Marin  Le  Saulx 
 Le Préambule… 
Théanthropogamie
en forme de dialogue par sonnets chrétiens
 BnF Gallica, NUMM-71977 
Londres, Thomas Vautrolier,
1577
Pages limi­naires Sonnets 1 à 20 Sonnets 21 à 40 Sonnets 41 à 60 Sonnets 61 à 80 Sonnets 81 à 100
Sonnets 101 à 120 Sonnets 121 à 140 Sonnets 141 à 160 Sonnets 161 à 180 Sonnets 181 à 200 Sonnets 201 à 215
Sonnets 61 à 80
texte modernisé
61. Celle-là qui soulait sur le vermeil des fleurs…
63. Celui qui est Seigneur des jours, des mois, des ans…
65. L’Éternel qui sans jours a fait des jours le nombre…
67. Sous la libre prison des grâces immortelles…
69. Quand je vois ce Dragon sur son corps merveilleux…
71. Par un divin secret que je ne puis comprendre…
73. Je vis d’un voile noir les cieux de toutes parts…
75. Plus, et plus d’ennemis que n’accabla Samson…
77. Du vieil serpent rusé la rage injurieuse…
79. Ô de toutes bontés bonté plus excellente !…
62. Celui-là qui soulait au Jardin de ses grâces…
64. Celle qui par le temps reçoit accroissement…
66. L’Éternel qui sans temps règne en l’Éternité…
68. Sous la faible prison de l’humaine nature…
70. Quand je vois les hauts cieux s’obscurcir d’un nuage…
72. Par un divin secret inconnu à nature…
74. Je vis d’un voile noir l’obscurité s’éprendre…
76. Plus qu’on ne voit au ciel de feux étinceler…
78. Du vieil serpent rusé l’injurieuse rage…
80. Ô de toutes poisons poison la plus cruelle !…
 
 
 
 
 
sonne  61 
sonne  62 

CElle-là qui soulait sur le vermeil des fleurs
Marcher mollettement, et d’une douce peine
Vendanger leur odeur du flair de son haleine,
Et repaître ses yeux de leurs vives couleurs,

Se repaît maintenant de larmes et de pleurs,
Qui font de ses deux yeux une double fontaine,
Elle outrage son teint, et durement se gêne,
Témoignant par ses cris l’aigreur de ses douleurs :

C’est Christine au chef d’or, justement douloureuse,
Qui double, et double en l’air sa complainte amoureuse,
Et fait du nom de Christ retentir champs et bois.

Elle appelle son Christ sur le haut des montagnes,
Dans le creux des vallons, et au plein des campagnes,
Et son Christ courroucé n’écoute plus sa voix.

CElui-là qui soulait au Jardin de ses grâces
Caresser doucement, sur les lis blanchissants,
Et sur le pourpre aussi des œillets rougissants,
Celle plus douce encor que les trois douces Grâces :

Qui jetait dans son sein les fleurs à pleines brasses
De toutes les vertus : qui ses yeux languissants
D’un rayon tout divin rendait assez puissants,
Pour pénétrer les cieux et bien marquer leurs traces :

Fait retentir le ciel, l’air, la terre et les mers
Du son harmonieux de ses doux-divins vers,
Appelant doucement Christine à longue haleine :

Qui ayant engagé à d’autres amoureux,
Les fruits qu’elle a cueillis en son Jardin fleureux,
Connaît trop et trop tard l’auteur seul de sa peine.

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Mort de Christ.
 
 
sonne  63 
sonne  64 

CElui qui est Seigneur des jours, des mois, des ans,
Aux jours, aux mois, aux ans a son âme asservie,
Cil qui file des temps la course définie,
S’est lui-même enfilé dans le filé des temps :

Cil qui vit franc de mort d’un éternel Printemps,
Dans l’Hiver de la mort enfroidure sa vie,
Cestui-là qui du ciel m’a toujours poursuivie,
En terre a fracassé les enfers aboyants.

Ô de toutes bontés bonté la plus parfaite !
Qui des temps par le temps la puissance as défaite,
Qui de ma mort par mort as brisé le pouvoir,

Qui as par tes Enfers mes enfers mis arrière,
Illumine ma nuit de ta sainte lumière,
Et fais à mon croissant sa rondeur recevoir.

CElle qui par le temps reçoit accroissement,
Sur le temps a fiché le clou de sa fiance,
Et attend par le temps, d’une vive espérance,
Un séjour qui sans temps dure éternellement.

Celle qui n’était point avant le firmament,
Qui d’un seul, par un seul, en temps a pris naissance,
Espère avec le temps la pleine jouissance
De cil qui n’a de temps aucun commencement.

Ma Christine au col blanc qu’en temps j’ai élevée,
Et de mon sang coulant abreuvée et lavée,
Reçoit avec le temps pleine perfection :

Mais levant néanmoins sur le temps sa pensée,
Elle espère sans temps d’une Foi élancée
Dedans le ciel, du ciel pleine possession.

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sonne  66 

L’Éternel qui sans jours a fait des jours le nombre,
S’est lui-même enfermé dans un nombre de jours,
Qui bornent par les ans de son âge le cours,
Qui court comme d’un homme à la mort noire et sombre.

L’Éternel franc de mort, d’un fier mortel encombre
Se laisse par la mort étreindre sans secours :
Mais sa mort est la mort de la mort, qui toujours
Retenait sans sa mort, mon esprit sous son ombre.

Cet Éternel est Christ, de Christine l’époux,
De Christine amoureux, de Christine jaloux,
Qui ne rechante rien que Christine, Christine :

Je suis Christine aussi, qui courbe sous sa Loi,
Lui ayant engagé le trésor de ma Foi,
Appelant Christ, et Christ, d’une voix argentine.

L’Éternel qui sans temps règne en l’Éternité,
Pour rendre à ma Christine une vie éternelle,
Qui ne redoutât point la faute paternelle,
Qui plongeait aux Enfers toute l’humanité,

Fit courber sous les pieds de la divinité,
Les cieux tournants en rond d’une course immortelle,
Et descendre ici-bas la bonté supernelle,
Qui règne avec le Père aux cieux en Trinité.

En ouvrant des hauts cieux cette ronde machine,
Il a fermé l’Enfer la prison de Christine,
Qui trempait là-dedans par son propre méfait :

Je suis cette bonté qui descendue en terre,
Ai meurtri le meurtrier, qui lui faisait la guerre,
Des armes du péché, qu’elle-même avait fait.

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sonne  67 
sonne  68 

SOus la libre prison des grâces immortelles,
De cil en qui le ciel a justement compris
Tout ce qu’il a en soi de valeur et de prix,
Qui excelle le beau des choses les plus belles,

Je vis franche d’ennuis, et des peines bourrelles
Qui soulaient marteler mon cœur serré et pris
Dans la rets du péché, qui mes divins esprits
Durement étreignait de ses cordes mortelles.

Je goûte en sa prison les fruits de liberté,
Son plus horrible obscur n’est que blanche clarté,
Le plus dur de ses fers est plus mollet que laine,

Son amer plus amer n’est que toute douceur,
Qui fait qu’en son étroit le séjour m’est plus sûr,
Qu’au plus large parmi de la plus large plaine.

SOus la faible prison de l’humaine nature,
J’ai enfermé le sort de ma divinité,
Bornant aucunement de mon infinité
Ce qu’on ne peut borner, dedans la créature :

Je courbe aussi le chef sous la Loi blanche et pure
Qui justement du ciel damne l’humanité :
Ainsi la Loi qui prend de moi sa dignité,
M’asservit son facteur sous sa vive pointure.

Celui qui sans la chair demeurait immortel,
En la chair s’est rendu, et passible, et mortel,
Pour sauver par sa chair la chair de mort cruelle.

La chair faible a vaincu de la Loi le plus fort,
La chair morte a meurtri le mortel de la mort,
La chair donne l’Esprit à la chair sensuelle.

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sonne  69 
sonne  70 

QUand je vois ce Dragon sur son corps merveilleux,
Portant l’horrible effroi de sept têtes terribles,
Qu’il arme fièrement de dix cornes horribles,
Heurter contre les saints de son chef orgueilleux,

Et abattre tout bas des beaux cieux sourcilleux,
Une troisième part des astres plus visibles,
Du branler de sa queue, et d’armes invisibles
Oppresser terre et mer sous ses grifs périlleux.

Quand je lui vois ouvrir l’abîme de sa gueule,
Pour dévorer mon Fils, me laissant faible et seule,
Je courbe sous le faix de mille ennuis divers :

Mais quand je vois ce Fils d’une aile plus légère,
Volant dedans le ciel fuir sa main meurtrière,
Je fais de mille chants retentir l’Univers.

QUand je vois les hauts cieux s’obscurcir d’un nuage,
Et lâcher de leurs yeux une profonde mer,
Pour noyer au profond de son liquide amer,
Ma belle colombelle au blanc luisant plumage :

Quand je vois redoubler le fort de cet orage,
Et qu’un horrible vent vient ses flots animer,
Qu’il fait horriblement brouer et écumer,
Et ma colombe alors redouter le naufrage :

Quand je la vois sur l’eau diversement flottant,
De l’aile repousser l’orage tempêtant,
Pour cuider échapper la mort qui la menace,

Je me sens agité de mille passions,
Qui me percent le cœur de mille affections,
Pour la tirer à bord en mon Havre de grâce.

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sonne  71 
sonne  72 

PAr un divin secret que je ne puis comprendre,
Que j’embrasse pourtant des deux bras de la Foi,
Le serviteur du monde est du monde le Roi,
Celui qui est sans chair a une chair de cendre,

L’Immortel sous la mort je vois les bras étendre,
Et sous la Loi courber cil qui est sus la Loi,
Je vois l’Enfant d’un jour qui est premier que moi,
Qui suis avant qu’Adam osât du saint fruit prendre.

L’Homme de chair mortelle est le Dieu tout-puissant,
Le Prince et Roi de paix en guerre est languissant,
Qui de tous méprisé est pourtant vénérable,

Conseiller du très-haut, des pécheurs seul Sauveur,
Père du temps futur, que le temps moissonneur
Fait courber néanmoins sous sa faux misérable.

PAr un divin secret inconnu à nature,
Celle qui vit de paix de la paix ne jouit,
Celle qui dans le ciel saintement s’éjouit,
D’un torrent de douleurs se noie en terre dure,

Celle qui sent d’un feu la cuisante pointure,
Des rayons de son feu le feu même éblouit,
Celle-là devant qui le jour s’évanouit,
Voit toujours de la nuit l’horreur sombre et obscure.

Celle qui tend les bras pour sauver l’Univers,
Sent du monde insensé les aiguillons divers,
Qui pourchasse cruel son mal et sa ruine,

Celle qui fuit la mort meurt cent fois chacun jour,
Celle qui fuit d’Enfer le sombre et noir séjour,
Par l’Enfer de la mort la même mort ruine.

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sonne  73 
sonne  74 

JE vis d’un voile noir les cieux de toutes parts
Couvrir leur clair vermeil d’une façon horrible,
Je vis de l’Univers l’œil qui plus est visible
Recacher dans son sein ses reluisants flambards.

Aux sépulcres je vis des ossements épars
Ranimer la vertu par l’Esprit invisible,
Et la terre tremblant jusqu’au centre immobile,
Ébranler tours, châteaux, palais, voûtes et arcs.

Je vis pourfendre en deux dedans le sacré temple,
Du haut jusques au bas, le voile large et ample,
Et les cailloux plus durs en deux s’écarteler,

Quand le Dieu créateur de l’humaine nature,
Pour sauver en sa chair ma chair, sa créature,
Sentit l’horreur du ciel sur son chef marteler.

JE vis d’un voile noir l’obscurité s’éprendre
Comme une obscure nuit sur la face des cieux,
Qui dérobait avare aux rayons de nos yeux
Les rayons que Phébus soulait sur nous étendre :

Je vis l’air tout noirci un déluge répandre
Dessus l’Universel de ces terrestres lieux,
Plus je vis de la mer les flots audacieux
Qui décheler les monts osaient bien entreprendre :

Je vis sur le flottant de la mer tourmentée,
Une arche de sapin çà et là éventée
Abîmer au profond, au moins peu s’en fallut :

Car voyant qu’au-dedans était ma colombelle,
En danger d’enfondrer sous la vague bourrelle,
Je tirai sa navire au port de mon salut.

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Fruits de la mort de Christ.
 
 
sonne  75 

PLus, et plus d’ennemis que n’accabla Samson,
(Qui cachait dessous l’or de sa perruque belle
Cette force d’acier qui brisait le rebelle,
Comme on brise du pied un tendre limaçon)

Quand foudroyant sur soi l’ouvrage du maçon
Il meurtrit sous le faix d’une ruine telle
Les Païens Philistins : plus mon Époux fidèle
A tué d’ennemis d’une étrange façon.

Par son injuste mort il rend notre mort morte,
Il dompte puis après la puissance plus forte
De la Loi, par la Loi d’un généreux courage.

Il damne de péché le péché vil et ord :
De l’Enfer par l’Enfer et enfondre le fort :
Et sa peur épourit le serpent plein de rage.

PLus qu’on ne voit au ciel de feux étinceler,
Alors que le Soleil cachant son chef sous l’onde,
La Lune au chef d’argent de sa clarté plus blonde
Éclaire en ces bas lieux tout au travers de l’air :

Plus qu’on ne voit encor du ciel voûté couler
De rosée au Printemps sur cette terre ronde,
Et plus, et plus encor que cette mer profonde
Ne fait de grains de sable en ses ondes rouler,

Plus on voit de beautés en ma Christine unique,
Plus de belles vertus ornent son cœur pudique,
Plus de grâces du ciel le ciel pleut en son cœur,

Plus en son âme elle a de saintetés encloses,
Que n’a tout l’Univers en soi de toutes choses,
Il courbe aussi le chef dessous son bras vainqueur.

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sonne  77 
sonne  78 

DV vieil serpent rusé la rage injurieuse
Levant contre le ciel son chef audacieux,
Cuida le ciel forcer, quand il sentit des cieux
Marteler sur son chef la dextre glorieuse.

Pour venger puis après sa perte ruineuse,
De l’abîme profond des Enfers envieux,
Sur toute la rondeur de ces terrestres lieux
Fit de maux bouillonner une mer orgueilleuse.

De mort et de péché il assiégea le cœur,
De l’homme raisonnable, et fut de lui vainqueur,
Lui ravissant le sens, la justice et la vie :

Et si l’eût abîmé au gouffre de l’Enfer.
Si le Samson du ciel avec son bras de fer,
D’un coup n’eût démoli le fort de son envie.

DU vieil serpent rusé l’injurieuse rage
Du ciel précipitée au profond des Enfers,
Cuidant venger sa perte en gâtant l’Univers,
Fit pleuvoir de tous maux un malheureux orage,

Voulant forcer en fin de faire un dur naufrage,
Sans espoir de merci, ma colombe aux yeux verts,
Des vents tempétueux laissa les huis ouverts,
Pour au Scylle d’Enfer noyer son équipage.

Il noircit le Soleil par ses enchantements,
Il émut terre et mer jusques aux fondements,
La cuidant abîmer sous l’horreur de son onde.

Mais ma colombe alors sur l’aile de la Foi,
Vola devers le ciel, dans le sein de son Roi,
Lequel la garantit du naufrage du monde.

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sonne  79 
sonne  80 

Ô De toutes bontés bonté plus excellente !
Pour tirer les humains du gouffre de l’Enfer,
Tu as assujetti à la pointe du fer
De la mort, l’Immortel de ta vie innocente.

Sous l’importable faix d’une mort violente
Tu as courbé le chef, pour la mort étouffer :
Ta mort peut par sa mort de la mort triompher,
Qui suit ton char de loin extrêmement dolente.

Triomphe maintenant ô Christ ! à la bonne heure,
Puisque franche de mort par ta mort je demeure.
Ô bienheureuse mort qui as la vie au cœur !

Ta mort soit de ma mort la mort et la ruine,
De peur que de ma mort le vif ne me ruine :
Brise aussi mes enfers avec ton bras vainqueur.

Ô De toutes poisons poison la plus cruelle !
Qui frappes droit au cœur de ta froide poison,
Enivrant des humains le sens et la raison,
Et d’un glas englaçant leur chaleur naturelle :

Tu brûles par dedans d’une ardeur immortelle,
Tu gèles par dehors, voire en toute saison,
Ceux qui sont pris par toi tombent en pâmoison,
Qui leur cause en la fin une mort éternelle.

D’un trait empoisonneur tirant dessus le blanc,
Tu donnas droitement jusque dedans le flanc,
Voire au danger de mort, de ma douce Christine :

Mais voyant sa blessure à mort se convertir,
Je fis pour la sauver du sang de moi sortir :
Car mon sang de ta mort est sûre médecine.

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En ligne le 09/10/05.
Dernière révision le 26/08/21.