Craignez, cliquant si fort,
de discorder nos sons.
Mon clou je fiche
au point
du milieu de la terre.
[…] Or puisqu’il est maintenant aisé de reconnaître par ce que nous avons dit ci-dessus, que le plus commun fléau des hommes doctes a toujours été d’être soupçonnés de Magie, j’estime que peu de personnes s’étonneront si celui qui a été nommé par Scaliger monstrum sine vitio [1], et par Politien, avec les suffrages de la voix publique, le Phénix de tous les beaux esprits, Pic Comte de la Mirande n’a pu si bien faire en témoignant à Hermolaus Barbarus qu’il avait passé plus de six ans continus à la lecture des Auteurs Scholastiques, que l’éclat de sa grande doctrine n’ait tellement effarouché ceux qui l’ont mesurée avec le peu d’âge qu’il avait quand il commença à paraître, que les uns, comme Zaria, en ont fait un miracle, et les autres dans Tarquin Gallutius lui ont été si peu favorables, qu’il n’a voulu suivre leur opinion, combien qu’il la propose en disant que beaucoup de personnes lui ont fait ce tort de croire qu’il ne s’était pu acquérir une telle sagesse et capacité que par le moyen de la Magie. […] C’est trop se méfier des forces de la nature, et lui restraindre de trop près les bornes de sa puissance, que de croire qu’elle n’ait pu pousser cet homme au suprême degré de la perfection, qui est toujours en butte à ses semblables : le sujet des esprits est un champ large et spacieux où elle se joue, tantôt aux dépens d’un Amphistidès qui ne pouvait compter jusques à quatre, d’un Thersite [2], d’un Mélétide ou de quelque Cécilion, et tantôt à l’avantage d’un Alexandre, d’un César, d’un saint Augustin, ou d’un Pic de la Mirande : aussi était-ce l’opinion de Trismégiste, qu’elle se servait d’or, d’argent, ou de plomb, pour leur fournir de matière : Et si Néoclès disait à la louange d’Épicure son frère, que lors de sa génération la nature avait assemblé tous les Atomes de la Prudence dans le ventre de sa mère, pourquoi lui dénierons-nous cette heure qu’elle n’ait pu assembler toutes les causes externes de l’air, du pays, des Astres, de la diète à la bonne trempe d’un corps pour produire un esprit qui pût être le parangon des autres et lui servir de moule sur lequel elle a depuis formé celui de Paul de la Scale, qui soutint l’an 1553 à Boulogne mille-cinq-cent quarante-trois Conclusions sur toutes sortes de matière, et ce auparavant qu’il eût atteint l’âge de vingt-deux ans ; celui de ce jeune homme duquel fait mention le Cardinal Bembe, qui en proposa quatre-mille-cinq-cents à Rome ; De Postel qui régentait à treize ans ; de Gesner et Érasme qui étaient plus doctes à vingt ans que les autres n’ont coutume de l’être à cinquante ; d’Agrippa qui interprétait à l’âge de vingt-deux ans le Pymandre de Trismégiste et le livre de verbo mirifico ; de Maldonat qui se fit admirer enseignant le Théologie à vingt-sept ans ; et finalement de cet Édouard Du Monin, que l’on peut dire n’avoir été composé que de feu et d’esprit, puisqu’il s’était acquis auparavant l’an vingt-sixième de son âge, auquel il fut tué, la connaissance des langues Italienne, Espagnole, Latine, Grecque et Hébraïque, et de la Philosophie, Médecine, Mathématique et Théologie, avec une telle facilité à la Poésie de toutes ces langues, qu’il translata en vers Latins, et en moins de cinquante jours l’œuvre de la Création de Du Bartas, et vit imprimer devant sa mort cinq ou six justes volumes de ses Poésies, qui furent hautement louées par les plus beaux esprits du dernier siècle, Fumée, Du Perron, Goulu [3], Dorat, Morel, Baïf et Du Bartas.
Gabriel NAUDÉ,
Apologie pour tous les grands Hommes,
qui ont été accusés de Magie,
Paris, Jacques Cotin, 1669, pp. 360-364
[Gallica, NUMM-57705, PDF_391_395]
(texte modernisé).
[1] « monstrum sine vitio » : monstre sans défaut.
________[2]
Thersite est un personnage de l’Iliade
ainsi décrit dans la traduction
d’Hugues
Salel de 1545 :
« Thersitès
seul, entre tous contestait,
« Sans prendre place. Or Thersitès
était
« Un médisant, un fâcheux
blasonneur
« Qui ne savait aucun bien, ni honneur,
« Prenant plaisir à prononcer paroles
« De moquerie, outrageuses et folles :
« Mêmes aux Rois, cuidant toujours bien
faire,
« S’il se montrait à leur
vouloir contraire.
« Et qui pis est, c’était le
plus infect,
« Le plus vilain, et le plus contrefait,
« De tout le camp : car semblait que Nature
« Eût travaillé à
forger sa laidure.
« Il était Louche, et Boiteux, et Bossu,
« La tête aiguë, et le corps mal
ossu,
« Bien peu de poil, très longue et large
oreille.
« En somme, laid, tant que
c’était merveille.
« Ce nonobstant, il réputait tout un,
« Qu’on le pensât
fâcheux, et importun.
« Tout son ébat, tout son contentement
« Était, pouvoir médire
apertement
« Contre Achillès,
Ulyssès : et souvent
« D’Agamemnon mettait propos au
vent. »
Les dix premiers Livres de
l’Iliade d’Homère, traduits par Hugues
Salel, Paris, 1545,
Le second Livre, p. 65
[Gallica, NUMM-111565, PDF_64]
(texte modernisé).
Salel précise dans une note marginale : « Homère sous la personne de Thersite décrit la nature d’un envieux séditieux et malin personnage. »
[3]
Nicolas Goulu a succédé à
Jean Dorat à la chaire de grec du
Collège royal
en 1567.
Que collant sur ton œil
mon triste œil vif et mort,
Je sois de ton trépas, toi témoin de ma mort.
ÉDOUARD DU MONIN.
Les vers d’Édouard Du Monin ne font aucun honneur à Birague [1] ; ils sont presque inintelligibles. L’obscurité la plus profonde, une dureté insupportable, et le galimatias le plus ridicule forment le caractère des écrits de cet Auteur. On ne peut lire de suite dix de ses vers Français, sans y remarquer tous ces défauts. La liberté qu’il a prise de forger un grand nombre de mots nouveaux, tant simples que composés, et l’affectation avec laquelle il a répandu, comme Ronsard, l’érudition à pleines mains, font passer tout ce qu’il a écrit, pour les productions d’un vrai pédant, et nullement pour celles d’un homme d’esprit. Sa poésie Latine ne vaut pas mieux que sa poésie Française ; elle a les mêmes défauts. Dans sa prose même, qui semblerait devoir en être exempte, on dirait qu’il n’a voulu parler que par énigmes. La plupart des Auteurs de son temps s’accordent cependant à le combler de louanges, et à le faire regarder comme un homme extraordinaire. Selon Naudé dans son Apologie des grands Hommes accusés de magie, il savait les langues Latine, Grecque, Hébraïque, Italienne et Espagnole, la Philosophie, la Médecine, les Mathématiques et la Théologie ; et il a fait un nombre prodigieux de vers Latins et Français. Mais son érudition, quelque estimée qu’elle fût de ses contemporains, quelque étendue qu’elle paraisse en effet dans ses ouvrages, n’est plus regardée qu’avec dégoût et avec mépris. Rien de moins estimable qu’une érudition toujours déplacée, enveloppée d’ailleurs dans un amas de métaphores qui n’ont rien de juste, rien de naturel, et d’expressions ridiculement recherchées, ou follement inventées dont le sens échappe au lecteur le plus patient. Du Monin se vante dans la préface d’une de ses pièces intitulée Quasimodo, d’avoir, à l’âge de vingt ans, vu lire publiquement ses ouvrages à Paris au Collège de Harcourt. Je veux le croire sur sa parole. Mais c’est moins là une preuve du mérite de ses écrits, qu’une marque de la prévention où l’on était à son égard, et de l’ignorance de ceux qui enseignaient dans ce Collège.
Cet Auteur était né à Gy en Franche-Comté vers l’an 1557. Il vint à Paris fort jeune, y fréquenta l’Université, et s’y fit admirer. La facilité extrême avec laquelle il composait, soit en vers Latins et Français, soit en prose, et dont il s’applaudit en plusieurs endroits, l’engagea à publier successivement divers ouvrages que personne n’entendait, et que tout le monde louait. Son nom vola bientôt de Ville en Ville, et le mauvais goût de ses amis soutint quelques temps sa réputation. Il se vante dans une pièce en vers Latins, intitulée, Pictavica, que la peste ayant affligé Paris, les Villes les plus considérables de la France le pressèrent de se retirer dans leur enceinte. Sa patrie fut la seule qui montra pour lui une grande indifférence en cette occasion ; il s’en plaint, et attribue ce manque d’attention aux envieux que son mérite, à ce qu’il croyait, lui avait attirés. Il choisit la ville de Poitiers pour lieu de sa retraite, et il y fit connaissance avec Scévole de Sainte-Marthe avec qui il eut toujours depuis quelques liaisons.
Il était encore à Poitiers, lorsque le Parlement de Dole le sollicita de venir dans cette Ville. Mais d’un autre côté, l’Université de Paris et les amis qu’il s’était faits dans cette Capitale de la France, le rappelaient, et il se rendit à leurs vœux. C’est du moins ce qu’il dit dans plusieurs pièces où il n’a oublié aucune de ces époques glorieuses de sa vie. Si l’amour propre ne l’a point porté à exagérer, on doit être surpris qu’un homme si estimé, si recherché, se plaigne continuellement que l’indigence l’ait suivi partout, et que la pauvreté ait toujours été son pédant, pour me servir de son expression. Quoi qu’il en soit, il demeurait à Paris au Collège de Bourgogne, lorsqu’il fut assassiné le 5 Novembre 1586.
Naudé, dans l’ouvrage déjà cité, dit qu’il avait vingt-six ans. La Croix-Du-Maine lui en donne vingt-sept, et Dorat dit la même chose. Mais il devait être âgé de vingt-neuf ans, puisque dans son Manipulus Poeticus, imprimé en 1579, il parle de son portrait, où il était représenté à l’âge de vingt-deux ans : ce qui prouve qu’il les avait alors, et qu’en 1586, il en avait vingt-neuf. Il fut enterré dans l’Église de saint Côme, auprès du savant Claude Despence, et La Croix-Du-Maine lui fit en Latin une Épitaphe qui par sa longueur et les louanges dont elle est remplie, peut passer pour un vrai panégyrique. Elle est rapportée par le Père Nicéron.
Dès la même année, presque dès le même instant, la plupart des Poètes du temps firent connaître leurs regrets sur la mort de Du Monin. François Granchier, Marchois, son neveu & escolier, répandit ses larmes, ses regrets & déplorations, et les notifia à tous les amis du défunt : un anonyme publia dans le même temps une Élégie sur le même sujet, et l’on vit paraître aussi la même année un Recueil d’Épitaphes en plusieurs langues composés par plusieurs hommes doctes de France sur le même trespas. Toutes ces poésies sont fort mauvaises. La première pièce du dernier recueil est l’Épitaphe composée par La Croix-Du-Maine.
Du Monin méritait peu assurément que tant d’Écrivains s’intéressassent à sa perte. Je pourrais justifier le jugement peu avantageux que j’en ai porté, en vous citant plusieurs endroits de ses nouvelles Œuvres imprimées en 1582. Mais je crois que vous m’en dispenserez sans peine. […]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la Littérature française,
tome XII, 1748, pp. 373-377
[Gallica, NUMM-50655, PDF_376_380]
(texte modernisé).
[1] La « vie » de Du Monin succède à celle de Flaminio de Birague qui s’achève par ces phrases : « Le recueil des Poésies de Flaminio de Birague porte le titre de premières Œuvres ; mais je n’en ai point vu d’autres, et Du Verdier ne cite que celles dont je viens de parler. On lit au commencement quelques pièces en vers Latins adressées à l’Auteur par Édouard Du Monin, et d’autres en Français par différents Écrivains. Ce sont des éloges, et rien de plus. »
Liens
Études en ligne
* On peut lire un article de Jean Lecointe, Le « langage de la my-nuict » : la poétique de Du Monin au regard de l’Académie de l’art poëtique (1610) de Pierre de Deimier, paru en 2010 dans la revue Albineana, cahiers d’Aubigné, en ligne sur Persée, portail de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales.
* Sur Persée encore, on peut lire un article de James Dauphiné, Du Monin dramaturge, publié dans le Bulletin de l’Association Guillaume Budé, juin 1991, n° 2, pp. 194-203.
Liens valides au 04/05/19.
En ligne le 16/02/06.
Dernière révision le 02/02/20.