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MARIN
LE
SAULX |
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Théanthropogamie en forme de dialogue par sonnets chrétiens |
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Londres,
Thomas Vautrolier 1577 |
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Christ répond |
SONNET 101 Montés dessur les monts d’orgueil et d’arrogance, De vaine ambition, et folle confiance, Hausser contre le ciel leurs sourcils élevés : Tels voit-on aujourd’hui les Prêtres controuvés Du Contre-Christ sanglant, d’une fière assurance Morguer avecques lui la divine puissance, Et mépriser aussi ses décrets approuvés. Mais tel que l’on a vu fondre en terre des cieux, Par un contre-choquer le foudre audacieux, Et abîmer ainsi au centre de la terre : Tel verra l’on aussi le Contre-Christ meurtrier, Abîmer aux Enfers de son degré premier, Si Christ hausse le bras pour lui faire la guerre. |
TEl que l’on vit jadis Nabuchodonozor Crachant contre le ciel d’une rage fumeuse, Meurtrir du saint de Dieu la sainteté fameuse, Et d’une avare main ravager son trésor, Tel que l’on vit jadis le père d’Eupator, Et sa postérité doublement malheureuse, Du sang des Circoncis teindre l’onde écumeuse, Et du temple sacré ravir l’argent et l’or, Tels que l’on vit jadis tous ces chiens enragés, Regorger par les nez le sang des outragés, Puis d’un foudre éclatant tomber à la renverse, Tel voit-on aujourd’hui l’Antéchrist outrager Ma Christine pudique, et son bien ravager : Telle aussi soit la fin de sa rage perverse. |
texte
original
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Christ répond |
SONNET 103 Quand je vis de mes yeux, de son creux s’élevant Contre mont à la hâte un tourbillon de vent, Qui portait dans le ciel les vagues de son onde. Ce vent qui de son souffle éventait tout le monde, De tourbillon de vent devint homme vivant, Qui du feu de sa voix légèrement mouvant, Brûlait la plus grand part de cette terre ronde. Je vis des quatre parts de tout cet Univers, S’assembler contre lui tous les hommes pervers, Qui cuidaient obscurcir le luisant de sa gloire : Mais je le vis voler sur le haut d’un rocher, Et sur ses ennemis mille traits décocher Du feu de son courroux, héraut de sa victoire. |
J’Étais dessur le bord de la mer
tourmentée, Quand je vis au milieu un grand vaisseau flottant, Que l’orage du ciel fièrement tempêtant, Agitait çà et là dessus l’onde éventée. Je vis du ciel voûté la face dépitée Verser d’un feu soufré le gros foudre éclatant, Qui brûlait dans la mer, sans s’éteindre pourtant, Ce vaisseau tourmenté de la vague agitée. Je vis un grand Rocher à la pointe cornue, Menacer de tout loin cette Hurque inconnue, Et ciel et terre et mer contre elle étaient d’accord, Quand un Nocher tenant d’un petit mont la croupe, Tourna au vent soufflant de ce vaisseau la poupe, La sauvant de l’orage au plus sûr de son bord. |
texte
original
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________________ En marge du sonnet, cette annotation : 4 Esdr. 12. |
________________ ¶ hurque (vers 10) : flourque, sorte de navire (La Curne, tome 7, p. 75 [Gallica, N0050586]) |
SONNET 105 Le vaincu du vainqueur bravement triompher, Le meurtri sous sa mort le meurtrier étouffer, Écarbouillant sa tête à coup de cimeterre. Je vois sous le pillé le pillard mis par terre, Étroitement lié d’un gros lien de fer, Et la chair par l’Enfer démolir notre enfer, Et la mort qui par mort gêne, étreint, lie et serre. Je vois le dépouillé qui remporte en sa gloire, Le butin du vainqueur, témoin de sa victoire, Ayant les bras au dos étroitement liés : Je vois dedans la mort une vie éternelle, Qui couronne son chef d’une palme immortelle, Ayant des morts par mort les liens déliés. |
JE vois
de mes deux
yeux marcher parmi la plaine, En parement royal celle qui de ses yeux, Obscurcit l’éclairant de ces feux radieux, [mène, Qu’on voit dedans les cieux quand la nuit se pour- Qui surpasse en beauté la Lune toute pleine, Et du Soleil plus clair le luisant gracieux, Qui des liens dorés de son chef précieux, Me prend son prisonnier, puis m’étreint et me gêne. Je suis son prisonnier d’autant que je l’ai prise, Je suis son serviteur qui l’ai mise en franchise, Elle est mon propre acquêt je suis son héritage. Elle est ma seule mort qui lui donne la vie, Elle est mon seul enfer qui au ciel la convie, Elle est mon propre bien, et je suis son partage. |
texte
original
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SONNET 107 Si Christ vit franc de mort je vis pareillement, S’il meurt, je meurs aussi, voire éternellement, S’il meurt il faut qu’en vie à jamais je demeure. Si je meurs je m’acquiers une vie meilleure, Si je meurs je me meurs perpétuellement, Si je vis je péris par mort semblablement, Si je vis je vivrai d’une vie plus seure. S’il vit je vis aussi en la chair infidèle, S’il meurt je meurs en chair, l’esprit vivant toujours, Ainsi sa mort meurtrit et anime mes jours. Si je vis en la chair j’occis l’esprit fidèle, Si je meurs en l’esprit ma chair est vive alors : Ô Christ, anime l’âme, et meurtris donc le corps. |
SI Christine veut vivre il lui convient mourir, Si Christine veut vivre elle a vie éternelle, Si elle veut mourir sa mort est pérennelle, Si elle veut mourir Christ la vient secourir. Si Christine pour Christ ne veut mort encourir, Elle perd en vivant une vie immortelle, Si Christine pour Christ ne craint la mort mortelle, Christine par la mort voit la vie accourir. Si Christine a désir de vivre en l’autre monde, Christine obtient par Foi une vie seconde, Que le Christ son époux lui acquiert par son sang. Si Christine veut vivre ici bas en la terre, Christine sent la mort qui durement la serre, Et lui montre aux Enfers le soufre de l’étang. |
texte
original |
Ame prise pour l’esprit
ou partie spirituelle, & le corps pour la chair ou partie
charnelle. |
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SONNET 109 Fièrement main à main la voûte des hauts cieux. J’ai vu la chair roidir ses bras pernicieux, Et sous elle l’Esprit se tordre, et se débattre. Le Péché forcenant d’ardeur opiniâtre Poursuivait chaudement la justice en tous lieux. La mort plus fière encor, d’effort plus furieux Sur la vie à grands coups chamaillait pour l’abattre. Le Ciel haussant le bras pour donner à travers, Coucha les Enfers creux sous ses pieds à l’envers : Et l’esprit sur la chair remporta la victoire. La Justice étrangla le péché de ses mains : La vie occit la mort, et du tout les humains Remportent le profit, et mon Époux la gloire. |
DEssus le char mouvant de ma chair qui fut morte, Qui vaincue a vaincu de la mort le pouvoir, Qui la chair sans ma chair faisait sous soi mouvoir, Au gré de sa rigueur qui était la plus forte, Dedans le ciel voûté ma Christine je porte, Qui peut franche de mort sentir, goûter et voir, Les fruits d’Éternité que je lui fais avoir, Par ma chair qui ouvrit de leur Jardin la porte. Christine qui du ciel reçoit vie et vigueur, Ne sentait du haut ciel qu’une juste rigueur, Sans ma chair qui du ciel lui a fait ouverture. Christine qui craignait l’aiguillon de la mort, D’Enfer, et du péché le pouvoir rude et fort, A contre leur effort ma chair pour couverture. |
texte
original
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SONNET 111 Qui errez chastement sous l’ombre de ces bois, Si vous avez ouï de mon Époux la voix Éclater en l’épais de ces branches nouvelles, Ou si vous l’avez vu de ces fleurettes belles Piller le baume doux, comme il fait quelquefois, Et si du ciel voûté vous révérez les lois, Suivez avecques moi ses traces immortelles. Si vous avez senti de sa flamme amoureuse Quelque ardente étincelle, oyez ma voix pleureuse, Sans dédaigner le cri de mon gémissement, Ainsi avec le temps puissiez-vous en partage, Rencontrer le loyer d’un divin mariage, Qui brûle d’un saint feu vos âmes doucement. |
Ô Filles d’Israël ! ô
vierges
gracieuses ! L’honneur du peuple Hébreu, mille fois excellant, Et mille et mille encor, cet or étincelant, Qui orne de Phison les rives écumeuses, Pucelles qui suivez les traces amoureuses De Christine au beau teint, sur l’argent ruisselant Dans le vert-gai des prés, et d’un pas sautelant Foulez des belles fleurs les perles précieuses, Si vous oyez la voix de Christine aux doux yeux, Appelant Christ et Christ en ces écartés lieux, Répondez en mon nom à ma Christine unique, Que je suis sur le mont porte-myrrhe et encens, Paissant de leur odeur de mon odeur le sens, Tant que l’aube du jour ses coursiers poigne et pique. |
texte
original
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SONNET 113 Qui as abandonné à la vengeuse mort Ton fils pour repurger le mal de notre tort, Qui combattait infect de tes lois la droiture, Jette sur moi tes yeux, ta pauvre créature, Qui courbe sous l’effet de péché vil et ord, Et du sanglant torrent qui de son côté sort, Submerge mon péché, son dard et sa pointure. Fais que l’Adam nouveau en moi renouvelé, Meurtrisse l’autre Adam, lequel s’est rebellé, Encontre l’équité de ta blanche justice : Et me redonne encor son esprit immortel, Et j’offrirai mes dons sur ton Christ, mon autel, À toi qui de son sang laves mon injustice. |
ALme divinité qui sur les cieux
résides, Et de là sagement sur le large travers De la terre, et de l’onde, et du large Univers, D’un éternel souci, sans souci tu présides, Préserve, ô saint des saints, mes saints Israëlides, Ceux que tu m’as donnés, que le monde pervers Poursuit incessamment, en mille lieux divers, Pour enfler de leur sang l’eau des fleuves liquides. Ce sont ceux Père doux lesquels tu m’as donnés, Et qui ont de tout temps leurs sièges ordonnés Dans le ciel, où se tient ta majesté divine, Ce sont ceux pour lesquels je courbe sous la mort, Pour prendre puis après son imprenable fort, Que j’ai tous engendrés au giron de Christine. |
texte
original
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SONNET 115 Heureux le ventre heureux qui le Christ a conçu, Et le vierge tétin qui du ciel a reçu Ce bonheur, d’allaiter et son Fils et son Père : Heureuse encore un coup la Vierge débonnaire De laquelle le Christ Dieu et homme est issu : Mais plus heureux encor qui de cœur a perçu, Ce secret par lequel le salut il espère. Heureux dix mille fois qui d’une vive Foi, Embrasse et reconnaît ce Christ, pour Christ et Roi, Attendant par sa mort de la mort la ruine : Heureux dix mille fois qui oit et garde aussi, Ses mandements sacrés, et d’un cœur endurci Ne rejette le vrai de sa sainte doctrine. |
HEureuse mille fois cette mère pucelle, Qui dans son ventre vierge a porté le Sauveur, Et de son tétin vierge épuré la saveur, Pour allaiter celui qui tous les dieux excelle. Mais qui pourra chanter le grand bonheur de celle, Qui a reçu du ciel tant et tant de bonheur, Que d’enfanter la mère et le fils pardonneur, Qui fait branler du doigt la terre universelle ? Marie a enfanté Christ maternellement, Christine a enfanté le Christ pareillement, Mais l’une par la chair, l’autre par Foi sincère. De l’une et l’autre encor Christ est le fils aîné, Mais le ciel seulement à Christine a donné D’Enfanter par la Foi et le fils et la mère. |
texte
original
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SONNET 117 Enseigne la vertu sûr chemin des hauts cieux, Et si découvre aussi le péché vicieux Le tortueux sentier de la mort éternelle, Promettant des hauts cieux la gloire pérennelle, Elle enfondre au profond des Enfers envieux, Elle hait du péché le monstre ambitieux, Et l’arme néanmoins d’une force bourrelle. La Loi promet la vie, et ne donne que mort : Elle aime la justice, et enfante le tort : (Car nul de son péché sans Loi n’a connaissance.) La Loi offre à la chair du ciel l’Éternité, Et la Loi de la chair damne l’infirmité, Mais Christ donne du ciel sans la Loi jouissance. |
DE l’importable Loi l’importable justice Avait emprisonné aux prisons de la mort, Celle qui a des yeux le rayon assez fort, Pour le marbre entamer de mon âme, sans vice, Là le péché bourreau, des fers de l’injustice Serrait étroitement son cœur, jà demi-mort, Et l’Enfer plus cruel s’égayant de son tort, L’agravantait encor du faix de sa malice : La pauvrette courbant sous ce mal inhumain, Détestait à bon droit la sacrilège main, Qui osa méchamment du fruit défendu prendre, Mais ses cris redoublés et tous remplis de fiel, N’eussent pu pénétrer dans le secret du ciel, Si je ne l’eusse ouvert pour sa prière entendre. |
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________________ ¶ importable (vers 1) : insupportable (La Curne, tome 7, p. 82 [Gallica, N0050586]). |
SONNET 119 Par le sentier des maux en la joie immortelle, Et par l’huis de la mort en la vie éternelle, Cil qui ceint de pur or son beau chef précieux. Qui de sa bouche enfante un glaive furieux, Qui meurtrit sous ses pieds le mutin infidèle, Qui éclaire le ciel de sa double chandelle, Qui fait honte au midi du Soleil radieux : En foulant le pressoir du vin de sa colère, Pour meurtrir dessous soi l’infidèle adversaire, Il a trempé sa robe en la mer de son sang, Et mène pour butin de sa belle victoire, Pour jouir en commun du règne de sa gloire, Ceux qui se sont blanchis dedans son rouge étang. |
PAr la porte des maux en la cité des biens, Par le ruisseau des pleurs en la source de joie, Par le sentier de mort en l’immortelle voie Je fais marcher ici et Christine et les siens. Celle qui me retient serré en ses liens, Celle qui de mes pleurs ses pleurs submerge et noie, Qui le sang de son sang dedans mon sang nettoie, Vole par mes enfers aux hauts cieux qui sont miens. Celle qui d’or d’Ophir son beau chef blond couronne, Qui son corps bien taillé de blanc crêpe environne, Est celle qui se sied au banquet de l’Agneau. Celle qui de son teint tout autre teint efface, Qui ternit le cristal du luisant de sa face, Boit avec tous ses saints du cristallin ruisseau. |
texte
original
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________________ ¶ Ophir (vers 9) : pays oriental où les flottes de Salomon allaient chercher de l’or (Bouillet, Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, 1878, p. 1381 [Gallica, N0004849]). |