jour pour n’avoir jamais cesse.

Les Œuvres poétiques, IV, Artémis,
Paris, Mamert Patisson, 1575, f° 144r° [←Gallica].

Le Ciel, la terre, et l’haleine des vents
Étaient tenus d’un paisible silence,
Et tout oiseau qui parmi l’air s’élance,
Et par les bois tous animaux vivant.

La Nuit menait ses feux étincelants
En son beau Char : de Vénus la naissance
En son grand lit gisait sans violence,
Et doucement ses flots allaient roulant.

Le doux Sommeil arrosait toute chose,
Non ma paupière, ah ! elle ne fut close
Tant que Phébé guida ses noirs chevaux.

Votre portrait qui dans mes yeux séjourne,
Qui comme il veut me tourne et me retourne,
Me fit souffrir mille et mille travaux.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 60, p. 283 [←Gallica].

ORes que ciel et terre et le vent se repose :
Que le chant de l’oiseau se restreint et réfrène,
Que le char étoilé la nuit ne se promène,
Et qu’en son lit la mer sans onde se compose :

Je vois, je pense, j’ards, et qui détruire m’ose
Est toujours devant moi pour objet de ma peine,
La guerre est mon état du deuil et d’ire pleine,
Et d’elle au seul penser j’ai de paix quelque chose.

D’une même fontaine et d’une source vive
Provient cet aigre, doux, duquel je me repais,
Et même main me blesse en laquelle j’amende.

Mais afin que mon mal ne soit joint à la rive,
Cent fois le jour je meurs, et cent fois je renais,
Tant je suis près et loin de ce que je demande.

L’Amour victorieux, Sonnets tirés de l’Harmonie,
Paris, Gilles Robinot, 1609, XIV, f° 127r° [←Gallica].

Ores les airs et la terre et les Cieux
Panchent leur front au giron du Silence,
Ores le Somme ès flots de l’oubliance
Trempe le soin des hommes et des Dieux.

Ores la Nuit de son char radieux
Par l’Horizon les deux brides élance,
Où mainte flamme, en diverse cadence,
Brille en tournant d’un pied laborieux.

En terre, aux Cieux, en l’onde tout repose,
Tout seul je veille, et tout seul je dispose
Mon âme au choc de cent mille travaux :

Et pour Dictame, au souci qui m’affole,
J’ai dans mes yeux incessamment l’Idole
De la beauté qui me fait tant de maux.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CXXXI, p. 119 [←Gallica].

il souffre et ne peut guérir d’une souffrance qu’il chérit.

Maintenant que le ciel, la terre et les vents se taisent ; que les bêtes sau­vages et les oiseaux sont arrê­tés par le som­meil ; que la nuit, sur son char étoi­lé, accom­plit son cir­cuit, et que la mer repose sans vagues dans son lit ;

Je regarde, je pense, je brûle, je pleure, et celle qui me fait mou­rir est sans cesse devant moi pour mon tour­ment qu’elle adou­cit pour­tant ; la guerre est ma condi­tion, guerre pleine de co­lère et de dou­leur ; et je n’ai quelque re­pos qu’en pen­sant à elle.

Ainsi c’est de la même fon­taine claire et vive que vient toute la dou­ceur et l’amer­tume dont je me nour­ris : c’est la même main qui me gué­rit et me perce.

Et pour que mon mar­tyre n’arrive pas à sa fin, mille fois par jour je meurs, et mille fois je re­nais, tant je suis éloi­gné de ma gué­ri­son.

























Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 57r°v° [←Gallica].

Or que le Ciel, Terre, et Vent est paisible,
Et que sommeil tout animal démène,
La nuit le char étoilé en tour mène,
Qu’en son lit est la mer sans flots taisible,

Je veille, ards, pense et pleure : et m’est visible
Ce qui m’occit, pour ma très-douce peine :
Mon état est guerre d’ire et deuil pleine,
Et paix trouver, qu’y pensant, n’est possible.

Donc seulement d’une source très-vive
Doux et amer sort, dont me vais paissant :
Une main seule, et me guérit et point :

Et puis afin que mon mal n’aille à rive,
Cent fois le jour suis mourant et naissant,
Tant loin je suis de mon salut déjoint.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CL, pp. 138-139 [←Gallica].

Ores se tait le ciel, et tout le monde,
Fères, oiseaux le doux sommeil refrène,
Ores la nuit son voûté char pourmène,
Et dans son lit se dort la mer sans onde.

Mais plus en moi ores tout deuil abonde,
Et en esprit je vois ma souveraine,
De tous ennuis est ma pensée pleine,
S’il n’est quand elle en la belle se fonde.

Ainsi l’amer vient de la source même,
Que fait le doux, et par même raison
Tout d’une main j’ai plaie et guérison.

Et en souffrant toujours martyre extrême,
Je meurs le jour et renais mille fois,
Quand si lointain de mon bien je me vois.

Paris, Robert Estienne, 1560, f° C1r° [←Gallica].

L orsque tous cois sont terre et ciel et vent,
E t qu’animaux le doux sommeil enserre,
E t que de nuit ce char en rondeur erre,
E t qu’en son lit la mer va reposant,

J e vois, je pense, et brûle, et suis pleurant,
E t tout objet m’est pour peine et pour guerre,
D essus mon cœur Amour ses traits desserre,
N’ayant repos que d’un seul pensement.

E t tout ainsi d’une fontaine naît
L’aigre et le doux, dont mon âme se paît,
E t un seul bras me guérit et me blesse.

E t puis, afin que mon martyre dure,
L e Destin veut que je naisse et je meure
C ent fois le jour pour n’avoir jamais cesse.

Les Œuvres poétiques, IV, Artémis,
Paris, Mamert Patisson, 1575, f° 144r° [←Gallica].

Le Ciel, la terre, et l’haleine des vents
Étaient tenus d’un paisible silence,
Et tout oiseau qui parmi l’air s’élance,
Et par les bois tous animaux vivant.

La Nuit menait ses feux étincelants
En son beau Char : de Vénus la naissance
En son grand lit gisait sans violence,
Et doucement ses flots allaient roulant.

Le doux Sommeil arrosait toute chose,
Non ma paupière, ah ! elle ne fut close
Tant que Phébé guida ses noirs chevaux.

Votre portrait qui dans mes yeux séjourne,
Qui comme il veut me tourne et me retourne,
Me fit souffrir mille et mille travaux.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 60, p. 283 [←Gallica].

ORes que ciel et terre et le vent se repose :
Que le chant de l’oiseau se restreint et réfrène,
Que le char étoilé la nuit ne se promène,
Et qu’en son lit la mer sans onde se compose :

Je vois, je pense, j’ards, et qui détruire m’ose
Est toujours devant moi pour objet de ma peine,
La guerre est mon état du deuil et d’ire pleine,
Et d’elle au seul penser j’ai de paix quelque chose.

D’une même fontaine et d’une source vive
Provient cet aigre, doux, duquel je me repais,
Et même main me blesse en laquelle j’amende.

Mais afin que mon mal ne soit joint à la rive,
Cent fois le jour je meurs, et cent fois je renais,
Tant je suis près et loin de ce que je demande.

L’Amour victorieux, Sonnets tirés de l’Harmonie,
Paris, Gilles Robinot, 1609, XIV, f° 127r° [←Gallica].

Ores les airs et la terre et les Cieux
Panchent leur front au giron du Silence,
Ores le Somme ès flots de l’oubliance
Trempe le soin des hommes et des Dieux.

Ores la Nuit de son char radieux
Par l’Horizon les deux brides élance,
Où mainte flamme, en diverse cadence,
Brille en tournant d’un pied laborieux.

En terre, aux Cieux, en l’onde tout repose,
Tout seul je veille, et tout seul je dispose
Mon âme au choc de cent mille travaux :

Et pour Dictame, au souci qui m’affole,
J’ai dans mes yeux incessamment l’Idole
De la beauté qui me fait tant de maux.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CXXXI, p. 119 [←Gallica].

il souffre et ne peut guérir d’une souffrance qu’il chérit.

Maintenant que le ciel, la terre et les vents se taisent ; que les bêtes sau­vages et les oiseaux sont arrê­tés par le som­meil ; que la nuit, sur son char étoi­lé, accom­plit son cir­cuit, et que la mer repose sans vagues dans son lit ;

Je regarde, je pense, je brûle, je pleure, et celle qui me fait mou­rir est sans cesse devant moi pour mon tour­ment qu’elle adou­cit pour­tant ; la guerre est ma condi­tion, guerre pleine de co­lère et de dou­leur ; et je n’ai quelque re­pos qu’en pen­sant à elle.

Ainsi c’est de la même fon­taine claire et vive que vient toute la dou­ceur et l’amer­tume dont je me nour­ris : c’est la même main qui me gué­rit et me perce.

Et pour que mon mar­tyre n’arrive pas à sa fin, mille fois par jour je meurs, et mille fois je re­nais, tant je suis éloi­gné de ma gué­ri­son.

























textes modernisés
[R]

 

En ligne le 03/04/16.
Dernière révision le 13/01/23.