Francesco PETRARCA (1304-1374)
Or che ’l ciel… (Canz., 164)
Venise, 1470, f° 68r° [←Gallica].

OR chel ciel & la terra el uento tace

& le fiere et gliaugegli el sonno affrena
nocte el carro stellato ingiro mena
& nel suo lecto elmar senza onda giace
ueghio penso ardo piango & chi misface
sempre me innanzi per mia dolce pena
guerra e elmio stato dira e diduol piena
& sol dilei pensando o qualche pace

C osi sol duna chiara fonte uiua
mouel dolce & lamaro ondio mipasco
una man sola mirisana & punge
& per chel mio martir non giunga ariua
mille uolte el di moro & mille nasco
tanto dala salute mia son lunge

Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 57r°v° [←Gallica].

Or que le Ciel, Terrɇ, & Vent est paisible,
Et que sommeil tout animal demeine,
La nuit le char estellé en tour meine,
Qu’en son lit est la mer sans flotz taisible,

Ie ueillɇ, ars, pensɇ & pleurɇ: & m’est uisible
Ce qui m’occit, pour ma tresdousse peine:
Mon estat est guerre d’irɇ & deuil pleine,
Et paix trouuer, qu’y pensant, n’est possible.

Doncq’ seulement d’une source tresuiue
Doux & amer sort, dont me uois paissant:
Vne main seulɇ, & me guerit & point:

Et puis affin que mon mal n’aillɇ a riue,
Cent fois le iour suis mourant & naissant,
Tant loing ie suis de mon salut desioint.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CL, pp. 138-139 [←Gallica].

Ores se taist le ciel, & tout le monde,
Feres, oiseaulx le doulx sommeil refreine,
Ores la nuict son uouté char pourmeine,
Et dans son lict se dort la mer sans onde.

Mais plus en moy ores tout dueil abonde,
Et en esprit ie uoy ma souueraine,
De tous ennuis est ma pensée pleine,
S’il n’est quand elle en la belle se fonde.

Ainsi l’amer uient de la source mesme,
Que faict le doulx, & par mesme raison
Tout d’une main i’ay playe & guerison.

Et en souffrant tousiours martire extreme,
Ie meurs le iour & renais mille fois,
Quand si loingtain de mon bien ie me uois.

Paris, Robert Estienne, 1560, f° C1r° [←Gallica].

L ors que tous cois sont terre & ciel & vent,
E t qu’animaux le doux sommeil enserre,
E t que de nuict ce char en rondeur erre,
E t qu’en son lict la mer va reposant,

I e voy, ie pense, & brusle, & suis pleurant,
E t tout obiect m’est pour peine & pour guerre,
D essus mon cueur Amour ses trets desserre,
N’ayant repos que d’vn seul pensement.

E t tout ainsi d’vne fontaine naist
L’aigre & le doux, dont mon ame se paist,
E t vn seul bras me guarit & me blesse.

E t puis, affin que mon martire dure,
L e Destin veult que ie naisse & ie meure
C ent fois le iour pour n’auoir iamais cesse.

Les Œuvres poétiques, IV, Artémis,
Paris, Mamert Patisson, 1575, f° 144r° [←Gallica].

Le Ciel, la terre, & l’haleine des vents
Estoyent tenus d’vn paisible silance,
Et tout oyseau qui parmi l’air s’elance,
Et par les bois tous animaux viuans.

La Nuict menoit ses feux estincelans
En son beau Char : De Venus la naissance
En son grand lict gisoit sans violance,
Et doucement ses flots alloyent roulans.

Le doux Sommeil arrousoit toute chose,
Non ma paupiere, ah ! elle ne fut close
Tant que Phebé guida ses noirs cheuaux.

Vostre portrait qui dans mes yeux sejourne,
Qui comme il veut me tourne & me retourne,
Me fit souffrir mille & mille trauaux.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 60, p. 283 [←Gallica].

ORes que ciel & terre & le vent se repose:
Que le chant de l’oiseau se restraint & refrene,
Que le char estoillé la nuit ne se pourmeine,
Et qu’en son lit la mer sans onde se compose:

Ie voy, ie pense, i’ards, & qui destruire m’ose
Est tousiours deuant moi pour obiect de ma peine,
La guerre est mon estat du dueil & d’ire pleine,
Et d’elle au seul penser i’ay de paix quelque chose.

D’vne mesme fontaine & d’vne source viue
Prouient cest aigre, doux, duquel ie me repais,
Et mesme main me blesse en laquelle i’amende.

Mais afin que mon mal ne soit ioint à la riue,
Cent fois le iour ie meurs, & cent fois ie renais,
Tant ie suis pres & loin de ce que ie demande.

L’Amour victorieux, Sonnets tirés de l’Harmonie,
Paris, Gilles Robinot, 1609, XIV, f° 127r° [←Gallica].

Ores les airs & la terre & les Cieus
Panchent leur front au giron du Silance,
Ores le Somme és flos de l’oubliance
Trampe le soin des hommes & des Dieus.

Ores la Nuit de son char radieus
Par l’Horizon les deus brides élance,
Où mainte flamme, en diuerse cadance,
Brille en tournant d’vn pié laborieus.

En terre, aus Cieus, en l’onde tout repoze,
Tout seul ie veille, & tout seul ie dispoze
Mon ame au choc de cent mille trauaus:

Et pour Dyctame, au soucy qui m’afole,
I’ay dans mes yeus incessamant l’Idole
De la beauté qui me fait tant de maus.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CXXXI, p. 119 [←Gallica].

il souffre et ne peut guérir d’une souffrance qu’il chérit.

Maintenant que le ciel, la terre et les vents se taisent ; que les bêtes sau­vages et les oiseaux sont arrê­tés par le som­meil ; que la nuit, sur son char étoi­lé, accom­plit son cir­cuit, et que la mer repose sans vagues dans son lit ;

Je regarde, je pense, je brûle, je pleure, et celle qui me fait mou­rir est sans cesse devant moi pour mon tour­ment qu’elle adou­cit pour­tant ; la guerre est ma condi­tion, guerre pleine de co­lère et de dou­leur ; et je n’ai quelque re­pos qu’en pen­sant à elle.

Ainsi c’est de la même fon­taine claire et vive que vient toute la dou­ceur et l’amer­tume dont je me nour­ris : c’est la même main qui me gué­rit et me perce.

Et pour que mon mar­tyre n’arrive pas à sa fin, mille fois par jour je meurs, et mille fois je re­nais, tant je suis éloi­gné de ma gué­ri­son.

























Les Œuvres, « Douze Sonnets de Pétrarque »,
Paris, Vascosan et Corrozet, 1547, f° 57r°v° [←Gallica].

Or que le Ciel, Terrɇ, & Vent est paisible,
Et que sommeil tout animal demeine,
La nuit le char estellé en tour meine,
Qu’en son lit est la mer sans flotz taisible,

Ie ueillɇ, ars, pensɇ & pleurɇ: & m’est uisible
Ce qui m’occit, pour ma tresdousse peine:
Mon estat est guerre d’irɇ & deuil pleine,
Et paix trouuer, qu’y pensant, n’est possible.

Doncq’ seulement d’une source tresuiue
Doux & amer sort, dont me uois paissant:
Vne main seulɇ, & me guerit & point:

Et puis affin que mon mal n’aillɇ a riue,
Cent fois le iour suis mourant & naissant,
Tant loing ie suis de mon salut desioint.

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CL, pp. 138-139 [←Gallica].

Ores se taist le ciel, & tout le monde,
Feres, oiseaulx le doulx sommeil refreine,
Ores la nuict son uouté char pourmeine,
Et dans son lict se dort la mer sans onde.

Mais plus en moy ores tout dueil abonde,
Et en esprit ie uoy ma souueraine,
De tous ennuis est ma pensée pleine,
S’il n’est quand elle en la belle se fonde.

Ainsi l’amer uient de la source mesme,
Que faict le doulx, & par mesme raison
Tout d’une main i’ay playe & guerison.

Et en souffrant tousiours martire extreme,
Ie meurs le iour & renais mille fois,
Quand si loingtain de mon bien ie me uois.

Paris, Robert Estienne, 1560, f° C1r° [←Gallica].

L ors que tous cois sont terre & ciel & vent,
E t qu’animaux le doux sommeil enserre,
E t que de nuict ce char en rondeur erre,
E t qu’en son lict la mer va reposant,

I e voy, ie pense, & brusle, & suis pleurant,
E t tout obiect m’est pour peine & pour guerre,
D essus mon cueur Amour ses trets desserre,
N’ayant repos que d’vn seul pensement.

E t tout ainsi d’vne fontaine naist
L’aigre & le doux, dont mon ame se paist,
E t vn seul bras me guarit & me blesse.

E t puis, affin que mon martire dure,
L e Destin veult que ie naisse & ie meure
C ent fois le iour pour n’auoir iamais cesse.

Les Œuvres poétiques, IV, Artémis,
Paris, Mamert Patisson, 1575, f° 144r° [←Gallica].

Le Ciel, la terre, & l’haleine des vents
Estoyent tenus d’vn paisible silance,
Et tout oyseau qui parmi l’air s’elance,
Et par les bois tous animaux viuans.

La Nuict menoit ses feux estincelans
En son beau Char : De Venus la naissance
En son grand lict gisoit sans violance,
Et doucement ses flots alloyent roulans.

Le doux Sommeil arrousoit toute chose,
Non ma paupiere, ah ! elle ne fut close
Tant que Phebé guida ses noirs cheuaux.

Vostre portrait qui dans mes yeux sejourne,
Qui comme il veut me tourne & me retourne,
Me fit souffrir mille & mille trauaux.

Lettres amoureuses, Septante Sonnets de Pétrarque,
Lyon, P. Frellon et A. Cloquemin, 1595, 60, p. 283 [←Gallica].

ORes que ciel & terre & le vent se repose:
Que le chant de l’oiseau se restraint & refrene,
Que le char estoillé la nuit ne se pourmeine,
Et qu’en son lit la mer sans onde se compose:

Ie voy, ie pense, i’ards, & qui destruire m’ose
Est tousiours deuant moi pour obiect de ma peine,
La guerre est mon estat du dueil & d’ire pleine,
Et d’elle au seul penser i’ay de paix quelque chose.

D’vne mesme fontaine & d’vne source viue
Prouient cest aigre, doux, duquel ie me repais,
Et mesme main me blesse en laquelle i’amende.

Mais afin que mon mal ne soit ioint à la riue,
Cent fois le iour ie meurs, & cent fois ie renais,
Tant ie suis pres & loin de ce que ie demande.

L’Amour victorieux, Sonnets tirés de l’Harmonie,
Paris, Gilles Robinot, 1609, XIV, f° 127r° [←Gallica].

Ores les airs & la terre & les Cieus
Panchent leur front au giron du Silance,
Ores le Somme és flos de l’oubliance
Trampe le soin des hommes & des Dieus.

Ores la Nuit de son char radieus
Par l’Horizon les deus brides élance,
Où mainte flamme, en diuerse cadance,
Brille en tournant d’vn pié laborieus.

En terre, aus Cieus, en l’onde tout repoze,
Tout seul ie veille, & tout seul ie dispoze
Mon ame au choc de cent mille trauaus:

Et pour Dyctame, au soucy qui m’afole,
I’ay dans mes yeus incessamant l’Idole
De la beauté qui me fait tant de maus.

Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CXXXI, p. 119 [←Gallica].

il souffre et ne peut guérir d’une souffrance qu’il chérit.

Maintenant que le ciel, la terre et les vents se taisent ; que les bêtes sau­vages et les oiseaux sont arrê­tés par le som­meil ; que la nuit, sur son char étoi­lé, accom­plit son cir­cuit, et que la mer repose sans vagues dans son lit ;

Je regarde, je pense, je brûle, je pleure, et celle qui me fait mou­rir est sans cesse devant moi pour mon tour­ment qu’elle adou­cit pour­tant ; la guerre est ma condi­tion, guerre pleine de co­lère et de dou­leur ; et je n’ai quelque re­pos qu’en pen­sant à elle.

Ainsi c’est de la même fon­taine claire et vive que vient toute la dou­ceur et l’amer­tume dont je me nour­ris : c’est la même main qui me gué­rit et me perce.

Et pour que mon mar­tyre n’arrive pas à sa fin, mille fois par jour je meurs, et mille fois je re­nais, tant je suis éloi­gné de ma gué­ri­son.

























textes originaux
[R]

 

En ligne le 23/09/20.
Dernière révision le 13/01/23.