Pierre de RONSARD (1524-1585)
Paris, veuve Maurice de La Porte, 1553.

PAr un destin dedans mon cœur demeure,
L’œil, et la main, et le crin délié,
Qui m’ont si fort, brûlé, serré, lié
Qu’ars, pris, lacé, par eux faut que je meure.

Le feu, la serre, et le rets à toute heure,
Ardant, pressant, nouant mon amitié,
Occise aux pieds de ma fière moitié
Font par sa mort ma vie être meilleure.

Œil, main, et crin, qui flammez, et gênez,
Et r’enlacez mon cœur, que vous tenez
Au labyrint de votre crêpe voie :

Hé que ne suis-je Ovide bien-disant !
Œil tu serais un bel Astre luisant,
Main un beau lis, crin un beau rets de soie.

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de Muret

Par un destin.) Il dit, que trois choses sont enfer­mées dans son cœur, les­quelles l’ont fait mou­rir : c’est à sa­voir, l’œil, la main, et le crin, c’est à dire la che­ve­lure de sa dame. Et que s’il avait aus­si bon esprit qu’Ovide, il chan­ge­rait l’œil en un astre, la main en un lis, et le poil en un rets de soie. Ce Son­net est de ceux, qu’on appelle aujour­d’hui rap­por­tés. Les anciens appe­laient cette figure, Paria pari­bus red­di­ta. La serre.) mot de fau­con­nerie. Occise aux pieds.) L’ordre des pa­roles est un peu trou­blé : et les faut ain­si ordon­ner. L’œil, la main, et le crin, font ma vie, qui est occise aux pieds de ma fière moi­tié, c’est à dire de ma trop ri­gou­reuse dame, être meil­leure par sa mort. Il veut dire que son esprit l’a lais­sé pour suivre sa dame, et par ain­si qu’il est jà mort (car la mort n’est autre chose que sé­pa­ra­tion du corps et de l’esprit) mais qu’une telle mort rend sa vie meil­leure et plus heu­reuse. Les Pla­to­niques disent, que l’amant ne vit pas en soi, mais en la per­sonne qu’il aime. De ma fière moi­tié.) Cela aus­si est pris de Pla­ton, dans un dia­logue du­quel, qui se nomme Le Ban­quet, ou De l’Amour, Aris­to­phane ra­conte que les hommes étaient au com­men­ce­ment doubles, mais que Ju­pi­ter après les par­tit par le mi­lieu et que depuis un cha­cun cherche sa moi­tié. De là dit-il que l’amour pro­cède. Au Laby­rint.) Ain­si se nom­maient ancien­ne­ment lieux faits de tel arti­fice, qu’à grand peine en pouvait-on sor­tir, y étant une fois en­tré. Pline dit qu’il y en eut quatre prin­ci­pa­le­ment renom­més.
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[texte modernisé]
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En ligne le 21/11/07.
Dernière révision le 28/10/20.