Un autre aimant,
je me suis désaimé.
« Quelqu’un enflammé de médisante envie ne trouvera bon qu’entre les disputes philosophiques j’ai mis le nom d’une Demoiselle : comme s’il était messéant de philosopher avec les femmes. Toutefois assez m’excuserait, ou la condition de cet âge, ou l’exemple des autres, si telles raisons me contentaient. Mais mon intention, laquelle ne peut flatter les erreurs de la sotte multitude, n’aspire ailleurs, qu’à remettre au chemin de vertu les hommes éperdus en vaines et misérables voluptés : duquel bien je voudrais aussi que les femmes participassent : afin que de tous la vérité des choses fût entendue et nul ne se trouvât ignorant de soi-même. Autant me plaît le nom de Claire, qu’à Platon celui de Phèdre. Les amours sont semblables, l’une et l’autre viennent de l’esprit, ont en lui leur cause, origine, moyen et contentement : et ne tendent qu’à la jouissance du souverain bien, lequel tout homme bien né doit se proposer. »
Les
Dialogues de Loys Le Caron, Paris, 1556, Avant-propos,
au Lecteur, f° 2v°.
[Gallica, NUMM-64769, PDF_7]
Louis Le Caron, qui prit le surnom de Charondas, descendait d’une famille grecque venue en France au XVe siècle, à la suite du concile de Ferrare. Notons ce point : quand il adoptera plus tard un nom grec, il se souviendra de ses origines ; peut-être même ce nom, qu’il transmettra à ses enfants, n’était-il que la forme primitive de son nom patronymique. Il naquit à Paris, en 1536, le jour de la Sainte-Catherine, c’est-à-dire le 25 novembre. Sa mère, née Valton, appartenait à une famille de magistrats. Destiné à la robe, il prit ses degrés de bonne heure. Il étudia le droit à Bourges, où l’enseignement de cette science jetait alors un si vif éclat. Il y suivit les leçons de Jean Duaren. En 1552, il fut reçu avocat à Paris ; il avait seize ans. Il écrivit alors des dissertations en latin, Verisimilium libri III, dont je n’ai pu découvrir aucun exemplaire. Entre temps, il s’était épris d’une jeune fille nommée Claire, ou qu’il appelle ainsi, et l’amour le rendit poète. La Poésie de Loys Le Caron, publiée en 1554, contient cent sonnets (décasyllabiques) en l’honneur de Claire. […] [1] Claire était fort instruite. Quand le jeune Le Caron venait de Bourges en vacances, il la voyait chez ses parents, et le temps s’écoulait en doctes causeries sur le propos de ses études. Un jour, il fut question « de la prudence de droit », c’est-à-dire de la jurisprudence, et l’entretien eut tant de charmes pour notre étudiant qu’il délibéra de le mettre par écrit. Il publia donc (encore en 1554) La Claire ou la Prudence de droit, long, très long dialogue entre Claire et l’auteur sous le nom de Solon. […] Le volume se termine par La Clarté amoureuse : 83 sonnets en l’honneur de Claire (la plupart déjà publiés dans la Poésie) et un certain nombre de pièces de formes diverses. Quand l’ouvrage parut, Claire était morte. l’auteur exhala son chagrin dans la Préface, et désormais il ne fit plus de vers. Un vrai poète eût puisé l’inspiration dans sa douleur. Se taire, n’était-il pas d’un vrai amant ?
Lucien PINVERT,
Revue de la Renaissance,
deuxième année, tome II, Vendôme, 1902,
« Louis le Caron, dit
Charondas »,
première partie, pp. 1-9
[Slatkine Reprints, Genève, 1968]
[Gallica, NUMM-15444, PDF_5_13].
Notes
[1]
On a retiré du corps de l’article les
lignes qui suivent dans lesquelles, comme bon nombre de ces
passionnés de Renaissance qui
écrivirent longuement sur les
poètes, l’auteur montre son
mépris pour la poésie de Le
Caron et de ses pairs :
« L’imitation
de Ronsard est flagrante, et, du reste, cette
poésie, pour la juger en peu de mots,
présente tous les
caractères de la
poésie amoureuse telle qu’on la
trouve chez tous les rimeurs du temps :
étalage, monotone
jusqu’à la fatigue,
d’effusions raffinées
et verbeuses, afféteries
érotiques, mélange de
galanterie et
d’érudition, tout ce
qu’on désigne sous le nom de
pétrarquisme. »
Pour pandorer ta clarté surdivine
Louis Le Caron, surnommé Charondas, doit aussi être nommé parmi les plus célèbres jurisconsultes du seizième siècle. Né à Paris en 1534, il descendait d’une famille grecque venue en France au quinzième siècle, à la suite du consul de France. Après avoir acquis une grande réputation comme avocat au Parlement, il fut maître des Eaux et forêts de Meaux et Crécy ; il réussit, pendant qu’il remplissait cette charge, à conserver au roi la ville de Crécy dont les ligueurs avaient voulu s’emparer ; devenu maître des requêtes de la reine Catherine de Médicis, cette princesse l’établit, en 1567, lieutenant général du baillage de Clermont, sur la demande expresse de la ville. Il fut élu député aux états de Blois de 1588, par le tiers état du comté. Son dévouement à la cause royale lui attira les persécutions des ligueurs qui, après avoir pillé sa maison et détruit sa bibliothèque, l’obligèrent à quitter le pays : c’est pendant cet exil qu’il composa la plupart de ses ouvrages. Henri IV, pour le dédommager de ses pertes, lui accorda, le 26 mars 1590, une ordonnance de deux mille écus à prendre sur les biens meubles des rebelles de Clermont, et confirma, au mois de février 1601, l’anoblissement conféré, en 1497, à son aïeul. Il mourut le 18 septembre 1613, âgé de 79 ans. On lui doit sur quelques matières de jurisprudence plusieurs traités qui faisaient autorité dans l’ancien droit. Il publia aussi un panégyrique de Charles IX et divers écrits littéraires.
Frédéric GODEFROY,
Histoire de la Littérature
française,
tome 1, XVIe
siècle, prosateurs et poètes, Paris,
1878, p. 37
[Gallica, NUMM-23408, PDF_41].
Liens
Étude en ligne
* On peut lire, au format PDF, publié dans le n° 21 d’avril 2018 de la revue Camenae, un article de Stephan Geonget, « Louis Le Caron poète, philosophe et juriste : pour une apologie de la clarté ».
Liens valides au 04/04/22.
Pour déjaunir ma langueur improspère
En ligne le 18/06/05.
Dernière révision le 04/04/22.