Je jure, je promets, j’assure
aux dieux célestes
D’aimer, n’aimer, haïr,
l’œil vert,
l’œil noir,
l’œil roux.
MARC DE PAPILLON,
dit le Capitaine Lasphrise.
Si le Capitaine Lasphrise eût suivi ces avis, il aurait retranché plus de la moitié des Poésies qu’il donna en 1599. [1] Que lit-on en effet dans cette multitude de Sonnets, de Stances, d’Élégies, de Chansons, qui remplit la plus grande partie de ce Recueil ? Des plaintes amoureuses, des sentiments d’un homme passionné, ou qui feint de l’être, des désirs de se satisfaire, des regrets de n’avoir pu y parvenir. Qu’y voit-on ? Un Militaire peu délicat sur le choix des objets de sa passion, qui donne presque toujours dans l’excès, qui se vante de ce qui le couvrait de honte, qui ne se servait de son esprit que pour séduire, et qui rebute par ses images indécentes et ses expressions grossières. Tel est en abrégé l’idée que j’en ai prise, en lisant ses Amours de Théophile ; l’Amour passionné de Noémie ; la délice d’amour ; la nouvelle inconnue, Historiette qu’il composa dès 1579 et qu’il adressa à M. de Beauvais Nangy ; l’Allusion, pièce énigmatique, remplie de mots barbares, sous lesquels il cherche à couvrir des idées qu’un reste de pudeur l’empêchait de dévoiler plus clairement. Si dans ses diverses Stances d’Amour, dans ses diverses Poésies, et dans la satire qu’il intitule le Fleau Féminin, il maltraite celles à qui dans cent autres pièces il prodigue ses hommages et son adoration, il paraît qu’il n’avait d’autre but que de se venger lui-même de l’amour dont il avait été plus d’une fois maltraité. Encore ne tarde-t-il pas à revenir à ses premiers sentiments, en chantant la Palinodie dans sa pièce intitulée, Désaveu du Fleau Féminin. Ses Énigmes, la louange du Chien, le Bouquet de Coquette fait en 1581, sa Tragi-comédie, ses Stances à la louange de Bacchus, son Carême-prenant, et ses quatre Élégies au Roi, ne méritent pas plus d’attention ; et je ne regretterai pas après lui la perte qu’il se plaint d’avoir faite de beaucoup d’autres Vers qu’il avait composés ; ils auraient grossi son recueil, ils ne l’auraient point enrichi.
[…]
Son vrai nom était Marc de Papillon. Il se faisait appeler le Capitaine Lasphrise, premièrement, parce qu’il avait mérité par ses Services le grade de Commandant, et qu’on lui en avait conservé le titre en se retirant ; en second lieu, parce qu’il possédait le fief de Lasphrise, dépendant de la terre de Vauberault en Touraine. Ce Fief était peu considérable, puisqu’en se vantant des louanges qu’il présumait que la postérité lui donnerait, il dit :
Et en regardant Lasphrise
Fief de basse valeur,
Peu de bien, beaucoup d’honneur
Me donneront pour devise.
Qu’en une terre petite
Il y a de grands trésors !
Ce diront-elles alors,
S’étonnant de mon mérite.
[…]
Marc de Papillon naquit à Amboise, puisqu’en parlant de cette Ville, il la nomme sa Patrie. Ses inclinations militaires se déclarèrent de bonne heure. Il commença de porter les armes dès l’âge de 12 ans, et il n’en avait que 14 lorsqu’il quitta la Touraine, qu’il ne revit depuis, jusqu’à sa retraite, que par intervalle. Étant en garnison au Mans, il devint épris des charmes de Renée Le Poulchre, qui était pensionnaire dans un Couvent, et qui n’écouta point sa passion. Ce mauvais succès ne le rebuta point ; et l’on voit par ce qu’il écrit à son ami Billard, qu’il fit de pareilles tentatives en Touraine, à Paris, en Bourgogne, et peut-être ailleurs. Cependant, si on l’en croit, sa bravoure n’en a pas moins éclaté dans toutes les occasions qui l’exigeaient. Il en prend à témoin l’Asie, l’Afrique, toute l’Europe, en particulier l’Allemagne, Vimory, Courtenay, la Saintonge, la Gascogne, et autres lieux, tant sur terre que sur mer, qui ont, dit-il, connu et éprouvé sa brave humeur. Telles furent ses occupations pendant 21 ans. Quand il avait quelques loisirs, il faisait des Vers :
Le Collège est un Camp,
l’étude un Corps de garde,
Où sans les Livres j’ai des Livres
composé
Pour montrer la grandeur de ma Muse soldarde.…
Aux Champs de Mars je fais, je chante mes amours ;
Trompettes et Canons, les Fifres, les Tambours,
Ce sont les instruments de ma Muse hardie ;
Mon épée est mon Livre.
[…]
Sur la fin de ses jours, accablé d’infirmités, il paraphrasa le Cantique des trois enfants dans la fournaise, le Cantique Magnificat, l’Oraison Dominicale, et la Salutation Angélique, et fit quelques Sonnets sur des sujets pieux.
[…]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la Littérature
française,
tome XV, 1753, pp. 14-21
[Gallica, NUMM-50658, PDF_70_77]
(texte modernisé).
[1] La « vie » de Lasphrise succède dans la Bibliothèque de l’abbé Goujet à celle des deux frères Robert et Antoine Le Chevalier qui, poètes chrétiens, reprochent aux poètes de leur temps leurs plaintes amoureuses. La vie des deux frères se conclut par les phrases suivantes : « Ils font les mêmes reproches, et adressent les mêmes avis à Du Bellay, à Desportes, à Bertaut, etc. qui, comme Ministres des Autels, auraient dû être l’exemple et les Pédagogues des autres. »
Liens
Édition
* Publiées en février 2008 aux éditions Absalon, Les Énigmes de Lasphrise sont republiées par les éditions Finitude. Des extraits peuvent en être lus en ligne au format PDF.
Liens valides au 10/10/23.
Musique
* On trouve, en fichier PDF, la première page de la partition d’une composition d’Anne Martin sur Ton poil, ton œil, ta main… sur le site belge d’édition et de gravure musicales Bayard-Nizet.
Liens valides au 10/10/23.
En ligne le 19/01/05.
Dernière révision le 10/10/23.