Jean Édouard DU MONIN
(1557-1586)
Dernier poème en ligne :
1585 : Bouche, riche cité…

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de discorder nos sons.

Mon clou je fiche

au point

du milieu de la terre.

 


Gabriel Naudé, 1669

[…] Or puisqu’il est main­te­nant aisé de recon­naître par ce que nous avons dit ci-dessus, que le plus com­mun fléau des hommes doctes a tou­jours été d’être soup­çon­nés de Magie, j’estime que peu de per­sonnes s’éton­ne­ront si celui qui a été nom­mé par Sca­li­ger mons­trum sine vitio[1], et par Poli­tien, avec les suf­frages de la voix publique, le Phé­nix de tous les beaux esprits, Pic Comte de la Mirande n’a pu si bien faire en témoi­gnant à Hermo­laus Bar­ba­rus qu’il avait pas­sé plus de six ans conti­nus à la lec­ture des Auteurs Scho­las­tiques, que l’éclat de sa grande doc­trine n’ait tel­le­ment effa­rou­ché ceux qui l’ont mesu­rée avec le peu d’âge qu’il avait quand il com­men­ça à paraître, que les uns, comme Zaria, en ont fait un miracle, et les autres dans Tar­quin Gal­lu­tius lui ont été si peu favo­rables, qu’il n’a vou­lu suivre leur opi­nion, com­bien qu’il la pro­pose en disant que beau­coup de per­sonnes lui ont fait ce tort de croire qu’il ne s’était pu acqué­rir une telle sagesse et capa­ci­té que par le moyen de la Magie. […] C’est trop se méfier des forces de la nature, et lui res­traindre de trop près les bornes de sa puis­sance, que de croire qu’elle n’ait pu pous­ser cet homme au suprême degré de la per­fec­tion, qui est tou­jours en butte à ses sem­blables : le sujet des esprits est un champ large et spa­cieux où elle se joue, tantôt aux dépens d’un Amphis­tidès qui ne pou­vait comp­ter jusques à quatre, d’un Ther­site[2], d’un Mélé­tide ou de quelque Céci­lion, et tan­tôt à l’avan­tage d’un Alexandre, d’un César, d’un saint Augus­tin, ou d’un Pic de la Mirande : aus­si était-ce l’opi­nion de Tris­mé­giste, qu’elle se ser­vait d’or, d’ar­gent, ou de plomb, pour leur four­nir de matière : Et si Néo­clès disait à la louange d’Épi­cure son frère, que lors de sa géné­ra­tion la nature avait assem­blé tous les Atomes de la Pru­dence dans le ventre de sa mère, pour­quoi lui dénie­rons-nous cette heure qu’elle n’ait pu assem­bler toutes les causes externes de l’air, du pays, des Astres, de la diète à la bonne trempe d’un corps pour pro­duire un esprit qui pût être le paran­gon des autres et lui ser­vir de moule sur lequel elle a depuis for­mé celui de Paul de la Scale, qui sou­tint l’an 1553 à Bou­logne mille-cinq-cent quarante-trois Con­clu­sions sur toutes sortes de matière, et ce aupa­ra­vant qu’il eût atteint l’âge de vingt-deux ans ; celui de ce jeune homme duquel fait men­tion le Car­di­nal Bembe, qui en pro­po­sa quatre-mille-cinq-cents à Rome ; De Pos­tel qui régen­tait à treize ans ; de Ges­ner et Érasme qui étaient plus doctes à vingt ans que les autres n’ont cou­tume de l’être à cin­quante ; d’Agrip­pa qui inter­pré­tait à l’âge de vingt-deux ans le Pymandre de Tris­mé­giste et le livre de verbo miri­fi­co ; de Mal­do­nat qui se fit admi­rer ensei­gnant le Théo­lo­gie à vingt-sept ans ; et fina­le­ment de cet Édouard Du Monin, que l’on peut dire n’avoir été com­po­sé que de feu et d’esprit, puisqu’il s’était acquis aupa­ra­vant l’an vingt-sixième de son âge, auquel il fut tué, la con­nais­sance des langues Ita­lienne, Espa­gnole, Latine, Grecque et Hé­braïque, et de la Phi­lo­so­phie, Méde­cine, Mathé­ma­tique et Théo­lo­gie, avec une telle faci­li­té à la Poé­sie de toutes ces langues, qu’il trans­la­ta en vers Latins, et en moins de cin­quante jours l’œuvre de la Créa­tion de Du Bar­tas, et vit impri­mer devant sa mort cinq ou six justes volumes de ses Poé­sies, qui furent hau­te­ment louées par les plus beaux esprits du der­nier siècle, Fumée, Du Per­ron, Goulu[3], Dorat, Morel, Baïf et Du Bar­tas.

Gabriel NAUDÉ,
Apologie pour tous les grands Hommes,
qui ont été accusés de Magie
,
Paris, Jacques Cotin, 1669, pp. 360-364
[Gallica, NUMM-57705, PDF_391_395]
(texte modernisé).


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Notes

[1] « monstrum sine vitio » : monstre sans défaut.

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[2] Thersite est un person­nage de l’Iliade ainsi décrit dans la tra­duc­tion d’Hugues Salel de 1545 :
« Thersitès seul, entre tous contestait,
« Sans prendre place. Or Thersitès était
« Un médisant, un fâcheux blasonneur
« Qui ne savait aucun bien, ni honneur,
« Prenant plaisir à prononcer paroles
« De moquerie, outrageuses et folles :
« Mêmes aux Rois, cuidant toujours bien faire,
« S’il se montrait à leur vouloir contraire.
« Et qui pis est, c’était le plus infect,
« Le plus vilain, et le plus contrefait,
« De tout le camp : car semblait que Nature
« Eût travaillé à forger sa laidure.
« Il était Louche, et Boiteux, et Bossu,
« La tête aiguë, et le corps mal ossu,
« Bien peu de poil, très longue et large oreille.
« En somme, laid, tant que c’était merveille.
« Ce nonobstant, il réputait tout un,
« Qu’on le pensât fâcheux, et importun.
« Tout son ébat, tout son contentement
« Était, pouvoir médire apertement
« Contre Achillès, Ulyssès : et souvent
« D’Agamemnon mettait propos au vent. »

Les dix premiers Livres de l’Iliade d’Homère, traduits par Hugues Salel, Paris, 1545,
Le second Livre, p. 65
[Gallica, NUMM-111565, PDF_64]
(texte modernisé).

Salel précise dans une note mar­gi­nale : « Homère sous la per­sonne de Ther­site décrit la nature d’un envieux sédi­tieux et malin per­son­nage. »


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[3] Nicolas Goulu a succé­dé à Jean Dorat à la chaire de grec du Col­lège royal en 1567.

Que collant sur ton œil

mon triste œil vif et mort,

Je sois de ton trépas, toi témoin de ma mort.


 
L’abbé GOUJET, 1748
 

ÉDOUARD DU MONIN.

Les vers d’Édouard Du Monin ne font aucun hon­neur à Birague[1] ; ils sont presque inintel­li­gibles. L’obscu­ri­té la plus pro­fonde, une dure­té insup­por­table, et le gali­ma­tias le plus ridi­cule forment le carac­tère des écrits de cet Auteur. On ne peut lire de suite dix de ses vers Fran­çais, sans y remar­quer tous ces défauts. La liber­té qu’il a prise de for­ger un grand nombre de mots nou­veaux, tant simples que com­po­sés, et l’affec­ta­tion avec laquelle il a répan­du, comme Ron­sard, l’éru­di­tion à pleines mains, font pas­ser tout ce qu’il a écrit, pour les pro­duc­tions d’un vrai pédant, et nul­le­ment pour celles d’un homme d’es­prit. Sa poé­sie Latine ne vaut pas mieux que sa poé­sie Fran­çaise ; elle a les mêmes défauts. Dans sa prose même, qui sem­ble­rait devoir en être exempte, on dirait qu’il n’a voulu par­ler que par énigmes. La plu­part des Auteurs de son temps s’accordent cepen­dant à le com­bler de louanges, et à le faire regar­der comme un homme extra­or­di­naire. Selon Naudé dans son Apo­lo­gie des grands Hommes accu­sés de magie, il savait les langues Latine, Grecque, Hébraïque, Ita­lienne et Espa­gnole, la Phi­lo­so­phie, la Méde­cine, les Mathé­ma­tiques et la Théo­lo­gie ; et il a fait un nombre pro­di­gieux de vers Latins et Fran­çais. Mais son éru­di­tion, quelque esti­mée qu’elle fût de ses con­tem­po­rains, quelque éten­due qu’elle paraisse en effet dans ses ouvrages, n’est plus regar­dée qu’avec dégoût et avec mépris. Rien de moins esti­mable qu’une éru­di­tion tou­jours dépla­cée, enve­lop­pée d’ail­leurs dans un amas de méta­phores qui n’ont rien de juste, rien de natu­rel, et d’ex­pres­sions ri­di­cu­le­ment recher­chées, ou fol­le­ment in­ven­tées dont le sens échappe au lec­teur le plus patient. Du Monin se vante dans la pré­face d’une de ses pièces inti­tu­lée Quasi­mo­do, d’avoir, à l’âge de vingt ans, vu lire publi­que­ment ses ouvrages à Paris au Col­lège de Har­court. Je veux le croire sur sa parole. Mais c’est moins là une preuve du mérite de ses écrits, qu’une marque de la pré­ven­tion où l’on était à son égard, et de l’igno­rance de ceux qui ensei­gnaient dans ce Col­lège.

Cet Auteur était né à Gy en Franche-Comté vers l’an 1557. Il vint à Paris fort jeune, y fré­quen­ta l’Uni­ver­si­té, et s’y fit admi­rer. La faci­li­té extrême avec laquelle il com­po­sait, soit en vers Latins et Fran­çais, soit en prose, et dont il s’applau­dit en plu­sieurs endroits, l’en­ga­gea à publier suc­ces­si­ve­ment divers ouvrages que per­sonne n’enten­dait, et que tout le monde louait. Son nom vola bien­tôt de Ville en Ville, et le mau­vais goût de ses amis sou­tint quelques temps sa répu­ta­tion. Il se vante dans une pièce en vers Latins, inti­tu­lée, Pic­ta­vica, que la peste ayant affli­gé Paris, les Villes les plus con­si­dé­rables de la France le pres­sèrent de se reti­rer dans leur enceinte. Sa patrie fut la seule qui mon­tra pour lui une grande indif­fé­rence en cette occa­sion ; il s’en plaint, et attri­bue ce manque d’at­ten­tion aux envieux que son mérite, à ce qu’il croyait, lui avait atti­rés. Il choi­sit la ville de Poi­tiers pour lieu de sa retraite, et il y fit con­nais­sance avec Scévole de Sainte-Marthe avec qui il eut tou­jours depuis quelques liai­sons.

Il était encore à Poi­tiers, lorsque le Par­le­ment de Dole le sol­li­ci­ta de venir dans cette Ville. Mais d’un autre côté, l’Uni­ver­si­té de Paris et les amis qu’il s’était faits dans cette Capi­tale de la France, le rap­pe­laient, et il se ren­dit à leurs vœux. C’est du moins ce qu’il dit dans plu­sieurs pièces où il n’a oublié aucune de ces époques glo­rieuses de sa vie. Si l’amour propre ne l’a point por­té à exa­gé­rer, on doit être sur­pris qu’un homme si esti­mé, si recher­ché, se plaigne con­ti­nuel­le­ment que l’in­di­gence l’ait sui­vi par­tout, et que la pau­vre­té ait tou­jours été son pédant, pour me ser­vir de son expres­sion. Quoi qu’il en soit, il demeu­rait à Paris au Col­lège de Bour­gogne, lorsqu’il fut assas­si­né le 5 Novembre 1586.

Naudé, dans l’ou­vrage déjà cité, dit qu’il avait vingt-six ans. La Croix-Du-Maine lui en donne vingt-sept, et Dorat dit la même chose. Mais il devait être âgé de vingt-neuf ans, puisque dans son Mani­pu­lus Poe­ti­cus, impri­mé en 1579, il parle de son por­trait, où il était repré­sen­té à l’âge de vingt-deux ans : ce qui prouve qu’il les avait alors, et qu’en 1586, il en avait vingt-neuf. Il fut enter­ré dans l’Église de saint Côme, auprès du savant Claude Des­pence, et La Croix-Du-Maine lui fit en Latin une Épi­taphe qui par sa lon­gueur et les louanges dont elle est rem­plie, peut pas­ser pour un vrai pané­gy­rique. Elle est rap­por­tée par le Père Nicé­ron.

Dès la même année, presque dès le même ins­tant, la plu­part des Poètes du temps firent connaître leurs regrets sur la mort de Du Monin. Fran­çois Gran­chier, Mar­chois, son neveu & esco­lier, répan­dit ses larmes, ses regrets & déplo­ra­tions, et les noti­fia à tous les amis du défunt : un ano­nyme publia dans le même temps une Élé­gie sur le même sujet, et l’on vit paraître aus­si la même année un Recueil d’Épi­taphes en plu­sieurs langues com­po­sés par plu­sieurs hommes doctes de France sur le même tres­pas. Toutes ces poé­sies sont fort mau­vaises. La pre­mière pièce du der­nier recueil est l’Épi­taphe com­po­sée par La Croix-Du-Maine.

Du Monin méri­tait peu assu­rément que tant d’Écri­vains s’in­té­res­sassent à sa perte. Je pour­rais jus­ti­fier le juge­ment peu avan­ta­geux que j’en ai por­té, en vous citant plu­sieurs endroits de ses nou­velles Œuvres impri­mées en 1582. Mais je crois que vous m’en dis­pen­se­rez sans peine. […]

L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la Littérature française,
tome XII, 1748, pp. 373-377
[Gallica, NUMM-50655, PDF_376_380]
(texte modernisé).


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Notes

[1] La « vie » de Du Monin succède à celle de Fla­mi­nio de Birague qui s’achève par ces phrases : « Le recueil des Poé­sies de Fla­mi­nio de Birague porte le titre de pre­mières Œuvres ; mais je n’en ai point vu d’autres, et Du Verdier ne cite que celles dont je viens de par­ler. On lit au com­men­ce­ment quelques pièces en vers Latins adres­sées à l’Au­teur par Édouard Du Monin, et d’autres en Fran­çais par dif­fé­rents Écri­vains. Ce sont des éloges, et rien de plus. »





Liens

Études en ligne

* On peut lire un article de Jean Lecointe, Le « langage de la my-nuict » : la poé­tique de Du Monin au regard de l’Aca­dé­mie de l’art poëtique (1610) de Pierre de Deimier, paru en 2010 dans la revue Albi­nea­na, cahiers d’Aubi­gné, en ligne sur Persée, portail de publi­cation élec­tro­nique de revues scienti­fiques en sciences humaines et sociales.

* Sur Persée encore, on peut lire un article de James Dauphiné, Du Monin drama­turge, publié dans le Bulle­tin de l’Asso­cia­tion Guillaume Budé, juin 1991, n° 2, pp. 194-203.

Liens valides au 04/05/19.


 


En ligne le 16/02/06.
Dernière révision le 02/02/20.