Francesco PETRARCA (1304-1374)
Amor mi sprona… (Canz., 178)
Lyon, Jean de Tournes, 1545, p. 161 [←Gallica].

Amor mi sprona in vn tempo, & affrena,
Assecura e spauenta, arde, & agghiaccia,
Gradisce, e sdegna, a se mi chiama, e scaccia,
Hor mi tien in speranza, & hor in pena:

Hor alto, hor basso il mio cor lasso mena,
Ondel vago desir perde la traccia,
El suo sommo piacer par che li spaccia,
Derror si nouo la mia mente è piena.

Vn amico pensier le mostra il guado,
Non dacqua, que per gliocchi si resolua,
Da gir tosto, oue spera esser contenta:

Poi, quasi maggior forza indi la suolua,
Conuien chaltra via segua, e mal suo grado
A la sua longa, e mia morte consenta.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CXI, p. 116 [←Gallica].

D’un coup amour méperonne et réfrène,
M’assure en peur, et me brûle en la glace,
Veut et ne veut, mappelle et puis me chasse,
Puis en plaisir, et puis me tient en peine.

Et haut et bas mon esprit tant pourmène,
Que le désir trop vague y perd la trace,
Dont son plaisir souverain en déchasse,
Tant mon âme est de nouuel erreur pleine.

Quoiquun penser ami le gué lui montre,
Non du ruisseau résolu en lœil nôtre :
Ains où attend en bref dêtre contente.

Mais plus grand force à lheure la fourvoie,
Et maugré elle, ensuivant autre voie,
Faut quà sa peine, et à ma mort consente.

Paris, veuve Maurice de La Porte, 1552, p. 11 [←Gallica].

Jespère et crains, je me tais et supplie,
Or je suis glace, et ores un feu chaud,
Jadmire tout, et de rien ne me chaut,
Je me délace, et puis je me relie.

Rien ne me plaît sinon ce qui mennuie,
Je suis vaillant, et le cœur me défaut,
Jai lespoir bas, jai le courage haut,
Je doute Amour, et si je le défie.

Plus je me pique, et plus je suis rétif,
Jaime être libre, et veux être captif,
Cent fois je meurs, cent fois je prends naissance.

Un Prométhée en passions je suis,
Et pour aimer perdant toute puissance,
Ne pouvant rien je fais ce que je puis.

Lyon, Jean de Tournes, 1555, Sonnets, VIII, p. 115 [←Gallica].

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.
Jai chaud extrême en endurant froidure :
La vie mest et trop molle et trop dure.
Jai grands ennuis entremêlés de joie :

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint gref tourment jendure :
Mon bien sen va, et à iamais il dure :
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Les Premières Œuvres, Les Amours d’Hippolyte,
Paris, Robert Estienne, 1573, XXVI, f° 110r° [←Gallica].

Amour en même instant maiguillonne et marrête,
Massure et me fait peur, mard et me va glaçant,
Me pourchasse et me fuit, me rend faible et puissant,
Me fait victorieux, et marche sur ma tête.

Ores bas, ores haut, jouet de la tempête,
Il va comme il lui plaît ma navire élançant :
Je pense être échappé quand je suis périssant,
Et quand jai tout perdu je chante ma conquête.

De ce qui plus me plaît je reçois déplaisir :
Voulant trouver mon cœur, jégare mon désir :
Jadore une beauté qui mest toute contraire.

Je mempêtre aux filets dont je me veux garder :
Et voyant en mon mal ce qui me peut aider,
Las ! je lapprouve assez, mais je ne le puis faire.

Paris, Cl. de Montreuil et Fr. Taber, 1578, sonnet XXVI, f° 36r° [←Gallica].

Tout à coup je me sens en tristesse et en joie,
Et à un même instant rempli daise et languir
Brûler et renglacer et puis vivre et mourir
Suivre le droit chemin égaré de ma voie.

Heureux et malheureux, rire et puis je larmoie
Mon séjour et ma peine, ensemblement nourrir
La contrariété devant mes yeux soffrir
Un tantale altéré et dans leau je me noie.

Nest-ce pas endurer et de jour et de nuit :
Ainsi amour cruel tristement me conduit,
Quand jespère un malheur un bonheur se présente.

Et lorsque je massure être prochain du port
Je me vois entourné des courriers de la mort,
Et dautant éloigné de mon heureuse attente.

Gélodacrye amoureuse, Sonnet, imité de Pétrarque,
Paris, Nicolas Bonfons, 1579, f° 23r° [←Gallica].

VOuloir m’épronne, et l’aveugle me guide,
Plaisir m’attire, usance me transporte,
Espoir m’allèche, et vanité me porte,
Penser m’abuse, et l’attente me bride,

Rigueur m’oppresse, et captif si je cuide
Pour sortir hors m’approcher de la porte,
Soin me retire, et le temps me conforte,
Le désir m’enfle, et le sort me tient vide.

Ma joie est fausse, et ma douleur certaine,
Ma peine est vraie, et ma douceur est vaine,
Mes sens sont vifs, et ma raison est morte.

Ainsi mon âme est sans cesse occupée
Des passions qui la tiennent campée :
Depuis cinq ans je vis en telle sorte.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 66, p. 289 [←Gallica].

AMour en même instant me pique et me ramène.
Il massure, il métonne, il me brûle et me glace,
Il magrandit, mabaisse, il mappelle, il me chasse.
Il me nourrit despoir, et me crève de peine.

Ores haut, ores bas, mon cœur lassé il traîne
Dont mon actif vouloir ségare de sa place.
Et ce bon seigneur veut (quoi que soit quil se fasse)
Dont mon âme pensive est derreur toute pleine.

Un penser mien ami, lui montre bien le port
Non de leau quand des yeux distillante ressort,
Dêtre tôt où il croit quelle serait contente :

Mais il lôte de là par un plus grand effort,
Et faut dautre côté sans y être confort,
Que fuyant sa langueur à ma mort il consente.

Gramont, Amour m’épe­ronne (1842)   ↓   ↑   ⇑  →t.o.
Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CXLV, p. 126 [←Gallica].

effets opposés que l’amour produit en son âme.

Amour m’épe­ronne et me tire le frein en même temps, me tran­quil­lise et m’épou­vante, me brûle et me gèle, m’agrée et me dé­daigne, m’appelle à soi et me chasse ; tan­tôt il me tient en espoir, et tan­tôt en peine.

Tantôt il élève ou ra­baisse mon cœur fa­ti­gué ; ain­si le dé­sir errant aban­donne la piste, et il semble que son su­prême plai­sir lui dé­plaise, si nou­velle est l’er­reur dont mon âme est rem­plie.

Un penser ami vient lui mon­trer le gué, non pour tra­ver­ser l’eau qui se ré­sout par mes yeux, mais pour arri­ver promp­te­ment où elle espère être sa­tis­faite.

Puis, comme si une force su­pé­rieure l’arra­chait de là, il faut qu’elle suive une autre voie, et que contre son gré, elle obé­isse à sa longe et con­sente à ma mort.

























Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CXI, p. 116 [←Gallica].

D’un coup amour méperonne et réfrène,
M’assure en peur, et me brûle en la glace,
Veut et ne veut, mappelle et puis me chasse,
Puis en plaisir, et puis me tient en peine.

Et haut et bas mon esprit tant pourmène,
Que le désir trop vague y perd la trace,
Dont son plaisir souverain en déchasse,
Tant mon âme est de nouuel erreur pleine.

Quoiquun penser ami le gué lui montre,
Non du ruisseau résolu en lœil nôtre :
Ains où attend en bref dêtre contente.

Mais plus grand force à lheure la fourvoie,
Et maugré elle, ensuivant autre voie,
Faut quà sa peine, et à ma mort consente.

Paris, veuve Maurice de La Porte, 1552, p. 11 [←Gallica].

Jespère et crains, je me tais et supplie,
Or je suis glace, et ores un feu chaud,
Jadmire tout, et de rien ne me chaut,
Je me délace, et puis je me relie.

Rien ne me plaît sinon ce qui mennuie,
Je suis vaillant, et le cœur me défaut,
Jai lespoir bas, jai le courage haut,
Je doute Amour, et si je le défie.

Plus je me pique, et plus je suis rétif,
Jaime être libre, et veux être captif,
Cent fois je meurs, cent fois je prends naissance.

Un Prométhée en passions je suis,
Et pour aimer perdant toute puissance,
Ne pouvant rien je fais ce que je puis.

Lyon, Jean de Tournes, 1555, Sonnets, VIII, p. 115 [←Gallica].

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.
Jai chaud extrême en endurant froidure :
La vie mest et trop molle et trop dure.
Jai grands ennuis entremêlés de joie :

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint gref tourment jendure :
Mon bien sen va, et à iamais il dure :
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Les Premières Œuvres, Les Amours d’Hippolyte,
Paris, Robert Estienne, 1573, XXVI, f° 110r° [←Gallica].

Amour en même instant maiguillonne et marrête,
Massure et me fait peur, mard et me va glaçant,
Me pourchasse et me fuit, me rend faible et puissant,
Me fait victorieux, et marche sur ma tête.

Ores bas, ores haut, jouet de la tempête,
Il va comme il lui plaît ma navire élançant :
Je pense être échappé quand je suis périssant,
Et quand jai tout perdu je chante ma conquête.

De ce qui plus me plaît je reçois déplaisir :
Voulant trouver mon cœur, jégare mon désir :
Jadore une beauté qui mest toute contraire.

Je mempêtre aux filets dont je me veux garder :
Et voyant en mon mal ce qui me peut aider,
Las ! je lapprouve assez, mais je ne le puis faire.

Paris, Cl. de Montreuil et Fr. Taber, 1578, sonnet XXVI, f° 36r° [←Gallica].

Tout à coup je me sens en tristesse et en joie,
Et à un même instant rempli daise et languir
Brûler et renglacer et puis vivre et mourir
Suivre le droit chemin égaré de ma voie.

Heureux et malheureux, rire et puis je larmoie
Mon séjour et ma peine, ensemblement nourrir
La contrariété devant mes yeux soffrir
Un tantale altéré et dans leau je me noie.

N’est-ce pas endurer et de jour et de nuit :
Ainsi amour cruel tristement me conduit,
Quand jespère un malheur un bonheur se présente.

Et lorsque je massure être prochain du port
Je me vois entourné des courriers de la mort,
Et dautant éloigné de mon heureuse attente.

Gélodacrye amoureuse, Sonnet, imité de Pétrarque,
Paris, Nicolas Bonfons, 1579, f° 23r° [←Gallica].

VOuloir m’épronne, et l’aveugle me guide,
Plaisir m’attire, usance me transporte,
Espoir m’allèche, et vanité me porte,
Penser m’abuse, et l’attente me bride,

Rigueur m’oppresse, et captif si je cuide
Pour sortir hors m’approcher de la porte,
Soin me retire, et le temps me conforte,
Le désir m’enfle, et le sort me tient vide.

Ma joie est fausse, et ma douleur certaine,
Ma peine est vraie, et ma douceur est vaine,
Mes sens sont vifs, et ma raison est morte.

Ainsi mon âme est sans cesse occupée
Des passions qui la tiennent campée :
Depuis cinq ans je vis en telle sorte.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 66, p. 289 [←Gallica].

AMour en même instant me pique et me ramène.
Il massure, il métonne, il me brûle et me glace,
Il magrandit, mabaisse, il mappelle, il me chasse.
Il me nourrit despoir, et me crève de peine.

Ores haut, ores bas, mon cœur lassé il traîne
Dont mon actif vouloir ségare de sa place.
Et ce bon seigneur veut (quoi que soit quil se fasse)
Dont mon âme pensive est derreur toute pleine.

Un penser mien ami, lui montre bien le port
Non de leau quand des yeux distillante ressort,
Dêtre tôt où il croit quelle serait contente :

Mais il lôte de là par un plus grand effort,
Et faut dautre côté sans y être confort,
Que fuyant sa langueur à ma mort il consente.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CXLV, p. 126 [←Gallica].

effets opposés que l’amour produit en son âme.

Amour m’épe­ronne et me tire le frein en même temps, me tran­quil­lise et m’épou­vante, me brûle et me gèle, m’agrée et me dé­daigne, m’appelle à soi et me chasse ; tan­tôt il me tient en espoir, et tan­tôt en peine.

Tantôt il élève ou ra­baisse mon cœur fa­ti­gué ; ain­si le dé­sir errant aban­donne la piste, et il semble que son su­prême plai­sir lui dé­plaise, si nou­velle est l’er­reur dont mon âme est rem­plie.

Un penser ami vient lui mon­trer le gué, non pour tra­ver­ser l’eau qui se ré­sout par mes yeux, mais pour arri­ver promp­te­ment où elle espère être sa­tis­faite.

Puis, comme si une force su­pé­rieure l’arra­chait de là, il faut qu’elle suive une autre voie, et que contre son gré, elle obé­isse à sa longe et con­sente à ma mort.

























textes modernisés
[R]

 

En ligne le 01/11/18.
Dernière révision le 25/05/24.