Heureux qui voit la beauté
que j’admire,
Et plus heureux qui nage en ses discours.
À Monsieur de Luyne
Gouverneur d’Amboise
Tout le monde est pourvu, chez le Roi,
chez la Reine
Chez Monsieur, chez Madame, en se louant du temps;
Et rien ne m’est échu depuis quinze bons ans,
Pour avoir tant rimé, qu’une espérance
vaine.
On m’a fait
élever des Palais sur
l’arène,
Et me suis vu tout d’or en la bouche des grands,
Cependant leur faveur a mis dessus les rangs,
En me laissant à part, des gens à la douzaine.
Et je n’en dirai
mot ? Je ne m’en tairai
pas :
Il faut que plus d’un siècle en
témoigne ici-bas
La honte à l’avenir. Ô Luyne favorise
La Muse que je sers pour en servir le
Roi :
Si tu daignes reluire en si digne entreprise
Ce qu’elle eût fait pour tous, il sera fait pour
toi.
« Claude Garnier,
poète royal comme il se proclamait,
n’était guère favorisé ni du
Roi, ni des grands seigneurs, ce sonnet traduit ses
doléances. »
Frédéric Lachèvre,
« Supplément à la
bibliographie de Claude Garnier, poète
royal »,
Revue des livres anciens, tome I,
Paris, Fontemoing & Cie, 1914, p. 219
[Gallica, NUMM-32739,
PDF_223].
CLAUDE GARNIER.
Claude Garnier était aussi connu de Durant de La Bergerie [1]. C’était un Gentilhomme Parisien, qui fit des vers dès l’âge de seize ans, et qui en composa tant qu’il vécut. Il était encore au monde en 1615 puisque, selon M. de Beauchamps, il donna cette année une Pastorale. C’est tout ce que je sais de sa vie. Ses Poésies furent imprimées en 1609, dédiées à Louise de Lorraine, Princesse de Conti, et à Catherine de Gonzagues, Duchesse de Longueville.
Dans l’Avant-propos, l’Auteur se plaint de l’Envie, qui s’était, dit-il, attachée à ses ouvrages dès qu’ils parurent. Il avoue qu’il ne la vit pas d’abord sans peine ; mais qu’ensuite il s’apprivoisa avec elle. Il aurait mieux fait de la mépriser, et de la forcer à se taire par ses vertus et le bon usage de ses talents. Il vante son amour pour l’antiquité ; mais tout cet amour s’était borné à lire dès sa première jeunesse, quelques anciens Poètes grecs et latins. Il se déclare partisan de Ronsard : ce n’était pas donner preuve de la bonté de son goût ; et sur l’autorité de ce Poète, il justifie sa manière d’orthographier, qui est un peu bizarre, quoique moins défigurée que celle de plusieurs autres Poètes du même temps. Il ajoute, qu’il retenait encore au coffre pour cette heure dix ou douze mille vers. Quelle fécondité ! Il y en avait sur la naissance, le baptême, l’instruction de M. le Dauphin : puis, diverses Poésies d’Amour, dont il présente pour échantillon seulement deux-cents Sonnets, afin, dit-il, d’entretenir ses envieux. Avec ces deux-cents Sonnets, Garnier nous donne un fort long Poème, en quatre chants, intitulé, L’Amour victorieux. Ce Poème n’est point en vers héroïques, mais en vers de six syllabes ; et dès le commencement, le Poète a soin de nous apprendre, qu’il avait déjà écrit dans le même genre, même sur les sujets les plus dignes d’être l’objet de la Poésie. C’est trop, dit-il, chanter les Rois,
C’est trop user ma voix
En faveur de leur gloire.
Ha ! filles de Mémoire !
C’est trop, divines sœurs,
Implorer vos douceurs,
Afin que leur nom dure
À la race future....
Je vois bien que mes vers
Ni leurs sujets divers
Assez recommandables,
Ne leur sont agréables.
Le Louvre, Saint Germain, Villers-Cotterêts, Monceaux, Fontainebleau, et les autres maisons royales,
Et tes bois montagneux
Issus de mes ayeux,
Ô Fontenay chérie
Des Nymphes de la Brie !
avaient retenti de ses chants. Il avait pour eux devancé les ailes de son âge. Qu’en avait-il remporté ? quelquefois des louanges stériles, souvent peu d’attention, plus souvent les traits de l’envie. […]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la Littérature
française,
tome XIV, 1752, pp. 235-238
[Gallica, NUMM-50657, PDF_238_241]
(texte modernisé).
Notes
[1] La « vie » de Claude Garnier succède dans la Bibliothèque de l’abbé Goujet à celle de Gilles Durant de La Bergerie.
Liens
Anthologie
* On pouvait lire un sonnet (retenu par Jacques Roubaud dans Soleil du Soleil, à la suite des anthologies du XIXe siècle), « blanche est la nége encore non touchée », dans une page de l’anthologie plurilingue Words, words, words de Henk Lensen, quand elle était encore en ligne.
En ligne le 04/05/05.
Dernière révision le 14/05/23.