Marin  Le  Saulx 
 Le Préambule… 
Théanthropogamie
en forme de dialogue par sonnets chrétiens
 BnF Gallica, NUMM-71977 
Londres, Thomas Vautrolier,
1577
Pages limi­naires Sonnets 1 à 20 Sonnets 21 à 40 Sonnets 41 à 60 Sonnets 61 à 80 Sonnets 81 à 100
Sonnets 101 à 120 Sonnets 121 à 140 Sonnets 141 à 160 Sonnets 161 à 180 Sonnets 181 à 200 Sonnets 201 à 215
Sonnets 41 à 60
texte modernisé
41. Quand je sens les rayons de ce divin Soleil…
43. De mon Soleil luisant la lumière éternelle…
45. Je vois dans mon Jardin un éternel Printemps…
47. Par les yeux de ma foi l’ardeur de cette flamme…
49. Déjà le clair Soleil baignait son chef en l’onde…
51. Qui a vu le Soleil dessus son char doré…
53. Blasonne qui voudra l’odeur du vert Laurier…
55. Je sens d’un mal mortel la fière cruauté…
57. Ô de l’amour divin la douce cruauté !…
59. Ô trop cruelle Loi ! de qui la loyauté…
42. Quand le marbre poli de sa face j’attouche…
44. De ma Lune qui luit en rondeur toute pleine…
46. Je vois dans le Jardin de mes divines fleurs…
48. Par les yeux ce ne fut que la vive étincelle…
50. Déjà le clair Soleil qui les ténèbres fuit…
52. Qui a pu voir la Lune au Soleil opposée…
54. Blasonne qui voudra des œillets le vermeil…
56. Je sens rigueur, douceur, et justice, et pitié…
58. Ô la libre prison de ces beautés tant belles…
60. Ô trop cuisante ardeur qui vient de ces flambeaux !…
 
 
 
 
 
sonne  41 
sonne  42 

QUand je sens les rayons de ce divin Soleil
Pénétrer doucement de leur divine flamme,
Les oreilles, les yeux, et les sens de mon âme,
Pour réveiller ainsi de ma mort le sommeil :

Quand mon âme aperçoit le clair de son vermeil,
Qui de son feu sacré divinement enflamme
Son esprit, qui d’ardeur divinement se pâme,
Ô quel plaisir je sens ! quel plaisir nonpareil,

Ce feu qui brûle et ard est soutien de ma vie,
Qui tue un autre feu dont je suis poursuivie,
Pour détruire et piller de mon bonheur le mieux.

Puisse donc ce Soleil de sa flamme luisante,
Brûler incessamment mon âme languissante,
Et d’un jour éternel illuminer mes yeux.

QUand le marbre poli de sa face j’attouche,
Qui ternit tout le ciel de ses divins flambeaux,
Et se baigne au cristal de mes coulantes eaux,
Pour rafraîchir l’ardeur lequel sort de sa bouche :

Quand je vois ces beaux yeux qui d’un regard farouche
Me soulaient dédaigner, et mes ouvrages beaux,
Pour courir follement après ces dieux nouveaux,
Qui sont formés du tronc de quelque vieille souche :

Ô de quel zèle alors j’embrasse fermement
Celle qui s’éjouit de mon triste tourment !
Et qui n’a rien de grand que de ma petitesse.

Ô de quel cœur ardent Christine je chéris !
Pour laquelle sauver volontiers je péris,
Me faisant serf de tous pour la rendre maîtresse.

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sonne  43 
sonne  44 

DE mon Soleil luisant la lumière éternelle,
Qui fait seule mon jour éternel et sans nuit,
Si droitement sur moi son chariot conduit,
Voire tout vis à vis de ma claire étincelle,

Que sans aucun décours ma rondeur immortelle,
En sa pleine rondeur pour tout jamais reluit.
Le plein de son midi tant, et tant, peu me nuit,
Que plus, et plus il luit, et plus je semble belle.

Puisses-tu donc toujours mon Soleil, ma lumière,
D’un éternel midi la lueur tout entière
Répandre ainsi sur moi, ton épouse, et ta sœur,

Que d’un cornu croissant ma plénitude ronde,
Soit franche à tout jamais, et l’univers du monde,
Puisse voir dans mon rond le plein de ta douceur.

DE ma Lune qui luit en rondeur toute pleine,
Par l’objet opposé de mes rayons épars,
Desquels dedans son sein diversement j’épars,
Mille et mille brandons de clarté souveraine,

Je fais monter si haut le char, qui la promène
Sur l’essieu du bonheur qu’à bien peu je dépars,
Que l’on peut voir des cieux ici de toutes parts,
Sa clarté qui reluit de tous côtés sans peine.

Son rond qui rond n’est rond que de ma sphère ronde,
Éclaire ainsi par moi aux yeux de tout le monde,
Et n’a nulle clarté que de moi son Soleil.

Puisse donc ma splendeur de splendeur éternelle,
Éclairer de si près cette ronde étincelle,
Qu’on voie à tout jamais son rond clair et vermeil.

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sonne  45 
sonne  46 

JE vois dans mon Jardin un éternel Printemps,
Qui surpasse en beauté tous les printemps du monde,
Et déploye à mes yeux sa large main féconde,
Cent mille et mille fleurs durables sur le temps :

Son odeur doux flairant dont ivrer je me sens,
Est une douce odeur à nulle autre seconde,
Parfumant de son musc l’or de ma tête blonde,
Qui surpasse l’odeur du baume et de l’encens.

Ce Jardin qui me donne et vie et nourriture,
Produit fruits de son gré sans aucune culture,
Qui apaisent ma faim d’un sucre savoureux.

Puisse donc ce Jardin incessamment répandre,
Ses fruits dedans mon sein, que je lui ose tendre,
Pour jouir à jamais de ce goût doucereux.

JE vois dans le Jardin de mes divines fleurs,
Parmi le blanc des lis une vermeille rose,
Perpétuellement devant mes yeux déclose,
Qui surpasse le teint des plus vives couleurs.

Le ciel voûté en rond de ses célestes pleurs,
Comme d’un doux Nectar divinement l’arrose,
Sa céleste beauté dans mon jardin enclose
A reçu son bonheur de mes tristes douleurs.

Le mieux et plus exquis de ses grâces divines,
Germe, croît, et fleurit au parmi des épines,
Qui ne peuvent pourtant son lustre endommager.

Puissé-je à tout jamais cette fleur douce et tendre,
Des piquants aiguillons des épines défendre,
Et contre la chaleur du midi l’ombrager.

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sonne  47 
sonne  48 

PAr les yeux de ma foi l’ardeur de cette flamme
Qui brûle doucement et mes nerfs et mes os,
D’un feu qui sort si doux de ses cuisants propos,
Entra premièrement au secret de mon âme.

Ce feu de son ardeur si vivement enflamme
Par ses brandons divins étroitement enclos
Dans mon chaud estomac, mes esprits sans repos,
Que sous un si doux mal fort souvent je me pâme.

Car ce feu peut ma glace en son feu transformer,
Et mon feu de son feu peu à peu consumer,
Et le feu de ce feu me tue et vivifie.

Ce feu tue et meurtrit ce que j’ai de mortel,
Et vivifie avec mon esprit immortel,
Qu’au creuset de son sein il fond et purifie.

PAr les yeux ce ne fut que la vive étincelle
Qui me brûle d’un feu qu’elle a de mon feu pris,
Entra dans le secret de mes divins esprits,
D’avant que de la voir j’étais amoureux d’elle.

Ce ne fut point non plus pour ouïr parler celle
Qui m’a étroitement de ses liens surpris,
Que je fus saintement de son amour épris,
D’avant que de l’ouïr j’aimais cette pucelle.

Non pour avoir senti quelque odeur gracieux
De son sein embaumé je fus d’elle amoureux,
Mon cabinet fournit son parfum ordinaire.

Je ne l’ai pourchassée à cause de ses biens,
Et n’a en ses trésors nuls trésors que des miens,
L’Amour que je lui porte est amour volontaire.

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sonne  49 
sonne  50 

DÉjà le clair Soleil baignait son chef en l’onde,
Et jà, déjà encor le serein gracieux
Dessus l’émail des fleurs coulant tout doux des cieux,
Leur pourpre embellissait d’une perlette ronde :

Jà, déjà bien avant le doux repos du monde,
Le sommeil porte-paix tombait dans nos beaux yeux,
Quand de mon cher époux, de mon bonheur le mieux,
J’entre-ouï par trois fois la douce voix faconde.

Ce Christ Dieu immortel qui la ronde machine,
Soutient du bout du doigt, me disait, ma Christine,
Je suis de ton salut divinement épris.

Le serein qui tombant a ma tête arrosée,
Fait que mon chef frisé distille de rosée,
Dont je veux rafraîchir l’ardeur de tes esprits.

DÉjà le clair Soleil qui les ténèbres fuit,
Avait de notre ciel emporté la lumière,
Et du sec élément cette ombre coutumière
Tapissait les bas lieux de l’obscur de la nuit,

Qui marchait lentement, à pas mollet, sans bruit,
Quand cet amour qui tient mon âme prisonnière
Dans les rares beautés de ma douce geôlière,
S’embrasa dans mon cœur qui toujours la poursuit.

Je descendis alors de ma gloire immortelle,
Dedans l’obscurité d’une prison mortelle,
Pour sauver celle-là qui me faisait mourir :

Qui savouré qu’elle eut le sucre de ma langue,
Et le nectar coulant de ma douce harangue,
Quitta tous ces faux Dieux qui la faisaient périr.

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sonne  51 
sonne  52 

QUi a vu le Soleil dessus son char doré
Laissant derrière soi le profond de cette onde,
Qui baigne le frisé de sa perruque blonde,
Vêtir son beau manteau de pourpre coloré,

Et d’un rayon divin de clarté décoré,
Éclairer la moitié de cette terre ronde,
Et faire un beau Printemps aux yeux de notre monde,
D’un million de fleurs richement honoré :

Il a vu mon époux poursuivant sa Christine,
Sortir royalement de sa maison divine
De pourpre cramoisi richement reparé,

Qui faisait un Printemps de mille fleurs décloses
Des plus rares vertus dedans son sein encloses,
Qu’il a de longue main pour mon bien préparé.

QUi a pu voir la Lune au Soleil opposée
En sa pleine rondeur éclairant aux hauts cieux,
Lorsqu’ils sont embellis d’un azur précieux,
Poursuivir rondement sa course disposée,

Et des cieux distiller une douce rosée,
Sur le pourpre des fleurs qui croît en ces bas lieux,
Surpassant en clarté tous ces feux radieux,
Luisant en la rondeur sur Saturne posée :

Il a vu les beautés de ma Christine unique,
Alors que vis à vis de ma clarté pudique
Je blanchis le divin de ses vives couleurs :

Ma Christine apparaît belle entre les pucelles,
Comme Phèbe apparaît claire entre les étoiles,
Et ainsi que la rose entre les autres fleurs.

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sonne  53 
sonne  54 

BLasonne qui voudra l’odeur du vert Laurier,
Et le jus gracieux de l’onctueuse Olive,
Ou le Pampre tortu pour sa liqueur naïve,
Le Pin, ou le Cyprès, le Chêne, ou le Poirier,

Blasonne qui voudra le Poivre et son Poivrier,
Du Cèdre, ou du Sapin la verdeur toujours vive,
Ou les Saules cherchant des claires eaux la rive,
Ou bien pour son doux fruit le tendre Abricotier :

Le Pommier me sera toujours le Roi des arbres,
Ainsi que le Porphyre est roi entre les marbres,
Qui prodigue en mon sein tous ses fruits gracieux :

Son ombre hospitalier de l’ardeur me délivre,
Sa divine liqueur tous mes esprits enivre,
Puisse-il de son coupeau attoucher les hauts cieux.

BLasonne qui voudra des œillets le vermeil,
Et du passe-velours la couleur purpurée,
La fleur du Jupiter de couleur azurée,
Où l’or de cette-là qui poursuit le Soleil :

Blasonne cette fleur qui de goût nonpareil
Distille le miel doux de sa tige épurée,
Ou bien la marguerite en pourpre teinturée,
Ou celle qui au lait a le teint tout pareil :

Entre toutes ces fleurs je veux blasonner celle,
Qui en toutes beautés toutes les fleurs excelle,
Et qui plus a reçu de grâces des hauts cieux,

La fleur qui jour et nuit à mes yeux est déclose,
La fleur qui en sa fleur retient mon âme enclose,
La rose au teint vermeil, et au flair gracieux.

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- Devant le vers 3, dans la marge, La « fleur de Jupiter » est glosée en latin « flos Jovis », puis en grec « dios anthos ».
- Devant le vers 6, la « fleur qui distille le miel » est glosée « Cerinthe ».

 
 
La cause de la mort de Christ.
 
 
sonne  55 
sonne  56 

JE sens d’un mal mortel la fière cruauté,
Qui pille avec la fleur le doux fruit de ma vie,
Je sens l’amour divin qui m’appelle et convie,
Pour voir de mon époux la céleste beauté :

Le mortel de mon mal poursuit la loyauté
De mon époux sacré d’une mortelle envie,
Et l’amour dont mon âme est saintement ravie,
Déteste justement telle déloyauté.

Si le Christ mon époux franc de la mort demeure,
D’une éternelle mort il convient que je meure,
Sans espoir de pouvoir revivre après la mort.

Mon mal veut que mon Christ à la mort je poursuive,
Mon amour sans mourir veut que toujours il vive,
Accorde ô Éternel ce merveilleux discord.

JE sens rigueur, douceur, et justice, et pitié
Agiter par dedans diversement mon âme,
Qui sèche sous l’ardeur d’une contraire flamme,
Qui brûle dans mon sein de haine et d’amitié,

Au mal de cette-là je porte inimitié,
Qui d’un dard de ses yeux mon cœur perce et entame,
Mais l’ardeur de ce feu qui doucement m’enflamme,
Surpasse la rigueur d’une juste moitié.

Le mal qui la meurtrit, est une juste peine
Du tort qu’elle m’a fait, qui tranche son haleine,
Et veut que sans secours je la laisse mourir :

L’Amour que je lui porte, est une flamme vive,
Qui dix mille brandons dedans mon cœur avive,
Qui veulent qu’en mourant je l’aille secourir.

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sonne  57 
sonne  58 

Ô De l’amour divin la douce cruauté !
Qui meurtrit mon époux pour me sauver la vie,
Ô la juste rigueur dont je suis poursuivie !
Ô de mon cher époux la ferme loyauté !

L’Amour est ennemi de ma déloyauté,
La rigueur de la Loi a sur mon bien envie,
Mon époux néanmoins, duquel je suis ravie,
Poursuit jusqu’à la mort ma divine beauté.

Ô que l’amour est grand que mon époux me porte !
Qui brûle d’un saint feu son cœur en telle sorte
Que pour sauver ma vie il souhaite la mort.

Ô que d’Amour divin la douceur est cruelle !
Ô que de cette Loi la rigueur est bourrelle !
Qui meurtrissent le saint, pour mon injuste tort.

Ô La libre prison de ces beautés tant belles,
Qui large en son détroit captive cœur et corps,
Christine tu m’as pris de tes filets retors
D’or, de soie et de lin en cent cordes nouvelles :

Ta Foi me tient lié de deux roides ficelles,
Ta Charité m’étreint de ses cordons plus forts,
Ton Espérance aussi fait ses plus grands efforts,
Pour retenir à soi mes grâces immortelles.

Celle que j’ai dans moi prisonnier me retient,
Le plaisir qu’elle en a mon ennui entretient,
L’horreur de ma mort vient de sa face excellente :

À toutes ces vertus mon cœur est attaché,
Et mon âme et ma vie elle m’a arraché,
Et mon injuste mort est sa vie innocente.

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sonne  59 
sonne  60 

Ô Trop cruelle Loi ! de qui la loyauté
Poursuit trop justement le sanglant de mon vice,
Si tu veux qu’à jamais par la mort je périsse,
Ne puis-je condamner ta rouge cruauté ?

Hélas ! tu ne poursuis que ma déloyauté,
Et mon péché mortel, et ma noire injustice,
Sainte et divine Loi, sois bénigne et propice,
À moi qui justement redoute ta beauté,

Tes sacrés jugements ne sont rien que droiture,
Sous qui courbe le chef toute humaine nature,
Qui craint le jugement de ta divinité.

Je ne puis condamner que ma faute mortelle,
Qui sans Loi, contre toi, injuste se rebelle,
Et pervertit le droit de ta juste équité.

Ô Trop cuisante ardeur qui vient de ces flambeaux !
Qui de leur double feu me brûlent dedans l’âme :
Ce feu sacré duquel le saint Esprit enflamme
Le glacé de la mort dans ses propres tombeaux.

Ce feu qui brûle et ard dans l’humide des eaux,
Qui de mille brandons les cœurs brûle et entame,
Mais non si très-avant ni d’une telle flamme,
Que celle qui me point de ses brandons gémeaux.

Ce feu de son ardeur en mon secret enclos,
Me brûle par dedans jusque dedans les os,
Et de ce feu la mort arme sur moi sa rage :

Ce feu qui brûle en moi, d’une même vigueur,
Ma Christine défend de mortelle langueur,
Qui pille le profit de mon propre dommage.

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En ligne le 09/10/05.
Dernière révision le 26/08/21.