CLAUDE TURRIN.
Quelque mauvaises que soient les poésies de Peletier [1], il y a du moins plus de variété que dans celles de Claude Turrin, Dijonnois. Ce dernier n’a presque chanté que son amour pour Chrétienne de Baissey, Demoiselle de Saillant. Quoique né, comme il le dit, d’une famille inférieure à celle de cette Demoiselle, et avec une fortune qui n’était pas proportionnée à la sienne, il osa prétendre à l’honneur de son alliance, soupira deux ans pour elle, et quitta Accurse et Barthole, c’est-à-dire, l’étude du Droit civil [a] qu’il avait à peine effleurée à Padoue, pour faire entendre en vers une infinité de soupirs, de larmes et d’angoisses amoureuses qui n’avaient que son amour pour objet. Il lut dans cette vue Théocrite, Anacréon, Pétrarque et les autres Poètes où la tendresse et la galanterie règnent le plus, il en prit les sentiments, et en exprima les pensées le moins mal qu’il put ; et ce jeune Écrivain qui paraît avoir eu assez de talent et de capacité pour se faire honneur par des études plus sérieuses et plus utiles, perdit son temps et ses soins à poursuivre inutilement une félicité imaginaire, dont il sentait quelquefois le néant, mais qu’il n’eut jamais la force et le courage d’abandonner. Il vivait encore en 1566 et se disposait alors à offrir à sa maîtresse le recueil de ses poésies, comme on le voit par l’Épître en prose qu’il lui adresse, et qui est datée de Dijon le 20 Juillet de l’année que je viens de citer. Mais étant mort peu de temps après, Maurice Privey, Secrétaire de M. Des Arches, Maître des Requêtes, et le savant François d’Amboise, Parisien, suppléèrent à ce qu’il n’avait pu exécuter. Le premier se chargea de ramasser tout ce qu’il pourrait trouver des poésies du défunt, le second les revit et les corrigea. Ce recueil fut imprimé à Paris en 1572 in 8°. Après le portrait de Chrétienne de Saillant, on lit deux Sonnets de Turrin à la même, un troisième Sonnet de Maurice Privey à Damoiselle Jacquette Turrin sa cousine sur le livre de Claude Turrin son frère, un quatrième de François d’Amboise au Sieur Privey, et un cinquième d’Aimar Du Perier, gentilhomme Dauphinois. Le recueil même des poésies de Turrin contient deux livres d’Élégies, un livre de Sonnets, quatre Chansons, deux Églogues et neuf Odes suivies de trois Sonnets Italiens et d’un Français. Ce dernier est adressé à sa maîtresse ; il était juste que ce recueil dont elle est presque l’unique objet, commençât et finît par elle.
On n’apprend presque rien dans ces poésies, qui concerne la personne de l’Auteur. Turrin n’y fait même aucune mention de son voyage d’Italie. Cette circonstance ne nous a été conservée que par Claude de Pontoux, qui s’exprime ainsi dans le deux-cent dix-neuvième Sonnet de son Idée.
D’avoir passé les
Monts pour courir l’Italie,
Turrin, il te doit être ores un grand tourment ;
Ores il me doit être un grand soulagement,
Tu avais à Dijon une parfaite amie :
Et j’avais dedans Dole une
fière ennemie :
La tienne d’un doux œil te traitait doucement,
La mienne d’un rude œil me traitait rudement,
Ne me paissant jamais que de mélancolie.
Tu as laissé ton heur pour
être malheureux,
J’ai laissé mon malheur pour être
bienheureux,
Je pleurais dans Bourgogne et je ris dans Padoue :
Tu riais dans Bourgogne, et dans Padoue
étant
Tu vas chez Bartholin tes amours regrettant,
Voilà comment de nous ce petit Dieu se joue.
Turrin tient un langage bien différent dans ses poésies ; il s’y plaint continuellement des rigueurs de sa maîtresse.
[…]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque
française,
ou Histoire de la Littérature française,
tome XII, 1748, pp. 314-317
[Gallica, NUMM-50655, PDF_317_320]
(texte modernisé).
Notes
[1] La « vie » de Claude Turrin succède dans la Bibliothèque de l’abbé Goujet à celle de Peletier Du Mans.
________[a] Note marginale de Goujet : Turr. Eleg. 2. l. 4. Eleg., c.-à-d. Turrin, Livre second des Élégies, Élégie 4 [f° 38r° =PDF_92].
En ligne le 07/09/08.
Dernière révision le 06/02/24.