A U L E C T
E U R
S A L U T E T P A I X
Par Jésus-Christ.
---S'Il y a quelques-uns qui
reprennent cette
façon d'écrire dont j'ai usé en ce Dialogue de
l'Église et de Jésus-Christ, il ne m'arrivera rien de
nouveau, et
que je n'aie bien prévu, voire dès le commencement. Car
dès lors que je mis la main à la plume pour composer ce
petit traité, je me
promis
d'avoir à faire à deux sortes de gens spécialement
qui
ne
failliraient point à me condamner. Les uns pour être d'un
naturel tant
chagrin et si difficile, qu'ils ne peuvent rien trouver bon, s'il ne
part de leur propre main : les autres pour n'atteindre pas mon but ni
mon
intention. Or comme j'estime m'être loisible de mépriser
hardiment
les
premiers, avec leur jugement pervers : aussi d'autre part ai-je
pensé,
avant que de laisser sortir ce petit livret en lumière, pour
être
communiqué
au public, que je devais user de quelque préface, qui pût
contenter,
si
non du tout, pour le moins en quelque partie les autres, qui sans cela
pourraient
bien trop facilement s'offenser. Et [6] d'autant que je me doute qu'ils
se
pourront achopper à deux choses
principalement, je tâcherai d'autant plutôt aussi de leur
en lever
toute juste occasion. Car pourvu qu'ils prennent en paiement, ce qui
est fondé sur ce roc immuable de l'éternelle parole de
Dieu,
et de l'invincible raison, je me promets bien tant de leur
sincérité
et bonté, qu'ayant le tout
examiné
et éprouvé sur cette touche, ils se tiendront pour
satisfaits.
---Or pour
parler du premier point, diffici- lement trouveront-ils bon, que sous
le
voile d'un mariage charnel, j'aie voulu comme enve- lopper cette
conjonction spirituelle et vraiment céleste de
Jésus-Christ
et de
l'Église,
du lien étroit de laquelle, sont liées et serrées
de près toutes
les
vertus les plus belles, toutes les grâces les plus rares, et tous
les
dons les plus exquis, dont cette Église est enrichie, de la
seule grâce
et
libéralité de
son Christ, son loyal époux. Et
pour le
second
quand je leur aurai satisfait sur ce point, leur ayant clairement
montré, que je n'ai rien fait indigne de Chrétien en
cette
mienne comparaison, pour le moins répliqueront-ils, que j'ai
décrit
ce mariage d'une façon par trop charnelle, et non guère
éloignée,
à
leur
avis, de
quelque orde
lasciveté. À tant après
avoir montré qu'il n'y a rien au premier point, qui soit
aliène
ou étrange de la gravité des Écritures saintes,
desquelles
j'ai suivi la trace et le [7] chemin plus aplani, il me restera de
faire
connaître, qu'il n'y a en
tout ce Discours aucune chose qui soit lascive, ni approchante
seulement d'aucune ordure ou lasciveté : pourvu qu'elle soit
bien
entendue et
rapportée à
son
droit
but.
---Pour le
regard donc de la comparaison que je fais du mariage spirituel de
l'Église et de Jésus-Christ, avec le mariage charnel qui
se
traite
ici parmi nous entre le mari et la femme, il n'y a certes rien tant
commun en
toute l'Écriture sainte. Et puis bien justement affirmer, qu'il
n'y
a point ou peu d'Auteurs entre les écrivains Sacrés, qui
aient
traité cette matière, qui n'aient usé pour
l'éclaircir
de cette même
comparaison. Salomon qui l'un des premiers s'est égayé en
cet
argument, a poursuivi fort amplement cette même simi- litude, au
livre
que
par excellence il nomme le
Cantique des Cantiques, duquel
j'ai
pris
quasi
de mot à mot, la plupart de ce qui est contenu en tout ce mien
petit traité, voire et cela qui en apparence semble
approcher
de plus près de lasciveté. Là le susdit Salomon
sous la figure
d'un chaste mariage, déduit par allégories ou paraboles,
mais
très clairement
néanmoins, la très-étroite conjonction de
Jésus-Christ avec
l'Église,
laquelle il a de tout temps choisie pour lui être épouse
sainte
et
chaste, voire perpétuellement. Là ce [8] même
Auteur
par ses écrits délecte élégamment les
oreilles des
auditeurs, de la douceur des devis gracieux, et de vrai saintement
amoureux, d'entre le vrai Salomon Roi de paix notre Seigneur
Jésus-Christ, et de son épouse sainte et chaste,
l'Église
vraiment
Chrétienne. Là il fait voir à l'œil aussi les
familières
privautés, et néanmoins
spirituelles et pudiques, par lesquelles on peut connaître
l'ardente
charité
et
dilection
de
l'époux
envers son épouse.
Là puis
après d'autre côté un chacun peut bien contempler
l'affection
véhémente et ardente de cette même chaste
épouse, et comme
elle
est saintement ravie en la contemplation de la bonté gratuite
de
son époux, et des grâces singulières, desquelles
par son moyen seul
elle jouit un chacun jour. Là finalement, dis-je, on peut
aisément remarquer
le
désir ardent qui chastement embrase le cœur de cette sainte et
pudique épouse, d'une affection extrêmement grande qu'elle
a d'être de plus
en
plus insinuée en l'amour de son divin époux, et de
n'être jamais
repoussée
pour
aucune
tache ou macule qui
se puisse trouver en
elle.
Après ce
docte
et sage
Salomon,
l'Auteur
du
Psaume
45
a traité
ce
même argument
sous la même
similitude,
façonnant un chant nuptial de Jésus-Christ et de son
Église sous la
figure de
quelque
mariage charnel. Ésaïe qui le suit après, sous cette
même [9] couverture a voilé aucunement ce même
mariage spirituel et divin de Jésus- Christ avec
l'Église. Ézéchiel
ne s'est point éloigné de la même similitude, ains
l'a
poursuivie fort au long au livre de sa Prophétie, chap. 16, bien
que
ç'ait été diver- sement : car son but
n'était
pas
comme à Salomon, de célébrer par un cantique cette
étroite conjonction
de Christ avec sa sainte épouse, ains de montrer tout au
contraire,
l'ingratitude étrangement vilaine de l'Église ancienne
envers son
Dieu,
qui après avoir de lui reçu une infinité de
bénéfices s'en était néanmoins
départie pour adorer les dieux étranges. Ce qui est
clairement
exposé par le susdit Prophète sous la figure et
ressemblance d'un mariage charnel, tel que l'on voit entre les hommes.
Ozée non plus ne l'a point trouvée de
mauvaise grâce,
ains l'a saintement appro- priée en traitant de cette même
matière, à
la déduction de son propos. L'Apôtre Saint Paul entre les
Auteurs du
nouveau Testament, a tiré à soi cette similitude,
comme
très-propre à la matière qu'il traitait de la
conjonction spiri- tuelle
de Jésus-Christ et de
l'Église. Et pour faire fin de mettre en compte les Auteurs qui
se sont
exercés en ce même genre d'écrire, Saint Jean
l'Évangéliste,
lequel
a
écrit
le dernier de tous nos écrivains Sacrés : au livre de l'
Apocalypse
chapitre
19 fait droitement ressembler Jésus-Christ [10] l'agneau sans
macule, à un époux qui célèbre le jour de
ses noces au
ciel avec l'Église son épouse, qui s'est ornée et
reparée de crêpe
très-pur et luisant, qui sont, comme lui même expose, les
justifications
des
saints, pour lui être présentée
puis après sainte, chaste et sans aucune corruption. Si tant et
tant
d'Auteurs divins, tous organes du Saint-Esprit, n'ont fait aucune
difficulté, de décrire sous la figure d'un mariage
charnel et terrestre, l'étroite et sainte conjonction de
Jésus-Christ avec l'Église : nul, ce me semble, ne me
pourra justement
condamner,
d'avoir ainsi traité cet argument, usant de leur façon
d'écrire : s'il ne veut quant et quant condamner les graves
Auteurs de
notre sainte Bible, et en leurs personnes aussi le Saint-Esprit qui
est Dieu immortel, ce qui ne serait certes sans blasphème. Or
quand
nous n'aurions aucuns Auteurs qui nous eussent aplani ce chemin, si
est-ce toutefois qu'ayant la seule raison pour guide, nous le pouvons
assurément entreprendre, sans crainte de nous égarer.
---Car comme
il n'y a rien plus étroit
entre toutes les choses célestes que le mariage de Christ et de
l'Église
son épouse (excepté toujours la conjonction de l'union
des
trois
personnes en l'unité de l'essence de Dieu) aussi n'y a-t-il rien
entre
toutes les choses terrestres, ni plus étroit, ni plus conjoint,
que
l'alliance de l'homme et de la [11] femme, laquelle se fait par le lien
d'un juste et chaste mariage.
Et tout ainsi que cette est la première conjonction
d'entre tous les hommes mortels, mère et surgeon de toutes les
autres, comme celle de laquelle seule elles prennent toutes leur
origine,
aussi
le mariage
spirituel
de l'Église
avec
Jésus-Christ, est
la conjonction première du Dieu
vivant avec les hommes, et de
laquelle sont déduites puis après toutes les con-
jonctions
spirituelles et divines, comme les ruisseaux
de leur source. C'est par le moyen de cette si étroite
conjonction que
tous
les fidèles sont engendrés de Dieu au giron fertile de
l'Église, qui
fait
la communion de tous les saints, en laquelle nous avons tous un seul et
même Dieu, pour père, lequel nous tient pour ses enfants.
En
cette même communion nous avons un seul Christ pour chef, pour
frère et pour époux aussi, et en lui seul nous sommes
frères, et
tous cohéritiers du
Ciel. En elle même nous avons un même Saint-Esprit pour
vie,
dont il
advient
que tous ensemble ne faisons qu'un seul corps divin, qui a un
même
chef
en Christ. Et comme le lien du mariage charnel n'en peut joindre que
deux
à la fois, savoir est le légitime mari avec sa
légitime femme ;
qui
ne peut jamais avoir aucune légitime conjonction de mariage avec
un
tiers,
aussi à vrai dire le lien de la con- jonction de
Jésus-Christ avec
l'Église,
ne peut jamais admettre un tiers. [12] Et l'Église conjointe
à Christ ne se peut joindre avec un
tiers, sans polluer son mariage et commettre un vilain adultère,
vilain je dis, voire d'autant plus, qu'il est spirituel et non
charnel. Car comme il n'y a qu'un époux qui est
Jésus-Christ
immortel,
aussi n'y a-t-il qu'une épouse l'Église sainte
Chrétienne et
Catholique, c'est à dire épandue parmi tout ce grand
univers. Tout
ainsi aussi qu'en ce mariage charnel le mari est chef de la femme, au
pouvoir duquel elle est assujettie de Dieu, aussi Christ est chef de
l'Église, qui lui donne vie et vigueur, de la parole et
conduite duquel seul elle doit dépendre, pour saintement
s'assujettir à tout ce qu'il voudra commander. Comme encor la
conjonction du mari avec la femme est liée d'un lien si
étroit,
qu'il
est du tout
indissoluble sinon par mort ou adultère, ainsi aussi est-il de
la
conjonction divine de
Christ
et de son épouse l'Église,
cent
mille
millions
de
fois
trop plus étroitement conjointe, qu'aucune
autre qui se puisse
jamais
contracter entre tous les hommes mortels. Car aussi ne la peut-on
dissoudre
sinon par l'adultère d'Apostasie et défection de Dieu aux
idoles,
tel
ou semblable que
celui
qu'a commis ce détestable Mahomet, et
tous
ceux-là qui de son temps abandonnèrent
Jésus-Christ pour suivre son
apostasie.
Ce qui se doit entendre du corps de l'Église en commun, et [13]
non pas des particuliers, chacun desquels se peut bien séparer
de
Christ par mille et mille autres façons répugnantes
à sa
volonté. Et comme par le mariage charnel du mari avec son
épouse, il y a une
telle conjonction et communauté de tous biens, que tout ce
que l'un ou l'autre des parties a de commodités ou
incommodités, aux
biens,
au corps, ou en l'esprit, chacun le peut bien dire sien : aussi
véritablement
en ce mariage de Jésus- Christ avec l'Église il y a une
telle conjonction et communion de toutes choses, que comme Christ peut
justement
appeler
toutes nos incommodités siennes (qui est tout ce que nous avons
apporté de notre part pour être confondu en la
communauté) aussi pouvons- nous appeler nôtre, tout ce que
Christ a reçu du ciel, sa justice, et sainteté, sa vie et
immortalité. Au surplus tout
ainsi
qu'il ne peut arriver
rien de plus grave en un saint et chaste mariage, que quand
l'épouse se débauche, pour rendre son lit impur et sale,
en le
communiquant à d'autres qu'à son légitime mari,
aussi ne peut-il
arriver rien de plus grave que cela même entre
Jésus-Christ et
l'Église.
Comme aussi
le
bon
mari supporte, voire
avec une grande douceur mille
et
mille imper- fections en sa femme, pourvu qu'au reste elle lui
réserve
son
lit pudique et impolu, ainsi aussi si nous faisons comparaison
entre
les imperfections qui se peuvent trouver en [14] l'Église, et le
crime d'Apostasie et défection du vrai
Dieu, aux dieux étranges, quoique les uns et les autres soient
abominables devant les yeux de celui qui est la même
pureté
: si est-ce toutefois que Jésus-Christ, le parangon de toute
douceur,
supporte
beaucoup plutôt et plus facilement les autres
péchés de l'Église,
qu'il lave et nettoie de son sang, qu'il ne fait pas ce crime
horrible,
par lequel
l'Église
se
retirant
de lui, se
débauche
à la
façon
des putains effrontées, après le bois et la pierre, l'or,
l'argent,
le
cuivre et l'airain : ou bien après tous ces faux dieux qui n'ont
point
fait ni ciel ni terre. Car cela certes advenant, Christ est ému
d'un
juste courroux, et provoqué à jalousie, et dont
finalement
s'ensuit, si l'épouse ne se repent, le divorce et entière
séparation.
Et comme encor les enfants procréés d'un légitime
mariage, sont faits
héritiers
en commun de l'une et de l'autre des parties : de même aussi
tous
les
fidèles engendrés de ce mariage de Jésus-Christ
avec l'Église,
sont
véritablement
héritiers tant de lui que de son épouse, et de tout ce
qui leur
appartient
soit en terre ou là-sus aux cieux. Pour faire fin, tout ainsi
que le
fondement d'un droit et juste mariage est cet amour et mutuelle
dilection
de l'une et l'autre des parties, qui embrase chastement leurs cœurs,
d'un
feu qui doucement les brûle, sans aucune impudique passion :
ainsi
aussi
certainement [15] cette mutuelle dilection et réciproque
charité de
Jésus-Christ
et
de l'Église,
est
le
fondement
ferme de
leur mariage,
et
tant étroite conjonction. C'est ce qui fait que l'époux
et
l'épouse
aussi jouissent heureusement l'un de l'autre avec dix mille
privautés. C'est aussi de la même source que
procèdent toutes ces
pudiques caresses, tous ces doux et plaisants devis d'entre
Jésus-Christ et l'Église, dont Salomon fait mention. Tous
lesquels
à
la
vérité se doivent prendre et interpréter d'une
façon du
tout céleste et vraiment
spirituelle,
telle qu'est ce mariage céleste duquel nous parlons maintenant,
comme
nous
montrerons cela ci-dessous beaucoup plus clairement, Dieu aidant.
Voilà
pourquoi le Saint-Esprit au livre des Écritures saintes, n'a
fait
aucune
difficulté de nous exposer l'un par l'autre, qui certes ne voit
rien
d'impur au mariage charnel qu'il a lui- même institué, et
qui
ne puisse convenir avec le mariage spirituel de Christ et de son
Église.
---Je
confesserai volontiers qu'en
la
corruption en laquelle nous sommes à présent, il est fort
difficile,
voire et qui plus est impossible, de trouver un mariage si saint,
si chaste, si beau, et si
pur,
qu'il
n'y
ait
du
tout
que
redire.
Mais
l'esprit de Dieu lequel n'a point les yeux charnels, pour regarder
à la
façon des hommes, pénètre bien plus avant que nous
ne faisons
pas, se présentant [16] en dictant ces choses, non un mariage
souillé d'une
infinité de pollutions procédantes de notre propre
corruption,
qui seules noircissent la blancheur et pureté d'icelui, mais un
plutôt, éloigné de toute pollution : et du tout tel
qu'il eût été entre les hommes s'ils fussent
demeurés au
droit de leur première condition. Car c'est chose bien
assurée
que si
Adam eût pu longuement posséder la félicité
excellente en
laquelle il avait été constitué, et tant, dis-je,
et si lon- guement, qu'il eût pu
jouir, lui innocent de la
femme innocente, et d'elle
engendrer des
enfants
doués d'une même
innocence, c'est chose vraie et bien certaine qu'il
eût
expérimenté une bien plus grande douceur du mariage, en
toute
chasteté néanmoins, que nous ne faisons pas maintenant.
Il y
eût eu entre lui et sa femme une perpétuelle paix, et qui
n'eût
jamais pu être entrerompue par quelque cuisant chagrin de l'une
et
l'autre des parties. Ils eussent
pu mutuellement sentir le feu et les plus vives étincelles d'un
amour
chaste et bien réglé, retenus cependant en leurs bornes.
Ils
eussent
joui des effets d'une pudique volupté, et sans aucun
débordement.
Ils eussent cueilli l'un et l'autre les fruits de leurs chastes
amours,
sans être aucunement troublés de nos aveugles passions. Et
si
n'eussent
été privés des devis et propos gracieux, des
baisers et
embrassements
propres aux [17] chastes mariages, du tout confits en la douceur d'une
tempérée
affection, qui n'eût outrepassé la borne d'une sainte
pudicité. Voilà proprement le mariage sous la figure
duquel le Saint-Esprit nous veut faire contempler celui de Christ et de
l'Église,
qui est de tous points accompli.
---Et ne se faut jà
émerveiller
s'il nous
est maintenant difficile, ou pour dire mieux impossible, de
représenter
aux yeux de notre frêle entendement, un tel et si saint mariage,
qui
n'en avons jamais rien expérimenté. Car en cette
corruption en
laquelle
nous sommes, il n'y a rien si saint qui ne soit par nous
profané, rien si juste qui ne soit corrompu, et rien si net
qui ne soit souillé. Même les affection naturelles qui
naissent et croissent avec nous,
sont en quelque sorte souillées du venin de notre
intempérance et
déréglé débordement. De là advient
que nous ne pouvons craindre,
désirer, espérer, haïr ou aimer aucune chose, que
toutes ces
passions-là, quoique
toutes soient naturelles, ne tirent de nous quelque tache
d'intempérance, et deviennent souillées par ce moyen, qui
fussent
néanmoins
demeurées
en leur première pureté en Adam saint et innocent. Ce qui
se
voit en Jésus-Christ, qui a eu telles passions sans aucun
péché néanmoins, pour n'avoir point
outrepassé
l'étroite borne de
cette égale
tempérance. Or quand il est question de considérer [18]
le mariage de Dieu vivant avec l'Église, il nous faut sortir
hors de
nous, pour monter jusque dans le ciel. Quand il est question de le
nous représenter voilé du voile de quelque mariage
charnel,
alors nous faut-il représenter un mariage, non tel qu'il est
pour le
présent
immonde, impur, et imparfait, mais tel qu'il eût
vraiment été, si
l'homme innocent fût demeuré en sa justice originelle.
Alors
nous
n'y trouverons rien qui ne soit saint, qui ne soit chaste, et qui ne
soit bien convenant au mariage spirituel de l'Église et de
Jésus-Christ.
Et ceci soit dit quant au premier point.
---Que
si
quelqu'un
réplique
maintenant
que
je
me suis
merveilleusement
éloigné,
en
la
façon
d'écrire que
j'ai suivie, de la modestie et tempérance,
que l'on
peut aisément remarquer en un tel chaste mariage
que
j'ai
dépeint
ici-dessus, j'ai
à
répondre
en un seul
mot, que l'on pourrait
faire un tel
sinistre jugement de Salomon en son
Cantique, si le
Saint-Esprit ne lui
avait rendu du ciel un témoignage tout contraire. Si donc en
décrivant choses spirituelles et célestes, il s'est
aucunement
accommodé au sens charnel et imparfait de
l'homme, pour déclarer choses si hautes, si divines, et si
très-saintes,
en la manière des choses même que l'on voit au sens et
à
l'œil, et qui adviennent chacun jour entre ceux-là qui sont
conjoints
par le
lien de ma-[19]riage, et n'en est justement repris : pourquoi
trouvera quelqu'un étrange, que j'aie
suivi en cet endroit
ses
traces si souvent battues
par tous les écrivains Sacrés, voilant comme eux de
quelque
allégorie, ce qui en vers aurait
mauvaise grâce, s'il était
exprimé d'une
façon
simple et sans figure ? Puisque le Saint-Esprit use souvent de cette
façon d'enseigner partout aux Écritures saintes, pour
l'instruction des fidèles, qui est-ce qui trouvera mauvais,
que nous la rapportions nous-mêmes au commun profit de
l'Église,
pour
laquelle j'ai entrepris d'écrire ce petit traité ?
J'eusse
coté en marge les passages desquels j'ai tiré ce
discours, mais d'autant que le livre des
Cantiques
de Salomon est fort bref, il est aisé sans cela, de remarquer
en
le lisant l'endroit de la si vive source, dont sont
découlés ces
ruisseaux. Car quant aux autres
passages
de l'Écriture
sainte,
que j'eusse
pu aussi
coter, d'autant
qu'en
iceux il
n'y a
point
de
difficulté, je m'en suis moins donné de peine. Il reste
donc tant seulement de m'acquitter de la promesse que j'ai ci-dessus
avancée, de faire voir au doigt et à
l'œil, qu'il n'y a en tous ces Sonnets aucune chose qui soit lascive,
ou
approchante de lasciveté, d'autant que ce qui en a quelque
apparence, doit être entendu par allégorie d'une
façon
spirituelle, et convenante à Jésus-Christ esprit et vrai
Dieu immortel.
---[20]
-Voici
donc ce qui peut sembler
à
quelques-uns approcher de trop près de la vanité des
Poètes
profanes, et d'autant aussi s'éloigner de la
vénérable
gravité qui partout apparaît si claire aux livres des
Écritures saintes : c'est que tantôt par la bouche de
Christ,
tantôt par celle de l'Église, je fais hautement
éventer la gloire et
plus riche beauté des membres, qui non seulement
conviennent à un corps humain : mais qui peuvent servir d'amorce
pour
aviver les étincelles de l'amour lascif, ou pudique, au cœur des
plus
sévères Catons. Ce qui fait que par-ci par-là, on
rencontre si souvent
en lisant ces Sonnets : cette perruque noire, ces cheveux d'or
frisés,
ce front d'ivoire, ces yeux flamboyants, ces lèvres de lis, ou
de corail,
ces doigts d'albâtre, ces jambes de marbre, et mille autres
façons de parler semblables. On ne trouvera moins
étrange, que
j'aie enrichi puis après, tous ces membres-là,
(déjà, selon
leur jugement mieux polis, et plus joliment façonnés,
qu'il
n'appartient à la modestie Chrétienne) de vêtements
mollets de pourpre
et d'écarlate, ou d'ornements d'or reluisants, d'anneaux riches
et
précieux, enrichis encore de perles, de rubis, de balais, de
saphirs, opales,
émeraudes
et
autres pierres
précieuses.
Et
surtout que j'aie
fait mention de lit, de couche, de baisers et
d'embrassements. Ce qui semble moins convenir à cette sainte
[21] sévérité, que l'on peut aisément
remarquer aux livres de notre
sainte Bible. À cela je dis pour réponse, que toutes ces
mêmes
descriptions, tant de membres corporels, d'atours précieux et
exquis, que ces privautés si grandes, se peuvent trouver
attribuées,
soit à Christ, ou bien à l'Église, par les Auteurs
sus-allégués, que j'appelle de garantie. Car aussi
sont-ils
suffisants pour
me décharger du blâme que l'on me voudrait imposer en cet
endroit,
avec le témoignage grave desquels j'ajoute une brève
exposition de
toutes ces choses que j'ai décrites ci-dessous, par laquelle je
montrerai plus qu'assez clairement à tous, que sous le manteau
de ces
choses
charnelles et terrestres, il nous faut chercher et
comprendre choses du tout spirituelles et célestes.
---Sous le nom
donques de l'époux, il
nous
faut entendre, comme j'ai jà dit ci-dessus, Jésus-Christ
le
Saint fils de
Dieu, lequel se donne un même nom dedans l'histoire
Évangélique.
Par
celui de
l'épouse Christine, est entendue l'Église
Chrétienne qui
par Foi
est
conjointe à son Christ. Les compagnons de cet époux que
j'appelle
quelquefois fils de Juda, sont les prophètes et Apôtres,
les
Pasteurs et Docteurs de l'Église. Les com- pagnes de
l'épouse
desquelles je
parle
aussi en quelques Sonnets, sont le surplus des vrais fidèles qui
suivent
l'Église [22] et sa foi. Si quelquefois je
parle du chef de
Jésus-Christ,
je le
considère en deux sortes, tantôt au regard de lui
seulement,
tantôt
au regard de l'Église. Par le chef de Christ rapporté
à
Christ même, j'entends sa divinité qui apparaît haut
élevée
par-dessus sa
chair, comme le chef sur tous les autres membres. Mais si je le
rapporte à
l'Église, je comprends
lors Jésus-Christ
tout
entier,
vrai Dieu
et
homme
tout ensemble, unique Médiateur du vieil et nouveau Testament,
et
seul chef de toute l'Église. Et puis tout ainsi que le chef
donne vie
et
vigueur à tous les membres, qui sans cela ne seraient qu'une
orde et infecte charogne : ainsi aussi à la vérité
Christ
est
celui
qui vivifie l'Église, donnant la vie à tout le corps, et
à chacun
des
autres membres, laquelle il transmet de soi en icelle par le canal de
la conjonction spirituelle qui est entre lui chef unique, et les
élus
qui
sont ses membres, unis
ensemble
par le
lien du
Saint-Esprit. Et comme
en
chaque
corps humain il n'y peut avoir qu'un seul chef, à qui appartient
de
conduire
cestui corps qui lui est soumis, et lequel autrement aveugle ne se
peut
sinon égarer, et s'égarant précipiter : ainsi
aussi véritablement,
d'autant
qu'il n'y a qu'un seul corps d'Église composé de tous les
élus
qui
sont en la terre et au ciel, il n'y peut avoir qu'un seul chef non
plus,
auquel seul appartient de vivifier et conduire le corps [23] de cette
Église Catholique, et ce qu'il exécute de vrai en la
vertu
de son Esprit par le sceptre de sa parole. Ce chef que
Jésus-Christ
l'époux dit être mouillé de rosée, et de la
pluie
qui
coule doux lorsque le Soleil est couché, sans doute nous doit
faire entendre,
que c'est en lui seul qu'il nous faut chercher et trouver le vrai et
plaisant rafraîchissement, duquel nous sommes garantis contre
l'ardeur
véhémente et mortelle du péché, de la mort
et de l'Enfer.
Et
c'est de lui aussi que découle si doucement jusques à
nous cette
gracieuse rosée de toutes sortes de bénédictions
spirituelles par
la prédication
de
sa parole. Voilà l'occasion pourquoi l'Église
s'égaie si plaisamment
à
rechanter en mille et mille sortes l'excellente et rare
beauté
du chef de son loyal époux. Ce que l'épouse puis
après admire les
yeux
de l'époux purs, éclairants et flamboyants, par un tout
seul
regard
desquels
elle est ravie en admiration, est pour nous faire connaître la
blancheur et pureté qui reluit aux jugements du Dieu vivant, qui
certes
sont
dignes de grande louange, et admiration souveraine : et qui pour
leur
clarté et pureté si grande sont justement
accomparés
aux
yeux flamboyants, ou de feu. Des yeux cette épouse descend
à la
face et
aux joues vermeilles de cet époux plaisant et beau,
desquels
encore
elle célèbre la louange en diverses façons, pource
que c'est un [24] signe de la présence de Jésus-Christ au
milieu de
l'Église,
à
laquelle il se manifeste et donne à connaître par la
prédication de
l'Évangile. Une telle manifestation est à bon droit
représentée
par la joue, laquelle est toujours découverte, et par laquelle
les
hommes ont de coutume de se manifester l'un à l'autre, en
découvrant
leur face, et se produisant en lumière. Les bras, les doigts et
les
mains de Jésus-Christ sont ses œuvres admirables,
très-pures
et
très-nettes de toute corruption, et qui
par tant sont accom- parées à l'ivoire blanc et poli,
auquel y
a une telle égale surface, qu'il
est non
seulement beau à
voir, mais
plus doux
encore à toucher, n'y restant rien de raboteux ou moins aplani,
non plus
qu'aux
ouvrages de Dieu. Par son ventre blanc
et très-pur, nous
entendons
ses
mystères et secrets plus intimes, auxquels toutefois on
aperçoit une merveilleuse beauté et pureté
aussi. Ses jambes qui sont
accomparées à des piliers de marbre, signifient la
fermeté et
stabilité,
tant de ses œuvres, que de sa parole immuable. Les cheveux de Christ
signifient
l'abondance des richesses que le Père lui a
conférées pour nous
:
où
aussi la multitude des élus, qui dépendent de lui comme
les cheveux
de
la tête. Voilà ce qui convient à l'époux, et
ce que nous
devons
recueillir de la beauté et excellente disposition de tous les
membres
qui
lui sont ici
[25] attribués. Parlons maintenant de
l'épouse, qui est
l'Église
Chrétienne.
---Or tout
ainsi qu'elle
a
haut
loué
jusques
ici la rare beauté qui reluit en tous
les membres de l'époux, aussi de sa part ne s'est-il non plus
épargné à célébrer les louanges de
l'exquise
beauté de sa chaste et pudique épouse, voire et d'un
chacun des membres d'icelle en particulier. Il chante en premier lieu
les cheveux d'or frisés de sa belle et blonde Christine, qui
nous
représentent tous les
fils de l'Église, et
cette grande
multitude de
fidèles
qui s'assemblent ordinairement en commun, pour ouïr
la
prédication de
l'Évangile.
Or ne sont-ils moins beaux ni
agréables aux
yeux de Christ loyal époux, que les cheveux ornés et bien
agencés
de quelque chaste et
belle épouse aux yeux de son fidèle époux. Les
yeux
ver- doyants de
Christine,
desquels Jésus-Christ est épris, sont les Pasteurs et
Docteurs de
l'Église,
qui sont la conduite d'icelle, comme les yeux du corps humain. Et
comme
les yeux sont en lieu éminent de la face, et apparaissent clairs
et
beaux par-dessus tous les autres membres, aussi font, ou du moins
doivent faire les Pasteurs et Docteurs de l'Église. On les peut
aussi prendre
pour la Foi, qui sert de lumière et
de conduite à
l'Église, et
par laquelle seule, comme par les yeux éclairants, elle peut
contempler
son
Christ, son
frère
et son céleste [26] époux. Les
lèvres et la bouche signifient, tant la
prédication
de
l'Évangile, que les prédicateurs d'icelle. La couleur de
lis
signifie
la
pureté
de cette
prédication.
Et celle de corail
représente le
zèle saintement ardent, duquel sont embrasés les
fidèles
Pasteurs et
Docteurs. Le col ainsi blanc représente les mêmes
Pasteurs,
par
le ministère desquels la pâture de
vie est comme transmise et transportée à tout le corps de
l'Église,
comme
le boire et le manger est très-proprement transporté par
le
col jusques au fond de l'estomac. La netteté, blancheur et
beauté
admirable de l'Église tant et tant prisée par
Jésus-Christ
l'unique mari,
est la rémission gratuite de ses péchés,
l'imputation de la
justice et
sainteté du fils de Dieu, et puis encore cette vie nouvelle
que
l'Esprit de Christ commence en elle, pendant qu'elle erre en ces bas
lieux, et qui enfin sera parfaite et de toutes parts accomplie au
séjour
de l'immortalité. Par la couleur noire nous entendons les
afflictions
de l'Église, à cause desquelles toutefois elle n'est de
rien
moins
agréable à Jésus-Christ. Les
baisers sont
l'étroite conjonction
de Christ et de l'Église. Les vêtements précieux de
l'épouse
signifient
toutes les grâces et bénédictions desquelles elle
est remplie par
Jésus-Christ. Ses bagues, carcans et autres joyaux
très-exquis
nous
représentent
cela même, comme les rubis et autres pierres pré-
[27]cieuses, desquelles nous faisons mention. Le lit de l'épouse
est le
lieu où l'Église se repose (en quelque part qu'il soit)
et est
conjointe à Jésus-Christ, de laquelle douce et
agréable conjonction spirituelle et céleste, sont
procréés et
spirituellement engendrés tous les fidèles et
élus. La couronne
de
l'époux est cette grande et magnifique gloire qui lui est
donnée
par l'Église, lorsqu'elle met toute sa confiance en lui seul,
n'attendant salut que de lui. Il est vrai que Jésus-Christ est
couronné de gloire par son Père, quand il est orné
et
revêtu des titres de Sauveur éternel, et qu'il est par lui
constitué héritier de toutes choses, le Rédempteur
unique
du genre humain, le Roi des Rois, le
Seigneur des Seigneurs. Mais il est aussi couronné par
l'Église,
quand
il est d'elle reconnu pour tel, et que par son ministère la
renommée
de Jésus-Christ est épandue par
tout le
monde universel.
Le
coche ou
litière tant de Christ que de l'Église est la doctrine
des
Prophètes et Apôtres, par laquelle Christ est
apporté à
l'Église, et l'Église reportée
à Jésus-Christ. L'Église est accom- parée
à un Jardin plein
d'arbres,
d'herbes et de fleurs odoriférantes, à cause des dons
excellents dont
elle
est richement ornée. Elle est accomparée à la rose
et au lis
pour
leur
odeur doucement suave. Les odeurs et onguents précieux
sont sa
renommée
épandue par l'univers, et ses [28] bonnes œuvres
procédantes d'une vraie foi. La haie dont elle est
enclose est la providence de Dieu, par laquelle il la défend et
contregarde de tout danger. Le Printemps est le temps du salut de
l'Église, et ses fleurs en sont les signes certains, comme les
Sacrements et la parole, qui aussi est signifiée par la voix de
la
tourterelle. L'Hiver au contraire est le
temps de la
persécution, soit
intérieure ou extérieure, qui aussi est
représentée par
la
nuit,
durant laquelle le Seigneur a accoutumé
de se présenter à nous pour nous consoler, et chasser
dix, et
dix mille ténébreux épouvantements de l'âme
et de la conscience,
qui
bien souvent nous agitent au temps de l'adversité. Par l'Ombre
nous entendons les figures et cérémonies de la Loi, qui
sont
nommées
de ce nom par tout en l'Écriture sainte. Par le
désert
dont sort
l'Église
nous entendons, ou ce monde au regard du ciel, où elle
est
appelée par
Jésus-Christ : ou la fausse religion au regard de
la
vérité, au secret et connaissance de laquelle elle est
admise
par icelui. Cette
colonne de fumée à
laquelle elle est
comparée,
est
pour signifier qu'elle tend et se dresse droit à
Jésus-Christ son époux, de l'accès duquel elle ne
peut
être
aucunement empêchée. Le vin, le lait, et le miel nous
représentent
la doctrine, qui est une viande douce, délectable et savoureuse,
tant pour les grands [29] que pour les petits. L'Église aussi
est accomparée à la
Lune,
pour
signifier que tout ainsi que la Lune ne perd point sa clarté
par les ténèbres de la nuit, ains est augmentée
par ce moyen :
aussi
l'Église ne perd point sa très-excellente beauté
par la nuit
des afflictions. Elle est de même accomparée au Soleil et
à la
Lune à cause de sa pureté et splendeur
très-claire. Voilà en somme
le sens spirituel et céleste des choses corporelles et
terrestres,
qui sont
ici
attribuées ou à
Christ ou à son
Église, qui montre que tout ce Discours est fort
éloigné
d'intempérance ou
lasciveté. S'il reste quelque chose dont je n'aie fait mention,
je me promets qu'il ne donnera aucune peine au Lecteur fidèle.
---Il y a
aussi quelques façons de parler qui
pourraient sembler dures et difficiles à entendre, si elles
n'étaient éclaircies par quelque brève et facile
explication.
Entre les- quelles est cette-ci, que l'Éternel s'est asservi au
temps, et
quelques autres semblables, qui ne signifient autre chose, sinon
que Christ qui est Éternel, s'est asservi au temps : mais
toute- fois à
raison de sa chair tant seulement, et non de sa divinité, qui
est franche de temps en toutes sortes. Mais par une manière de
parler
que les Théologiens appellent communi- cation des
propriétés, on
peut
dire que Dieu est né, qu'il est mort et qu'il a souffert,
combien
que ç'ait été seulement en la chair. [30] Il est
vrai que l'on dit que Dieu a souffert, est
mort et a
été
enseveli, et non pas la divinité, ce que je confesse
être
bien et saintement dit, à cause de quoi on pourrait trouver dur
ce
qui suit après, que Christ a enfermé le fort de sa
divinité,
bornant aucunement de son infinité ce qu'on ne peut borner,
comme
si je me voulais éloigner de la doctrine saintement reçue
conformément
à la parole de Dieu touchant ce point, mais il le faut
résoudre
par
la
manière
de parler ci-dessus notée, et attribuer le
reste
à
la contrainte du vers. Et cependant quant
au sens je ne veux
signifier
autre chose, sinon que Christ qui est Dieu éternel, et de sa
nature
infini et incompréhensible, s'est rendu comme fini et comme
compréhensible
en sa chair. Il est dit puis après que la chair de Christ a pris
son
origine
du ciel, non pas pour signifier qu'il ait eu une chair d'autre nature
que
la nôtre (sans péché toutefois) mais seulement pour
montrer
qu'il
a
été
conçu au ventre de la vierge Marie de la
propre
substance
d'icelle, d'une autre façon néanmoins que le reste des
hommes,
c'est assavoir par la vertu du Saint-Esprit, sans compagnie d'homme. Je
dis
que
Jésus-Christ a assujetti à
la
mort l'immortel de sa vie,
d'autant qu'il
était
impossible qu'il fût détenu des liens de la
mort, combien
que je
ne
veuille
pas nier que sa chair ne fût mortelle comme la nôtre, non
pas de
sa
nature
à [31] proprement parler, mais seulement par dispen- sation,
d'autant qu'il
avait chargé sur soi notre obligation, et cette dure condition
d'apaiser
en notre nom l'ire de Dieu son père par sa mort. Quand je dis
que la
Loi enfante le tort, je n'entends autre chose que ce que dit Saint Paul
aux
Romains chapitre 7, « je n'ai point connu que
c'est que
péché,
sinon par la Loi », comme aussi je l'interprète au verset
suivant. Cette
façon de parler peut sembler dure : Ô que d'amour divin la
douceur est cruelle, mais il la faut prendre comme poétique, et
est à vrai dire une façon de parler excessive, par
laquelle
l'Église est ravie en admiration de l'extrême bonté
de Dieu, qui
pour sauver l'homme pécheur, n'a point épargné son
Fils
innocent : en telle sorte néanmoins qu'en tout ce mystère
il n'y
a rien
de cruel qu'on puisse attribuer au Père, puisqu'il a tellement
donné son Fils à la mort, que le Fils aussi de sa part
s'est
franchement et volontairement offert.
---Or avant
que de faire fin je cuide qu'il ne sera point
hors de propos de dire quelque chose en passant de l'ordre et
disposition que j'ai observée en la composition de ce
traité.
Dès l'entrée il demeure clair que c'est un devis familier
en
forme de dialogue entre Jésus- Christ et son Église, par
lequel ils
se bienveignent l'un l'autre d'une façon merveil- leusement
privée, et pleine d'une grande et véhémente
affection. Il y a
toujours [32] deux Sonnets qui se regardent l'un l'autre
commen- çant par un
même mot, qui sont au lieu des propos et réponse qui
s'entre-suivent en un Dialogue. La matière qui y est contenue
nous montre quel est Jésus-Christ, en tant qu'il a
été
donné
du Père pour être Rédempteur éternel du
genre humain, et
quelles grâces excellentes Dieu communique à son
Église par son
moyen. Les
principaux points remarquent principalement la chute de l'homme de
sa justice originelle, la cause efficiente de son salut, par
laquelle
il
a
été restitué en l'espérance de la vie
éternelle. Il montre puis après comme Jésus-Christ
est
toute la
matière du
salut des
hommes. Et puis j'ajoute le moyen par lequel ce saint salut est
avancé par icelui Jésus- Christ. Sur ce point je parle
fort au
long de sa naissance, mort, sépulture, résurrection,
ascension et
dernier jugement de Jésus-Christ le fils de Dieu. Il est vrai
qu'entre
tous ces points là j'entrelace quelques Sonnets qui ne
contiennent autre chose que propos et devis fort privés et
familiers entre Jésus-Christ et l'Église, qui
démontrent
l'ardente
amour et affection qu'ils se portent l'un à l'autre, suivant
les traces de Salomon. Et qui plus est font preuve certaine des fruits
et profits qui nous reviennent, de ce que Christ a fait pour nous.
On y pourra trouver plusieurs Sonnets qui ne traitent qu'une même
chose, mais diversement [33] néanmoins, à cause de quoi,
ayant égard que la
diversité
est agréable, même en choses de semblable nature, je ne
les ai
point
voulu rayer, ému aussi d'ailleurs, c'est assavoir, qu'il
est bien
permis aux poètes, de s'élargir ainsi en cette
façon
d'écrire, et par diverses façons de parler exprimer une
même chose : ce que même le sus-dit Salomon a fait en son
Cantique
des Cantiques. Et cela soit dit brièvement de l'ordre que
j'ai
observé en la composition de ce livret, en laquelle je
n'ai rien
cherché, ni ne cherche encore à présent que la
commune édification
de l'Église, donnant quelque
honnête plaisir et
récréation,
joint
avec quelque instruction et consolation, aux esprits des gens de
bien, jà fatigués et travaillés de la continuelle
lecture des
choses plus graves.
---On me dira
incontinent qu'il y a bien d'autres moyens, qui
sont dix mille fois plus propres pour profiter à l'Église
de
Dieu. Ce que je confesse franchement : mais comme de vrai il n'est pas
le plus utile de tous ceux que l'on pourrait bien mettre en avant,
pour être enveloppé de beaucoup de façons de parler
figurées, auxquelles le vulgaire simple n'entend que le haut
Allemand
(ainsi que porte le proverbe) aussi n'est-il pas vide de toute
utilité. Mais en tout cas je n'en fais pas ma principale
étude
ou profession, et puis bien dire sans mentir, que j'ai
été
amené [34] comme par force à composer et écrire
ces vers, alors que
la
rigueur
du temps ne me permettait de m'employer à choses meilleures. Car
l'an
mil
cinq cent
soixante-huit et soixante- neuf, qu'à cause des
troubles de notre France, j'étais contraint de me tenir coi en
lieu
serré et à l'écart, où j'étais
privé de la
présence
de mes plus familiers amis, et avec ce de mon étude, il me prit
envie de m'employer à ce genre d'écrire, auquel toutefois
je ne
m'étais
exercé il y avait jà dix ans
passés, ni en tout
ni en
partie, jusques à n'avoir écrit un seul vers, que je
sache, en
tout ce
temps-là. Et combien que du commencement le but de mon intention
ne fût autre, que de passer ce temps fâcheux avec moins de
difficulté, m'adonnant à quelque honnête exercice,
qui
m'apportât quelque agréable plaisir, au milieu de tant
d'ennuis
que
j'étais contraint de dévorer : et que je pusse en ce
faisant par
quelques saintes méditations louer notre Dieu souverain et
tout bon,
en
particulier, puisque
je
ne
pouvais publi-
quement, si est-ce
qu'enfin voyant un assez bon nombre de Sonnets que ce temps m'avait
arrachés, il me
prit
envie d'en
choisir
quelques- uns d'entre
ceux qui
me venaient le plus à gré, afin de les transcrire
à part. Or
après les avoir communiqués à quelques-uns de mes
amis,
qui m'en
rendirent beaucoup meilleur témoi- gnage que je n'eusse
osé
[35] espérer, je me délibérai de leur faire voir
la lumière : mais sur
le point que je les devais délivrer à l'Imprimeur, le
même
temps fâcheux et turbulent qui premièrement me les avait
fait
concevoir, m'empêcha lors de les enfanter, étant contraint
à
toute
extrémité de sortir hors notre Royaume. Et mes Sonnets
que je
n'eus moyen d'emporter furent adjugés et mis au feu, voire par
quelques-uns de mes amis, non pour aucune chose qui leur
déplût
en
iceux, mais étonnés de la tempête qui
éclatait de toutes
parts, et
ayant extrêmement peur d'être trouvés saisis
d'aucunes
écritures qui m'appartinssent. Ce
qui leur fit brûler
aussi
plusieurs autres écrits en prose, desquels il ne m'est rien
resté. Par ce moyen je perdis toute espérance de pouvoir
jamais
recouvrer les susdits Sonnets, et n'y pensais plus que bien peu,
lorsque après la tempête accoisée, recherchant
parmi les
papiers
qui
m'étaient restés du naufrage, je mis la main sur le
brouillis qui en
avait
été
conservé par
mégarde, et comme une
chose
inutile. Toutefois je l'abandonnai là, tout
dégoûté de
le transcrire, étant lors empêché à choses
meilleures, et
qui conviennent de plus près avec ma profession, qui m'est
chère
sur toutes choses, quand étant privément renfermé
avec
quelques-uns de mes amis, il y aura un an au mois de Décembre
qui
vient, l'un d'eux me fit entendre [36] qu'il avait ouï parler de
mes Sonnets, à quelqu'un qui les avait
lus, et au jugement duquel à bon droit je défère
beaucoup, qui lui
en avait rendu fort honorable témoignage, et dès
lors je
fus
excité, et par eux-mêmes à peu près
persuadé de
les
mettre dessus la presse, si ainsi était que le moyen m'en
fût
rendu
quelque fois, qui pour lors m'était dénié. Mais
l'occasion ne
s'en était point du depuis offerte jusques à ce jour, que
nos
misères et calamités tant et tant souvent
redoublées, (et
auxquelles de tout
mon
cœur je souhaite une
heureuse fin à la
gloire
de ce grand Dieu, au salut de sa pauvre Église, et au repos de
notre France) m'en présentent derechef le moyen. En attendant
donc
quelque
bonne issue à ces troubles présents par
quelque paix bien assurée, j'ai transcrit ces vers pour les
présenter en public par le moyen de l'impression, pour
n'être vu
débattre trop opiniâtrement à l'encontre de mes
amis, sans
déférer de rien à leur jugement, ni condes- cendre
en quelque sorte à
leurs demandes. Il y a cela d'avantage, c'est que je sais que la
jeunesse qui a tant soit peu goûté la douceur des lettres,
est
ordinairement chatouillée d'un désir de poésie,
soit Grecque,
Latine,
ou Française. Mais ce malheur est en la France, qu'il y a
peu de ceux qui se sont exercés en cet art, (qui de soi saint
et vraiment vénérable, ne mérite point
d'être profané, ou
autrement iré-[37]véremment traité) qui n'aient
souillé et noirci sa blancheur de l'encre de leurs plumes
lascives. Ainsi la jeunesse peu caute, est ordinairement amorcée
par la
lecture de tels poèmes, à choses sales et immondes, et du
tout indignes de la Chrétienté. Pourtant ai-je
pensé que ce petit traité, pour le moins en pourra
contenter quelques-uns de ceux qui ont le cœur plus chaste, et qui
chérissent de plus près cette blanche pudicité, et
en
les contentant les retirer aussi du danger où ils se
précipitent, en
faisant voile sur le large d'une si dangereuse mer, sans être
munis du
compas d'une discrète pudicité. Voilà, ami
Lecteur, ce qui m'a
ému de laisser sortir ces miens vers à la lumière
de notre jour. Je
prie le Seigneur, qu'il vous fasse la grâce d'en recueillir le
plaisir et profit que je désire, ou qu'il connaît propre
pour sa
gloire et pour votre édification. Bien vous soit.
De l'Éternel le bien
De moi le mal, ou rien.