Monsieur,
[…] Si aussi, en vous promenant, vous trouvez un Lucretius, un Pap. Statius, un Sil. Italicus, un Horace, un Virgile, un Ausone, et un Seneca, Tragédies, in-8°, qui ne soient point trop fripés, et d’Alde ou de Colines ou de Rob. Estienne, non d’autres, vous me feriez bien plaisir à me les avoir à bon marché, ou une partie au prix que vous les trouverez, mais que ce soit en vous ébattant, sans autrement vous en crucier.
Si voyez M. Estienne, que je suis son serviteur, et à M. Jannon que je lui mets au net mes Leipogrammes pour les lui porter ou envoyer bientôt s’il est toujours en humeur de les vouloir avoir. Cela aussi à votre aise, et par rencontre, sans que vous vous alliez là-haut rompre les genoux et les jambes.
Voilà bien des choses. Plût à Dieu être fait à votre service comme j’y suis moi. Adieu, Monsieur, mille fois je vous baise les mains. Je suis à jamais,
Monsieur,
Votre plus humble et affectionné serviteur,
CERTON.
À Gien, ce premier de l’an 1609 en bonne étrenne.
Eugénie Droz,
« Salomon Certon et ses amis, sa
correspondance »,
Bibliothèque d’Humanisme et
Renaissance,
Travaux et documents, tome II,
Librairie Droz, 1942, pp. 187-188,
Gallica, NUMM-10351, PDF_188_189
(texte modernisé).
AU LECTEUR.
Ce n’a jamais été mon intention de faire imprimer ceci : car il n’a couru et ne court encore que trop de belles fadaises. Que ce ne l’ait point été, le long temps qu’il y a que la plupart en est oubliée au fond d’un coffre, le peut assez faire penser, y ayant quarante et quatre ans et plus que ces leïpogrammes et la plupart du reste ont été bâtis. Et quelques-uns sans reproche en témoigneront, si le fait était d’importance. La raison donc en est, que me trouvant il y a quelque temps chez défunt monsieur Estienne avec quatre ou cinq de mes amis, comme on est tombé sur le propos des vers français, il dit en avoir d’une sorte qu’on n’avait point encore vue, et les voulait donner au sieur Jannon pour les imprimer, et lui étant demandé quelle, il dit que c’étaient vers leïpogrammes. Je dis lors, qu’il y avait longtemps que je m’étais adonné à cette sorte de vers, et que j’avais cru que personne ne l’eût essayée que moi, et sur le champ lui en récitai quelques-uns : puis le priant de me montrer ceux qu’il avait, je trouvai que c’était les miens mêmes qu’il disait avoir eus d’un que je ne nommerai pas, pource qu’il est mort, auquel il me souvint les avoir prêtés il y avait fort longtemps. Et combien que je priasse ledit sieur Estienne de ne les publier point, pour le peu de fait que c’était, il y persista plus pour la nouveauté, que pour autre raison qu’il eût (à ce que je crois) de le faire. Je le pressai donc de supercéder tant que je les eusse revus, avec promesse de les lui bailler pour en faire à sa volonté. Ce que j’eusse fait incontinent après, sans son décès. Depuis, m’ayant ledit sieur Jannon sollicité de ma promesse, je m’y laisse emporter, les hasardant à la mer des humeurs d’un chacun. […] Mais pour le moins est-ce contentement à mon esprit, qu’à personne ne nuira cette façon d’écrire, qui n’embrouille pas les cerveaux de douteuse créance, comme font tant d’écrits en la Théologie, ne tue et n’estropie point les corps humains, comme tant en Médecine, et ne ruine point les maisons et les biens, comme tant en droit : des trois sortes desquels la terre est pour le jourd’hui grandement abusée, infectée, et ravagée. Adieu.
Vers leipogrammes,
Sedan, 1620,
« Au Lecteur », pp. 3-7
(texte modernisé).
Liens
Le lipogramme
* On peut lire, de Michel Sirvent, « Lettres volées (métareprésentation et lipogrammes chez Poe et Perec) », article paru dans la revue Littérature en 1991, publié en ligne sur le site Persée, portail d’édition électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.
* Sur Persée encore, d’Étienne Wolff, « Les jeux de langage dans l’Antiquité romaine », article paru dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé en 2001.
Liens valides au 29/08/24.
En ligne le 17/11/13.
Dernière révision le 29/08/24.