Marc Papillon de LASPHRISE
(1555-1599)
Dernier poème en ligne :
1597 : La plus douce douceur…


Je jure, je promets, j’assure

aux dieux célestes

D’aimer, n’aimer, haïr,

l’œil vert,    

l’œil noir,  

l’œil roux.

 
L’abbé GOUJET, 1753
 

MARC DE PAPILLON,

dit le Capitaine Lasphrise.

Si le Capi­taine Lasphrise eût sui­vi ces avis, il aurait re­tran­ché plus de la moi­tié des Poé­sies qu’il don­na en 1599.[1] Que lit-on en effet dans cette mul­ti­tude de Sonnets, de Stances, d’Élé­gies, de Chan­sons, qui rem­plit la plus grande par­tie de ce Recueil ? Des plaintes amou­reuses, des senti­ments d’un homme passion­né, ou qui feint de l’être, des désirs de se satis­faire, des regrets de n’avoir pu y parve­nir. Qu’y voit-on ? Un Mili­taire peu déli­cat sur le choix des objets de sa pas­sion, qui donne presque tou­jours dans l’excès, qui se vante de ce qui le cou­vrait de honte, qui ne se ser­vait de son esprit que pour sé­duire, et qui rebute par ses images in­dé­centes et ses expres­sions gros­sières. Tel est en abré­gé l’idée que j’en ai prise, en li­sant ses Amours de Théo­phile ; l’Amour pas­sion­né de Noé­mie ; la dé­lice d’amour ; la nou­velle incon­nue, His­to­riette qu’il com­po­sa dès 1579 et qu’il adres­sa à M. de Beau­vais Nangy ; l’Allu­sion, pièce énig­ma­tique, rem­plie de mots bar­bares, sous les­quels il cherche à cou­vrir des idées qu’un reste de pu­deur l’em­pê­chait de dé­voi­ler plus clai­re­ment. Si dans ses diverses Stances d’Amour, dans ses diverses Poé­sies, et dans la sa­tire qu’il inti­tule le Fleau Fé­mi­nin, il mal­traite celles à qui dans cent autres pièces il pro­digue ses hom­mages et son ado­ra­tion, il paraît qu’il n’avait d’autre but que de se ven­ger lui-même de l’amour dont il avait été plus d’une fois mal­trai­té. Encore ne tarde-t-il pas à reve­nir à ses pre­miers sen­ti­ments, en chan­tant la Pali­no­die dans sa pièce inti­tu­lée, Désa­veu du Fleau Fé­mi­nin. Ses Énigmes, la louange du Chien, le Bou­quet de Co­quette fait en 1581, sa Tragi-comédie, ses Stances à la louange de Bac­chus, son Carême-prenant, et ses quatre Élé­gies au Roi, ne méritent pas plus d’atten­tion ; et je ne regret­te­rai pas après lui la perte qu’il se plaint d’avoir faite de beau­coup d’autres Vers qu’il avait com­po­sés ; ils auraient gros­si son recueil, ils ne l’au­raient point enri­chi.

[…] 

Son vrai nom était Marc de Papillon. Il se faisait appe­ler le Capi­taine Las­phrise, pre­miè­re­ment, parce qu’il avait mé­ri­té par ses Ser­vices le grade de Com­man­dant, et qu’on lui en avait conser­vé le titre en se reti­rant ; en second lieu, parce qu’il pos­sé­dait le fief de Las­phrise, dé­pen­dant de la terre de Vau­be­rault en Tou­raine. Ce Fief était peu consi­dé­rable, puisqu’en se van­tant des louanges qu’il pré­su­mait que la pos­té­ri­té lui don­ne­rait, il dit :

Et en regardant Lasphrise
Fief de basse valeur,
Peu de bien, beaucoup d’honneur
Me donneront pour devise.
Qu’en une terre petite
Il y a de grands trésors !
Ce diront-elles alors,
S’étonnant de mon mérite.

[…] 

Marc de Papil­lon naquit à Amboise, puisqu’en par­lant de cette Ville, il la nomme sa Patrie. Ses incli­na­tions mili­taires se décla­rèrent de bonne heure. Il com­men­ça de por­ter les armes dès l’âge de 12 ans, et il n’en avait que 14 lorsqu’il quit­ta la Tou­raine, qu’il ne revit depuis, jus­qu’à sa retraite, que par inter­valle. Étant en gar­ni­son au Mans, il devint épris des charmes de Renée Le Poulchre, qui était pen­sion­naire dans un Cou­vent, et qui n’écou­ta point sa pas­sion. Ce mau­vais suc­cès ne le rebu­ta point ; et l’on voit par ce qu’il écrit à son ami Bil­lard, qu’il fit de pa­reilles ten­ta­tives en Tou­raine, à Paris, en Bour­gogne, et peut-être ail­leurs. Cepen­dant, si on l’en croit, sa bra­voure n’en a pas moins écla­té dans toutes les occa­sions qui l’exi­geaient. Il en prend à témoin l’Asie, l’Afrique, toute l’Europe, en parti­cu­lier l’Alle­magne, Vimo­ry, Cour­te­nay, la Sain­tonge, la Gas­cogne, et autres lieux, tant sur terre que sur mer, qui ont, dit-il, connu et éprou­vé sa brave humeur. Telles furent ses occu­pa­tions pendant 21 ans. Quand il avait quelques loisirs, il faisait des Vers :

Le Collège est un Camp, l’étude un Corps de garde,
Où sans les Livres j’ai des Livres composé
Pour montrer la grandeur de ma Muse soldarde.…
Aux Champs de Mars je fais, je chante mes amours ;
Trompettes et Canons, les Fifres, les Tambours,
Ce sont les instruments de ma Muse hardie ;
Mon épée est mon Livre.

[…] 

Sur la fin de ses jours, acca­blé d’in­fir­mi­tés, il para­phra­sa le Can­tique des trois enfants dans la four­naise, le Can­tique Magni­fi­cat, l’Orai­son Domi­ni­cale, et la Salu­ta­tion Angé­lique, et fit quelques Son­nets sur des sujets pieux.

[…] 

L’abbé GOUJET,
Bibliothèque fran­çaise,
ou Histoire de la Littérature fran­çaise,
tome XV, 1753, pp. 14-21
[Gallica, NUMM-50658, PDF_70_77]
(texte modernisé).


Notes

________

[1] La « vie » de Lasphrise succède dans la Biblio­thèque de l’abbé Goujet à celle des deux frères Robert et Antoine Le Cheva­lier qui, poètes chré­tiens, reprochent aux poètes de leur temps leurs plaintes amou­reuses. La vie des deux frères se conclut par les phrases sui­vantes : « Ils font les mêmes reproches, et adressent les mêmes avis à Du Bellay, à Des­portes, à Ber­taut, etc. qui, comme Ministres des Autels, auraient dû être l’exemple et les Péda­gogues des autres. »



Liens

Édition

* Publiées en février 2008 aux édi­tions Absalon, Les Énigmes de Lasphrise sont repu­bliées par les édi­tions Finitude. Des extraits peuvent en être lus en ligne au for­mat PDF.

Liens valides au 10/10/23.


Musique

* On trouve, en fichier PDF, la première page de la parti­tion d’une compo­si­tion d’Anne Martin sur Ton poil, ton œil, ta main… sur le site belge d’édi­tion et de gravure musi­cales Bayard-Nizet.

Liens valides au 10/10/23.




En ligne le 19/01/05.
Dernière révision le 10/10/23.