Pierre de RONSARD (1524-1585)
Paris, Gabriel Buon, 1584.
ouvrir sur Gallica : Amours de Cassandre, p. 28.

Ô Doux parler dont les mots doucereux
Sont engravés au fond de ma mémoire :
Ô front, d’Amour le Trophée et la gloire,

Ô doux souris, ô baisers savoureux :

Ô cheveux d’or, ô coteaux plantureux,
De lis, d’œillets, de porphyre, et d’ivoire :
Ô feux jumeaux d’où le Ciel me fit boire
À si longs traits le venin amoureux :

Ô dents, plutôt blanches perles encloses,
Lèvres, rubis, entrerangés de roses,
Ô voix qui peux adoucir un Lion,

Dont le doux chant l’oreille me vient poindre :
Ô corps parfait, de tes beautés la moindre
Mérite seule un siège d’Ilion.

«««  Commen­taires  »»»
de Muret

Ô doux parler.) Le Poète absent de sa Dame, re­mé­more par­ti­cu­liè­re­ment au­cunes de ses beau­tés, et souhaite les re­voir. Les mots dou­ce­reux.) Il dit nour­rir la faim de sa mé­moire par l’ap­pât dou­ce­reux du doux par­ler de sa Dame : C’est-à-dire, qu’il paît son esprit de la sou­ve­nance du par­ler d’icelle. Tro­phée.) Ain­si disait-on an­cien­ne­ment, quand on avait re­vê­tu quelque arbre ébranché, des dépouilles de l’en­ne­mi, pour mo­nu­ment de vic­toire. Et se dit en grec tro­paion, parce qu’on avait de cou­tume de le dres­ser pour avoir tour­né l’en­ne­mi, lorsqu’il se met­tait en fuite, qu’ils appe­laient tro­pèn. Co­teaux plan­tu­reux.) Le sein abon­dant en ces cou­leurs, qu’il re­pré­sente par les lis, œil­lets, por­phyre, ivoire. Feux ju­meaux.) Les yeux, par les­quels il dit à longs traits avoir bu le ve­nin amou­reux : ce qui se fait, parce que les rayons des yeux de la Dame sont comme voi­tu­riers de son esprit, et par la ren­contre qu’ils font avecque les rayons de l’amant, se mê­lant par­mi eux, se con­duisent à son cœur, et de leur esprit étran­ger em­poi­sonnent l’esprit de ce­lui qui est ou­tré. Apu­lée fait très bien à ce pro­pos, di­sant, isti ocu­li tui per meos ocu­los ad inti­ma delap­si præ­cor­dia, acer­ri­mum meis me­dul­lis com­mo­vent in­cen­dium. Le Ciel.) Se­lon les Astro­logues, qui disent les corps in­fé­rieurs être gou­ver­nés par les cé­lestes. Boire.) Telle ma­nière de par­ler est en l’Épi­gramme en Grec,

’Ophthalmoi, teo mechris aphussete nektar erôtôn,

    Kalleos akrètou dzôropotai thrasees.

____
[texte modernisé]
[R]

 
 

En ligne le 21/09/08.
Dernière révision le 19/04/21.