Pierre de RONSARD (1524-1585)
Paris, veuve Maurice de La Porte, 1553.

PEtit nombril, que mon penser adore,
Non pas mon œil, qui n’eut oncques ce bien,
Nombril de qui l’honneur mérite bien,
Qu’une grand’ ville on lui bâtisse encore.

Signe divin, qui divinement ore
Retiens encor l’Androgyne lien,
Combien et toi, mon mignon, et combien
Tes flancs jumeaux folâtrement j’honore !

Ni ce beau chef, ni ces yeux, ni ce front,
Ni ce doux ris, ni cette main qui fond
Mon cœur en source, et de pleurs me fait riche :

Ne me sauraient de leur beau contenter,
Sans espérer quelquefois de tâter
Ton paradis, où mon plaisir se niche.

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de Muret

Petit nombril.) Il loue le nom­bril de sa dame, di­sant que toutes les autres grâces ne sau­raient assou­vir son ardeur, s’il n’es­pé­rait de pou­voir quel­que­fois tâ­ter ce nom­bril à bon es­cient. Qu’une grand’ ville on lui bâ­tisse en­core.) Que pour l’ho­no­rer on fasse une ville, qui re­çoive nom de lui : ain­si comme Cal­li­maque ra­conte, qu’une plaine de Can­die fut nom­mée Om­pha­lion, à cause que le nom­bril de Ju­pi­ter nou­vel­le­ment né, y tom­ba. Le nom­bril se nomme en Grec, om­pha­los. Cal­li­maque :

Τουτάκι τοι πέσε, δαῖμον, ἀπ᾿ ὀμφαλός· ἔνθεν ἐκεῖνο
Ὀμφάλιον μετέπειτα πέδον καλέουσι Κύδωνες.

Signe divin.) Il appelle le nom­bril signe de l’an­cienne liai­son des hommes. Aris­to­phane au ban­quet de Pla­ton dit qu’au com­men­ce­ment, y avait une espèce d’hommes Andro­gynes, c’est-à-dire, mâles, et fe­melles tout en­semble : les­quels, parce que se con­fiant en leur force, ils cons­pi­rèrent contre les dieux, furent par Apol­lon, au­quel Ju­pi­ter l’avait ain­si com­man­dé, par­tis par le mi­lieu : et que la ci­ca­trice en est encore de­meu­rée en la par­tie, que nous appe­lons le nom­bril. Vois l’An­dro­gyne de Pla­ton tra­duite par Hé­roët. Ton para­dis.) On peut en­tendre aisé­ment, qu’il veut dire.
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[texte modernisé]
[R]

 
 

En ligne le 27/04/17.
Dernière révision le 06/07/22.