JE
voudrais être Ixion
et Tantale,
Dessus la
roue,
et dans les eaux
là-bas :
Et quelquefois presser entre mes
bras
Cette beauté
qui les anges
égale.
S’ainsin était,
toute peine
fatale
Me serait douce, et ne me chaudrait pas,
Non d’un vautour
fussé-je le repas,
Non, qui
le roc
remonte et redévale.
Lui tâtonner seulement le
tétin
Échangerait
l’obscur
de mon destin
Au sort
meilleur des
princes
de l’Asie :
Un demi-dieu me ferait son
baiser,
Et flanc
à flanc
entre ses bras
m’aiser,
Un de ceux-là qui mangent
l’Ambroisie.
Je voudrais être.) Il dit qu’il serait content d’endurer les plus graves peines, que les poètes disent être aux enfers, à telle condition, qu’il pût quelquefois jouir de sa dame. Parce que le seul attouchement du tétin, le ferait aussi heureux qu’un prince : le baiser, le ferait demi-dieu : et le dernier point, le ferait aussi heureux que les dieux mêmes. Ixion.) Ixion, comme raconte Didyme sur le vingt-et-unième de l’Odyssée, fut fils à Jupiter. Les interprètes de Pindare disent, qu’il épousa une nommée Die, de laquelle le père eut à nom Déïonée. Or la coutume était anciennement, que les nouveaux mariés faisaient de beaux présents, à ceux desquels ils épousaient les filles. Ixion, qui était de méchante nature, pria son beau-père de venir banqueter en sa maison, et là, suivant la coutume, recevoir les présents. Cependant il fit un grand creux à l’entrée du lieu où se devait faire le festin, et l’ayant rempli de charbons ardents, et couvert quelque peu par le dessus, fit malicieusement tomber ce pauvre homme là-dedans, et y mourir misérablement. L’horreur de ce crime mit Ixion en si grande haine et des dieux et des hommes, que par un long temps il errait çà et là vagabond, ne trouvant personne, qui le voulût recevoir. Enfin Jupiter ayant pitié de lui, le purgea de ce forfait, et le fit venir au ciel : même lui porta tant de faveur, qu’il le faisait ordinairement boire et manger à sa table. Pour cela toutefois sa malice ne fut aucunement corrigée. Ains un jour entre autres, s’étant bien enivré de Nectar, et soûlé d’Ambroisie, il fut bien si présomptueux que de s’adresser à Junon, et lui tenir propos déshonnêtes : voire jusqu’à la presser de son honneur. Elle grandement courroucée, en fit le rapport à Jupiter : qui pour le commencement eut soupçon, que sa femme eût controuvé cela, à cause de la haine qu’elle portait à tous ceux qu’il avait engendrés d’autre que d’elle. Par quoi voulut par certaine expérience en savoir la vérité. Si prit une nuée, de laquelle il fit une image moult ressemblante à Junon, et la mit en la chambre où Ixion soulait se retirer. Lequel pensant au vrai de cette image, que ce fut Junon, accomplit son désordonné vouloir avec elle : et dit-on que de là naquirent les Centaures, qui furent à demi hommes, à demi chevaux. À cette cause Jupiter, ne le pouvant faire mourir (parce qu’il avait mangé de l’Ambroisie) l’envoya tout vif aux enfers, et le fit par les mains, et par les pieds attacher à une roue, qui tourne perpétuellement : où il est encore, criant aux hommes, qu’ils apprennent par son exemple, à ne rendre pas mal pour bien, ains à rendre la pareille à ceux qui leur auront fait plaisir. Vois Didyme à la toute fin du vingt-et-unième de l’Odyssée, et Pindare en l’Ode seconde des Pythies. Et Tantale.) On raconte diverses choses de Tantale. Les uns disent, qu’il fut admis au banquet des dieux, et qu’il déroba du Nectar, et de l’Ambroisie, pour en donner aux hommes qui avaient coutume de banqueter avec lui. Cela raconte Pindare aux Olympies. Les autres comme Euripide, qu’il révéla les secrets des dieux aux hommes. D’autres encore, comme un des interprètes de Pindare, qu’on lui avait donné en garde un chien, qui était commis à la garde du temple de Jupiter en Candie, et en avait été dérobé, et que quand Jupiter l’envoya quérir par Mercure, il lui dit, qu’il ne l’avait pas. On dit aussi, que voulant festoyer les dieux, il détrancha par pièces un sien fils nommé Pélops, et l’ayant fait cuire leur en voulut faire manger. Aussi grande est la variété des sentences, quant à la peine qu’il souffre. Les uns disent, que Jupiter l’accabla d’une montagne nommée Sipyle. Les autres, qu’il est aux enfers pendu en l’air, ayant une grosse pierre sur sa tête, toujours comme prête à choir : et que par ainsi il est tourmenté par une continuelle crainte. Les autres, desquels l’opinion est fondée sur l’autorité d’Homère dans l’onzième de l’Odyssée, et de tous plus communément reçue, disent qu’il est dans l’eau jusqu’au menton, et dès qu’il se veut baisser, pour étancher sa soif, l’eau s’enfuit si bien, qu’il n’en saurait prendre une goutte. Disent davantage, qu’il est entourné de beaux arbres, comme pommiers, poiriers, grenadiers, et tels autres, qui lui apportent le fruit tout auprès des mains, et quand il en cuide prendre, les arbres se haussent soudain, tellement qu’il n’y peut atteindre. S’ainsin était.) Si ainsi était. Ainsin pour ainsi, à cause de la voyelle qui s’ensuit : à la manière des Grecs, qui disent ἐστὶν pour ἐστὶ. Et Γλαῦκος ἔτίκτεν ἀμύμονα Βελλεροφόντην pour ἔτίκτε [« Glaucos engendra l’irréprochable Bellérophon », Homère, Iliade, VI, 155]. Et ainsi des autres. Non d’un vautour fussé-je le repas.) Non, quand bien un vautour se devrait repaître de moi, comme on dit, qu’il fait de Titye : duquel les poètes disent, que pour avoir voulu forcer Latone, il fut tué à coups de sagettes par Apollon et Diane : et après, aux enfers étendu de tout son long : et dit-on, qu’il couvre de son corps quatre arpents et demi de terre : là où deux vautours (les autres n’y en mettent qu’un) lui rongent perpétuellement le foie. Homère en fait mention dans l’onzième de l’Odyssée. Pindare aux Pythies, Virgile au sixième, et plusieurs autres. Non, qui le roc remonte et redévale.) C’est-à-dire, non, fussé-je celui, qui remonte et redévale le roc. Cette manière de parler n’est pas encore usitée entre les Français : mais elle est divinement bonne toutefois, et poétique autant qu’il est possible. Non, qui le roc.) Il entend Sisyphe, lequel Homère dit avoir été le plus fin homme de tous ceux qui jamais furent. Étant près de sa mort, il donna charge à sa femme, qu’elle ne le fît point ensevelir. Après être arrivé aux enfers, il se vint plaindre à Pluton, disant que sa femme ne tenait compte de mettre son corps en terre : et fit tant par ses paroles que Pluton lui donna congé de sortir et revenir encore au monde, pour tancer et punir sa femme, de cette négligence. Depuis qu’il fut une fois sorti, il n’y voulait plus retourner, jusqu’à ce que Mercure vînt qui l’y ramena par force. Pour punition de cette tromperie, il fut condamné à porter une grosse pierre au plus haut d’une montagne. Mais lorsqu’il est presque parvenu au sommet, la pierre retombe en bas : tellement que par ce moyen sa peine est infinie. Ainsi le récite Démétrie sur les Olympies de Pindare. Le commentaire sur le sixième de l’Iliade le récite encore autrement : mais je n’aurais jamais fait, si je voulais tout poursuivre. L’obscur de mon destin.) Ma condition, qui pour cette heure est basse et obscure. Au sort meilleur des Princes de l’Asie.) Qui est le plus fertile, et le plus riche pays du monde. Ainsi Horace voulant dire, qu’il avait été quelquefois fort heureux, dit, qu’il a été plus heureux que le roi des Perses,
Persarum vigui rege beatior.
Un demi-dieu me ferait son baiser.) Cette fin est prise d’un épigramme Grec de Rufin,
Ὄμματ΄
ἔχεις
῞Ηρης͵
Μελίτη͵
τὰς
χεῖρας
Ἀθήνης͵
τοὺς
μαζοὺς
Παφίης͵ τὰ
σφυρὰ τῆς
Θέτιδος.
εὐδαίμων
ὁ βλέπων
σε͵
τρισόλβιος
ὅστις
ἀκούει͵
ἡμίθεος
δ΄ ὁ φιλῶν͵
ἀθάνατος
δ΄ ὁ γαμῶν.
[Anthologie palatine,
V, 69 ; texte grec provenant d’une page de
remacle.org,
qui donne à lire les épigrammes de Rufin
en grec et en traduction (n° 94).]
L’épigramme
entier a été
tourné
par Baïf au premier livre des Amours.
____
[texte modernisé]
[R]
En ligne le
07/07/19.
Dernière révision le 31/12/19.