J’aurai en
révérence et me sera chômable
Le plus beau jour d’été, auquel je découvris
mon langoureux tourment
JACQUES GRÉVIN.
Je n’ai point trouvé le nom de Béreau parmi ce grand nombre de Poètes et autres Écrivains [1] dont Joachim Du Bellay parle avec honneur, ou qu’il se contente de citer dans ses poésies. Mais on y lit souvent celui de de Jacques Grévin, qui lui a survécu, et qui a jeté des fleurs sur son tombeau.
Ce Poète naquit à Clermont en Beauvaisis vers l’an 1540. Il se rappelle plusieurs fois avec complaisance dans ses poésies le souvenir du lieu de sa naissance, et de ceux qui l’ont honoré par leurs talents. Il nous apprend dans son Ode pour le tombeau de Pierre de Prong, son oncle, qu’il perdit son père de bonne heure, et qu’il dut son éducation à cet oncle : car feignant que Pierre de Prong lui reproche de n’avoir encore rien fait pour sa mémoire, il lui fait dire :
Toi que j’ai
premièrement
Après la mort de ton Père
Élevé soigneusement
Ainsi qu’une douce mère,
Abreuvant tes jeunes ans
De la foi des anciens :
Et dès ta première enfance
Au giron de la science
T’aviandant aux secrets
Des Auteurs Latins et Grecs.
Et plus bas Grévin reconnaît qu’il doit tout aux soins de cet oncle :
Car de tout ce que je puis,
Et qu’oravant pourrai dire,
Son redevable j’en suis,
Son redevable est ma lyre,
Et ma Muse et mes écrits,
Et tout ce que j’ai appris.
Il y a lieu de croire que le Poète entend par la foi des anciens dans laquelle il fut élévé, le goût et la manière de penser des Anciens. Quant à la Religion, on a des preuves que Grévin a professé le Calvinisme, et qu’il est mort dans cette religion. Ses progrès dans les belles lettres, dans la poésie en particulier, dans la connaissance des Auteurs Grecs et Latins, et même dans la Médecine, furent si grands, que dès sa plus tendre jeunesse, il mérita les éloges de ses contemporains ; ce qui lui a fait donner place par M. Baillet dans ses Enfants devenus célèbres par leurs études. Le savant Muret fut un de ses maîtres dans les Humanités, et Grévin se félicite d’avoir été un de ses disciples. Il n’avait qu’environ dix-sept ans lorsqu’en 1558 on représenta au Collège de Beauvais sa Comédie intitulée la Trésorière, qui en 1560 fut suivie de la Tragédie de César, en vers Français et en cinq Actes. On l’accusa d’avoir pris cette dernière pièce du Latin de Muret, mais quand on vint à l’examen, on reconnut la fausseté de l’accusation.
Grévin fit imprimer sa Tragédie en 1562 et la fit précéder d’un Discours en prose sur le Théâtre : il y parle du plagiat dont il avait été accusé : il ne nie pas qu’il n’ait profité de quelques endroits de la Tragédie de Muret ; mais il assure et avec raison, que la sienne est fort différente pour la conduite. Au commencement de 1560 on joua encore au même Collège sa Comédie qui a pour titre les Ébahis, aussi en vers : nous l’avons, avec la Trésorière, à la suite de sa Tragédie de César. Dans l’avis qui précède la Trésorière, Grévin dit qu’il avait déjà mis en jeu une autre Comédie, intitulée la Maubertine, et qu’il n’en privait le public que parce qu’elle lui avait été dérobée. Des talents si prématurés firent alors l’étonnement de l’Université et de la ville de Paris ; et tout le monde s’empressa d’applaudir au jeune Auteur et de l’encourager. Le fameux Ronsard se chargea en particulier de son panégyrique, et il n’épargna pas les expressions les plus flatteuses. Il le mit fort au-dessus de Jodelle et de lui, quoique l’un et l’autre fussent depuis longtemps en possession d’avoir les suffrages du public. M. Baillet, et ceux qui l’ont copié, prétendent que dans la suite la jalousie s’empara de l’esprit et du cœur de Ronsard, et qu’il ne put la cacher. Il est vrai que ce Poète ayant autrefois adressé à Grévin, dans le second livre de ses Amours, le Sonnet qui commençait pr ces vers :
À Phébus, mon
Grévin, tu es du tout semblable
De face et de cheveux, et d’art et de savoir,
il raya depuis le nom de Grévin, et y substitua le nom de Patouillet. Mais la jalousie n’eut aucune part à ce changement. Ceux qui l’ont pensé, ont ignoré que Grévin attaché au Calvinisme, oubliant toutes les louanges dont Ronsard l’avait honoré, n’avait pu lui pardonner son Discours sur les misère du temps, où les Sectateurs de la nouvelle Religion étaient maltraités, en haine de quoi il avait de concert avec La Roche-Chandieu, Florent Chrétien et d’autres, travaillé à la composition d’une Satire sanglante contre Ronsard, intitulée Le Temple.
[…]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque
française,
ou Histoire de la Littérature
française,
tome XII, 1748, pp. 152-156
[Gallica, NUMM-50655, PDF_155_159]
(texte modernisé).
Notes
[1] La « vie » de Jacques Grévin succède dans la Bibliothèque de l’abbé Goujet à celle de Jacques Béreau.
Liens
Compte rendu de lecture
* On peut lire, de Roland Guillot, un compte rendu de lecture de Jacques Grévin, La Gélodacrye et Les vingt-quatre sonnets romains, publications de l’Université de Saint-Étienne, texte établi et annoté par Michèle Clément, Collection Textes et Contre-textes, n°1, paru dans la revue Réforme, Humanisme, Renaissance (2001, volume 53), en ligne sur Persée, portail de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.
Liens valides au 23/10/24.
En ligne le 15/10/05.
Dernière révision le 24/10/24.