Marin  Le  Saulx 
 Le Préambule… 
Théanthropogamie
en forme de dialogue par sonnets chrétiens
 BnF Gallica, ark:/12148/bpt6k71977q/f4 
Londres, Thomas Vautrolier,
1577
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Épître dédicatoire - Avertissement au lecteur - Sur les Sonnets Chrétiens de Marin Le Saulx
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I. Épître dédicatoire

II. Avertissement au lecteur

  §1. S’il y a quelques-uns qui reprennent…
  §2. Or pour parler du premier point…
  §3. Pour le regard donc de la compa­rai­son…
  §4. Car comme il n’y a rien plus étroit…
  §5. Je confesserai volon­tiers…
  §6. Et ne se faut jà émer­veil­ler…
  §7. Que si quelqu’un réplique main­te­nant…
  §8. Voici donc ce qui peut sembler…
  §9. Sous le nom donques de l’époux…
  §10. Or tout ainsi qu’elle a haut loué…
  §11. Il y a aussi quelques façons de par­ler…
  §12. Or avant que de faire fin je cuide…
  §13. On me dira incontinent qu’il y a bien…

III. Sur les Sonnets Chrétiens de Marin Le Saulx

 
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À HAUT ET PUIS-
SANT SEIGNEUR MON SEI-
GNEUR, MON SEIGNEUR, LE

Comte de Laval, de Mon­fort, de Hau­court, etc. Ba­ron de Vi­tré, de Roche­fort, etc. son très-honoré Sei­gneur Marin Le Saulx : Salut.

MON Seigneur, encore que Dieu vous ait fait la grâce dêtre né, tant du cô­té pa­ter­nel que ma­ter­nel, de deux des plus grandes et plus illustres mai­sons de France : si est-ce que jose bien dire que lex­cel­lence de vos rares ver­tus, et sur­tout de votre cons­tance, à main­te­nir contre tant et tant de dif­fi­cul­tés, le pur et saint ser­vice de sa ma­jes­té, à plus haut pu­blie votre nom, tant au pays de votre nais­sance, que jus­quaux en­trailles des Royaumes étran­gers, que na fait toute la gran­deur de votre si an­cienne maison : et vrai­ment en votre per­sonne on peut droi­te­ment re­mar­quer lim­muable vé­ri­té de notre Dieu sou­ve­rain, qui pro­met de con­ti­nuer son al­liance des pères aux en­fants, vous ayant lais­sé hé­ri­tier, non tant des grandes et riches pos­ses­sions de vos pré­déces­seurs, que de leur saint zèle et cons­tance invin­cible : et entre tous de mon Sei­gneur votre père qui sest ren­du im­mor­tel à la pos­té­ri­té, par cette sienne tant sainte et ar­dente affec­tion, à main­te­nir le bon nom et lhon­neur du Dieu vi­vant. Ce qui fait [p. 4] que har­di­ment je madresse main­te­nant à vous, avec ce mien petit li­vret, encore quau reste je naie ja­mais eu cet hon­neur de vous voir, pour vous offrir tout humble ser­vice que peut un homme de ma con­di­tion : non tant assu­ré de la suf­fi­sance de ce que je pré­sente, que de votre bon­té accou­tu­mée, qui comme jes­père pren­dra de bonne part, plu­tôt ma bonne affec­tion que ce que je pré­sente, pour être bea­ucoup au-dessous de ce que bien vous mé­ri­tez. Car mon in­ten­tion a été, Mon Sei­gneur, de vous faire en­tendre com­bien je mes­time votre obli­gé pour les grâces excel­lentes dont lÉter­nel vous a or­né, et com­bien je dé­sire uni­que­ment de vous pou­voir faire quelque humble ser­vice à lave­nir : si tant est que tout pe­tit que je suis, il vous plaise me com­man­der, et que je puisse en quelque chose ré­pondre à ce que vous pour­riez deman­der de moi. Jai da­van­tage dé­si­ré de sou­la­ger et re­créer au­cu­ne­ment votre esprit, qui quel­que­fois se peut trou­ver en­nuyé, pour être si assi­duel­le­ment rete­nu par la lec­ture des Au­teurs et sciences plus graves, en vous pré­sen­tant des vers Fran­çais nul­le­ment éloi­gnés de votre prin­ci­pale pro­fes­sion, qui est la pié­té et la jus­tice. Si je ne suis point dé­çu de mon in­ten­tion, je mes­ti­merai très étroi­te­ment obli­gé pour ce re­gard, den rendre grâces à Dieu. Auquel je sup­plie, Mon Sei­gneur, vous main­te­nir en sa garde, et faire pros­pé­rer de plus en plus la gran­deur de votre mai­son en toutes sortes de bé­né­dic­tions spi­ri­tuelles et tem­po­relles. De Londres ce 29e dAoût 1577.

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AU LECTEUR
SALUT ET PAIX
Par Jésus-Christ
.

S’Il y a quelques-uns qui re­prennent cette fa­çon décrire dont jai usé en ce Dia­logue de lÉglise et de Jésus-Christ, il ne mar­ri­ve­ra rien de nou­veau, et que je naie bien pré­vu, voire dès le com­men­ce­ment. Car dès lors que je mis la main à la plume pour com­po­ser ce pe­tit trai­té, je me pro­mis davoir à faire à deux sortes de gens spé­cia­le­ment qui ne fail­li­raient point à me con­dam­ner. Les uns pour être dun na­tu­rel tant cha­grin et si dif­fi­cile, quils ne peuvent rien trou­ver bon, sil ne part de leur propre main : les autres pour nat­teindre pas mon but ni mon in­ten­tion. Or comme jes­time mêtre loi­sible de mé­pri­ser har­di­ment les pre­miers, avec leur ju­ge­ment per­vers : aus­si dautre part ai-je pen­sé, avant que de lais­ser sor­tir ce pe­tit li­vret en lu­mière, pour être com­mu­ni­qué au pu­blic, que je de­vais user de quelque pré­face, qui pût con­ten­ter, si non du tout, pour le moins en quelque par­tie les autres, qui sans cela pour­raient bien trop fa­ci­le­ment sof­fen­ser. Et [p. 6] dau­tant que je me doute quils se pour­ront achop­per à deux choses prin­ci­pa­le­ment, je tâ­che­rai dau­tant plu­tôt aus­si de leur en le­ver toute juste occa­sion. Car pour­vu quils prennent en paie­ment, ce qui est fon­dé sur ce roc im­muable de léter­nelle pa­role de Dieu, et de lin­vin­cible rai­son, je me pro­mets bien tant de leur sin­cé­ri­té et bon­té, quayant le tout exa­mi­né et éprou­vé sur cette touche, ils se tien­dront pour sa­tis­faits.

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Or pour par­ler du pre­mier point, dif­fi­ci­le­ment trou­veront-ils bon, que sous le voile dun ma­riage char­nel, jaie vou­lu comme en­ve­lop­per cette con­jonc­tion spi­ri­tuelle et vrai­ment cé­leste de Jésus-Christ et de lÉglise, du lien étroit de la­quelle, sont liées et ser­rées de près toutes les ver­tus les plus belles, toutes les grâces les plus rares, et tous les dons les plus ex­quis, dont cette Église est en­ri­chie, de la seule grâce et li­bé­ra­li­té de son Christ, son loyal époux. Et pour le se­cond quand je leur aurai sa­tis­fait sur ce point, leur ayant clai­re­ment mon­tré, que je nai rien fait in­digne de Chré­tien en cette mienne com­pa­rai­son, pour le moins ré­pli­queront-ils, que jai dé­crit ce ma­riage dune fa­çon par trop char­nelle, et non guère éloi­gnée, à leur avis, de quelque orde las­ci­ve­té. À tant après avoir mon­tré quil ny a rien au pre­mier point, qui soit aliène ou étrange de la gra­vi­té des Écri­tures saintes, des­quelles jai sui­vi la trace et le [p. 7] che­min plus apla­ni, il me res­te­ra de faire con­naître, quil ny a en tout ce Dis­cours aucune chose qui soit las­cive, ni ap­pro­chante seu­le­ment daucune or­dure ou las­ci­ve­té : pour­vu quelle soit bien en­ten­due et rap­por­tée à son droit but.

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Pour le regard donc de la com­pa­rai­son que je fais du ma­riage spi­ri­tuel de lÉglise et de Jésus-Christ, avec le ma­riage char­nel qui se traite ici par­mi nous entre le ma­ri et la femme, il ny a certes rien tant com­mun en toute lÉcri­ture sainte. Et puis bien juste­ment affir­mer, qu’il n’y a point ou peu d’Au­teurs entre les écri­vains Sa­crés, qui aient trai­té cette ma­tière, qui n’aient usé pour l’éclair­cir de cette même com­pa­rai­son. Salo­mon qui l’un des pre­miers s’est égayé en cet ar­gu­ment, a pour­sui­vi fort am­ple­ment cette même simi­li­tude, au livre que par excel­lence il nomme le Can­tique des Can­tiques, duquel j’ai pris qua­si de mot à mot, la plu­part de ce qui est con­te­nu en tout ce mien pe­tit trai­té, voire et cela qui en appa­rence semble ap­pro­cher de plus près de las­ci­ve­té. Là le sus­dit Sa­lo­mon sous la fi­gure d’un chaste ma­riage, dé­duit par allé­go­ries ou pa­ra­boles, mais très clai­re­ment néan­moins, la très-étroite con­jonc­tion de Jésus-Christ avec l’Église, la­quelle il a de tout temps choi­sie pour lui être épouse sainte et chaste, voire per­pé­tuel­le­ment. Là ce [p. 8] même Auteur par ses écrits dé­lecte élé­gam­ment les oreilles des au­di­teurs, de la dou­ceur des devis gra­cieux, et de vrai sain­te­ment amou­reux, d’entre le vrai Sa­lo­mon Roi de paix notre Sei­gneur Jésus-Christ, et de son épouse sainte et chaste, l’Église vrai­ment Chré­tienne. Là il fait voir à l’œil aus­si les fa­mi­lières pri­vau­tés, et néan­moins spi­ri­tuelles et pu­diques, par les­quelles on peut con­naître l’ar­dente cha­ri­té et di­lec­tion de l’époux en­vers son épouse. Là puis après d’autre cô­té un cha­cun peut bien con­tem­pler l’affec­tion véhé­mente et ardente de cette même chaste épouse, et com­me elle est sain­te­ment ra­vie en la con­tem­pla­tion de la bon­té gra­tuite de son époux, et des grâces sin­gu­lières, des­quelles par son moyen seul elle jouit un cha­cun jour. Là fi­na­le­ment, dis-je, on peut aisé­ment re­mar­quer le dé­sir ardent qui chas­te­ment em­brase le cœur de cette sainte et pu­dique épouse, d’une affec­tion extrê­me­ment grande qu’elle a d’être de plus en plus in­si­nuée en l’amour de son di­vin époux, et de n’être ja­mais re­pous­sée pour au­cune tache ou ma­cule qui se puisse trou­ver en elle. Après ce docte et sage Sa­lo­mon, l’Auteur du Psaume 45 a trai­té ce même argu­ment sous la même si­mi­li­tude, fa­çon­nant un chant nup­tial de Jésus-Christ et de son Église sous la fi­gure de quelque ma­riage char­nel. Ésaïe qui le suit après, sous cette même [p. 9] cou­ver­ture a voi­lé au­cune­ment ce même ma­riage spi­ri­tuel et di­vin de Jésus-Christ avec l’Église. Ézé­chiel ne s’est point éloi­gné de la même si­mi­li­tude, ains l’a pour­sui­vie fort au long au livre de sa Pro­phé­tie, chap. 16, bien que ç’ait été di­ver­se­ment : car son but n’était pas comme à Sa­lo­mon, de cé­lé­brer par un can­tique cette étroite conjonc­tion de Christ avec sa sainte épouse, ains de mon­trer tout au con­traire, l’in­gra­ti­tude étrange­ment vi­laine de l’Église an­cienne en­vers son Dieu, qui après avoir de lui reçu une in­fi­ni­té de bé­né­fices s’en était néan­moins dé­par­tie pour ado­rer les dieux étranges. Ce qui est clai­re­ment expo­sé par le sus­dit Pro­phète sous la fi­gure et res­sem­blance d’un ma­riage char­nel, tel que l’on voit entre les hommes. Ozée non plus ne l’a point trou­vée de mau­vaise grâce, ains l’a sain­te­ment appro­priée en trai­tant de cette même ma­tière, à la dé­duc­tion de son pro­pos. L’Apôtre Saint Paul entre les Au­teurs du nou­veau Tes­ta­ment, a ti­ré à soi cette si­mi­li­tude, comme très-propre à la ma­tière qu’il trai­tait de la con­jonc­tion spi­ri­tuelle de Jésus-Christ et de l’Église. Et pour faire fin de mettre en compte les Auteurs qui se sont exer­cés en ce même genre d’écrire, Saint Jean l’Évan­gé­liste, le­quel a écrit le der­nier de tous nos écri­vains Sa­crés : au livre de l’Apo­calypse cha­pitre 19 fait droi­te­ment res­sem­bler Jésus-Christ [p. 10] l’agneau sans ma­cule, à un époux qui cé­lèbre le jour de ses noces au ciel avec l’Église son épouse, qui s’est ornée et repa­rée de crêpe très-pur et lui­sant, qui sont, comme lui même expose, les jus­ti­fi­ca­tions des saints, pour lui être pré­sen­tée puis après sainte, chaste et sans aucune cor­rup­tion. Si tant et tant d’Au­teurs di­vins, tous organes du Saint-Esprit, n’ont fait au­cune dif­fi­cul­té, de dé­crire sous la fi­gure d’un ma­riage char­nel et ter­restre, l’étroite et sainte con­jonc­tion de Jésus-Christ avec l’Église : nul, ce me semble, ne me pour­ra jus­te­ment con­dam­ner, d’avoir ain­si trai­té cet ar­gu­ment, usant de leur fa­çon d’écrire : s’il ne veut quant et quant con­dam­ner les graves Au­teurs de notre sainte Bible, et en leurs per­sonnes aus­si le Saint-Esprit qui est Dieu im­mor­tel, ce qui ne se­rait certes sans blas­phème. Or quand nous n’aurions aucuns Auteurs qui nous eussent apla­ni ce che­min, si est-ce tou­te­fois qu’ayant la seule rai­son pour guide, nous le pou­vons assuré­ment entre­prendre, sans crainte de nous éga­rer.

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Car comme il n’y a rien plus étroit entre toutes les choses célestes que le ma­riage de Christ et de l’Église son épouse (excepté toujours la con­jonc­tion de l’union des trois per­sonnes en l’uni­té de l’essence de Dieu) aus­si n’y a-t-il rien entre toutes les choses ter­restres, ni plus étroit, ni plus con­joint, que l’alliance de l’homme et de la [p. 11] femme, la­quelle se fait par le lien d’un juste et chaste ma­riage. Et tout ain­si que cette est la pre­mière con­jonc­tion d’entre tous les hommes mor­tels, mère et sur­geon de toutes les autres, comme celle de la­quelle seule elles prennent toutes leur ori­gine, aus­si le ma­riage spi­ri­tuel de l’Église avec Jésus-Christ, est la con­jonc­tion pre­mière du Dieu vi­vant avec les hommes, et de la­quelle sont dé­duites puis après toutes les con­­jonc­tions spi­ri­tuelles et di­vines, comme les ruis­seaux de leur source. C’est par le moyen de cette si étroite con­jonc­tion que tous les fi­dèles sont en­gen­drés de Dieu au gi­ron fer­tile de l’Église, qui fait la com­mu­nion de tous les saints, en la­quelle nous avons tous un seul et même Dieu, pour père, lequel nous tient pour ses en­fants. En cette même com­munion nous avons un seul Christ pour chef, pour frère et pour époux aus­si, et en lui seul nous sommes frères, et tous cohéritiers du Ciel. En elle même nous avons un même Saint-Esprit pour vie, dont il advient que tous en­semble ne fai­sons qu’un seul corps di­vin, qui a un même chef en Christ. Et comme le lien du ma­riage char­nel n’en peut joindre que deux à la fois, sa­voir est le lé­gi­time ma­ri avec sa lé­gi­time femme, qui ne peut ja­mais avoir aucune lé­gi­time con­jonc­tion de ma­riage avec un tiers, aus­si à vrai dire le lien de la con­jonc­tion de Jésus-Christ avec l’Église, ne peut jamais ad­mettre un tiers. [p. 12] Et l’Église con­jointe à Christ ne se peut joindre avec un tiers, sans pol­luer son ma­riage et com­mettre un vi­lain adul­tère, vi­lain je dis, voire d’au­tant plus, qu’il est spi­ri­tuel et non char­nel. Car comme il n’y a qu’un époux qui est Jésus-Christ im­mor­tel, aus­si n’y a-t-il qu’une épouse l’Église sainte Chré­tienne et Ca­tho­lique, c’est à dire épan­due par­mi tout ce grand uni­vers. Tout ain­si aus­si qu’en ce ma­riage char­nel le ma­ri est chef de la femme, au pou­voir du­quel elle est assu­jet­tie de Dieu, aus­si Christ est chef de l’Église, qui lui donne vie et vi­gueur, de la pa­role et con­duite du­quel seul elle doit dé­pendre, pour sain­te­ment s’as­su­jet­tir à tout ce qu’il vou­dra com­man­der. Comme encor la con­jonc­tion du ma­ri avec la femme est liée d’un lien si étroit, qu’il est du tout in­dis­so­luble si­non par mort ou adul­tère, ain­si aus­si est-il de la con­jonc­tion di­vine de Christ et de son épouse l’Église, cent mille mil­lions de fois trop plus étroi­te­ment con­jointe, qu’aucune autre qui se puisse ja­mais con­trac­ter entre tous les hommes mor­tels. Car aus­si ne la peut-on dis­soudre si­non par l’adul­tère d’Apos­ta­sie et dé­fec­tion de Dieu aux idoles, tel ou sem­blable que celui qu’a com­mis ce dé­tes­table Ma­ho­met, et tous ceux-là qui de son temps aban­don­nèrent Jésus-Christ pour suivre son apos­ta­sie. Ce qui se doit entendre du corps de l’Église en com­mun, et [p. 13] non pas des par­ti­cu­liers, cha­cun des­quels se peut bien sé­pa­rer de Christ par mille et mille autres fa­çons répu­gnantes à sa vo­lon­té. Et comme par le ma­riage char­nel du ma­ri avec son épouse, il y a une telle con­jonc­tion et com­mu­nau­té de tous biens, que tout ce que l’un ou l’autre des par­ties a de com­mo­di­tés ou in­com­mo­di­tés, aux biens, au corps, ou en l’esprit, cha­cun le peut bien dire sien : aus­si vé­ri­ta­ble­ment en ce ma­riage de Jésus-Christ avec l’Église il y a une telle con­jonc­tion et com­mu­nion de toutes choses, que comme Christ peut jus­te­ment appe­ler toutes nos in­com­mo­di­tés siennes (qui est tout ce que nous avons appor­té de notre part pour être con­fon­du en la com­mu­nau­té) aus­si pouvons-nous appe­ler nôtre, tout ce que Christ a re­çu du ciel, sa jus­tice, et sain­te­té, sa vie et im­mor­ta­li­té. Au sur­plus tout ain­si qu’il ne peut arri­ver rien de plus grave en un saint et chaste ma­riage, que quand l’épouse se dé­bauche, pour rendre son lit im­pur et sale, en le com­mu­ni­quant à d’autres qu’à son lé­gi­time ma­ri, aus­si ne peut-il arri­ver rien de plus grave que cela même entre Jésus-Christ et l’Église. Comme aus­si bon ma­ri sup­porte, voire avec une grande dou­ceur mille et mille im­per­fec­tions en sa femme, pour­vu qu’au reste elle lui ré­serve son lit pu­dique et im­po­lu, ain­si aus­si si nous fai­sons com­pa­rai­son entre les im­perfec­tions qui se peuvent trou­ver en [p. 14] l’Église, et le crime d’Apo­sta­sie et dé­fec­tion du vrai Dieu, aux dieux étranges, quoique les uns et les autres soient abo­mi­nables de­vant les yeux de celui qui est la même pu­re­té : si est-ce tou­te­fois que Jésus-Christ, le pa­ran­gon de toute dou­ceur, sup­porte beau­coup plu­tôt et plus fa­ci­le­ment les autres pé­chés de l’Église, qu’il lave et net­toie de son sang, qu’il ne fait pas ce crime hor­rible, par le­quel l’Église se reti­rant de lui, se dé­bauche à la fa­çon des pu­tains effron­tées, après le bois et la pierre, l’or, l’ar­gent, le cuivre et l’ai­rain : ou bien après tous ces faux dieux qui n’ont point fait ni ciel ni terre. Car cela certes adve­nant, Christ est ému d’un juste cour­roux, et pro­vo­qué à ja­lou­sie, et dont fi­na­le­ment s’en­suit, si l’épouse ne se repent, le di­vorce et entière sé­pa­ra­tion. Et comme encor les en­fants pro­créés d’un lé­gi­time ma­riage, sont faits hé­ri­tiers en com­mun de l’une et de l’autre des par­ties : de même aus­si tous les fi­dèles en­gen­drés de ce ma­riage de Jésus-Christ avec l’Église, sont vé­ri­table­ment hé­ri­tiers tant de lui que de son épouse, et de tout ce qui leur appar­tient soit en terre ou là-sus aux cieux. Pour faire fin, tout ain­si que le fon­de­ment d’un droit et juste ma­riage est cet amour et mu­tuelle di­lec­tion de l’une et l’autre des par­ties, qui em­brase chas­te­ment leurs cœurs, d’un feu qui dou­ce­ment les brûle, sans aucune im­pu­dique pas­sion : ain­si aus­si cer­tai­ne­ment [p. 15] cette mu­tuelle di­lec­tion et ré­ci­proque cha­ri­té de Jésus-Christ et de l’Église, est le fon­de­ment ferme de leur ma­riage, et tant étroite con­jonc­tion. C’est ce qui fait que l’époux et l’épouse aus­si jouissent heu­reu­se­ment l’un de l’autre avec dix mille pri­vau­tés. C’est aus­si de la même source que pro­cèdent toutes ces pu­diques ca­resses, tous ces doux et plai­sants de­vis d’entre Jésus-Christ et l’Église, dont Sa­lo­mon fait men­tion. Tous les­quels à la vé­ri­té se doivent prendre et in­ter­pré­ter d’une fa­çon du tout cé­leste et vrai­ment spi­ri­tuelle, telle qu’est ce ma­riage cé­leste du­quel nous par­lons main­te­nant, comme nous mon­tre­rons cela ci-dessous beau­coup plus clai­re­ment, Dieu aidant. Voilà Pour­quoi le Saint-Esprit au livre des Écri­tures saintes, n’a fait aucune dif­fi­cul­té de nous expo­ser l’un par l’autre, qui certes ne voit rien d’im­pur au ma­riage char­nel qu’il a lui-même ins­ti­tué, et qui ne puisse con­ve­nir avec le ma­riage spi­ri­tuel de Christ et de son Église.

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Je confes­serai vo­lon­tiers qu’en la cor­rup­tion en la­quelle nous sommes à pré­sent, il est fort dif­fi­cile, voire et qui plus est im­pos­sible, de trou­ver un ma­riage si saint, si chaste, si beau, et si pur, qu’il n’y ait du tout que re­dire. Mais l’esprit de Dieu lequel n’a point les yeux char­nels, pour regar­der à la fa­çon des hommes, pé­nètre bien plus avant que nous ne fai­sons pas, se pré­sen­tant [p. 16] en dic­tant ces choses, non un ma­riage souil­lé d’une in­fi­ni­té de pol­lu­tions pro­cé­dantes de notre propre cor­rup­tion, qui seules noir­cissent la blan­cheur et pu­re­té d’ice­lui, mais un plu­tôt, éloi­gné de toute pol­lu­tion : et du tout tel qu’il eût été entre les hommes s’ils fussent de­meu­rés au droit de leur pre­mière con­di­tion. Car c’est chose bien assu­rée que si Adam eût pu lon­gue­ment pos­séder la fé­li­ci­té excel­lente en la­quelle il avait été cons­ti­tué, et tant, dis-je, et si lon­gue­ment, qu’il eût pu jouir, lui inno­cent de la femme inno­cente, et d’elle en­gen­drer des en­fants doués d’une même inno­cence, c’est chose vraie et bien cer­taine qu’il eût expé­ri­men­té une bien plus grande dou­ceur du ma­riage, en toute chas­te­té néan­moins, que nous ne fai­sons pas main­te­nant. Il y eût eu entre lui et sa femme une per­pé­tuelle paix, et qui n’eût ja­mais pu être entre­rom­pue par quelque cui­sant cha­grin de l’une et l’autre des par­ties. Ils eussent pu mu­tuel­le­ment sen­tir le feu et les plus vives étin­celles d’un amour chaste et bien ré­glé, rete­nus ce­pen­dant en leurs bornes. Ils eussent joui des ef­fets d’une pu­dique vo­lup­té, et sans aucun dé­bor­de­ment. Ils eussent cueil­li l’un et l’autre les fruits de leurs chastes amours, sans être au­cu­ne­ment trou­blés de nos aveugles pas­sions. Et si n’eussent été pri­vés des de­vis et pro­pos gra­cieux, des bai­sers et em­bras­se­ments propres aux [p. 17] chastes ma­riages, du tout con­fits en la dou­ceur d’une tem­pé­rée affec­tion, qui n’eût ou­tre­pas­sé la borne d’une sainte pu­di­ci­té. Voilà pro­pre­ment le ma­riage sous la fi­gure du­quel le Saint-Esprit nous veut faire con­tem­pler celui de Christ et de l’Église, qui est de tous points accom­pli.

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Et ne faut jà émer­veil­ler s’il nous est main­te­nant dif­ficile, ou pour dire mieux im­pos­sible, de re­pré­sen­ter aux yeux de notre frêle en­ten­de­ment, un tel et si saint ma­riage, qui n’en avons jamais rien expé­ri­men­té. Car en cette cor­rup­tion en la­quelle nous sommes, il n’y a rien si saint qui ne soit par nous pro­fa­né, rien si juste qui ne soit cor­rom­pu, et rien si net qui ne soit souil­lé. Même les affec­tions na­tu­relles qui naissent et croissent avec nous, sont en quelque sorte souil­lées du ve­nin de notre in­tem­pé­rance et dé­ré­glé dé­bor­de­ment. De là advient que nous ne pou­vons craindre, dé­si­rer, espé­rer, haïr ou aimer aucune chose, que toutes ces pas­sions-là, quoique toutes soient na­tu­relles, ne tirent de nous quelque tache d’in­tem­pé­rance, et de­viennent souil­lées par ce moyen, qui fussent néan­moins de­meurées en leur pre­mière pu­re­té en Adam saint et inno­cent. Ce qui se voit en Jésus-Christ, qui a eu telles pas­sions sans aucun pé­ché néan­moins, pour n’avoir point outrepas­sé l’étroite borne de cette égale tem­pé­rance. Or quand il est ques­tion de con­si­dé­rer [p. 18] le ma­riage de Dieu vi­vant avec l’Église, il nous faut sor­tir hors de nous, pour mon­ter jus­que dans le ciel. Quand il est ques­tion de le nous re­pré­sen­ter voi­lé du voile de quelque ma­riage char­nel, alors nous faut-il re­pré­sen­ter un ma­riage, non tel qu’il est pour le pré­sent im­monde, im­pur, et im­parfait, mais tel qu’il eût vrai­ment été, si l’homme inno­cent fût de­meu­ré en sa jus­tice ori­gi­nelle. Alors nous n’y trou­ve­rons rien qui ne soit saint, qui ne soit chaste, et qui ne soit bien con­ve­nant au ma­riage spi­ri­tuel de l’Église et de Jésus-Christ. Et ceci soit dit quant au pre­mier point.

[R]

Que si quelqu’un ré­plique main­te­nant que je me suis éloi­gné, en la fa­çon d’écrire que j’ai sui­vie, de la mo­des­tie et tem­pé­rance, que l’on peut aisé­ment re­mar­quer en un tel chaste ma­riage que j’ai dé­peint ici-dessus, j’ai à ré­pondre en un seul mot, que l’on pour­rait faire un tel si­nistre ju­ge­ment de Sa­lo­mon en son Can­tique, si le Saint-Esprit ne lui avait ren­du du ciel un té­moi­gnage tout contraire. Si donc en dé­cri­vant choses spi­ri­tuelles et cé­lestes, il s’est aucu­ne­ment accom­mo­dé au sens char­nel et im­par­fait de l’homme, pour dé­cla­rer choses si hautes, si di­vines, et si très-saintes, en la ma­nière des choses même que l’on voit au sens et à l’œil, et qui ad­viennent cha­cun jour entre ceux-là qui sont con­joints par le lien de ma- [p. 19] riage, et n’en est jus­te­ment re­pris : pour­quoi trou­ve­ra quel­qu’un étrange, que j’aie sui­vi en cet en­droit ses traces si sou­vent bat­tues par tous les écri­vains Sa­crés, voi­lant comme eux de quelque allé­go­rie, ce qui en vers au­rait mau­vaise grâce, s’il était expri­mé d’une fa­çon simple et sans fi­gure ? Puisque le Saint-Esprit use sou­vent de cette fa­çon d’en­sei­gner par­tout aux Écri­tures saintes, pour l’ins­truc­tion des fi­dèles, qui est-ce qui trou­ve­ra mau­vais, que nous la rap­por­tions nous-mêmes au com­mun pro­fit de l’Église, pour la­quelle j’ai en­tre­pris d’écrire ce petit trai­té ? J’eusse co­té en marge les pas­sages desquels j’ai ti­ré ce dis­cours, mais d’au­tant que le livre des Can­tiques de Sa­lo­mon est fort bref, il est ai­sé sans cela, de re­mar­quer en le li­sant l’en­droit de la si vive source, dont sont dé­cou­lés ces ruis­seaux. Car quant aux autres pas­sages de l’Écri­ture sainte, que j’eusse pu aus­si co­ter, d’au­tant qu’en iceux il n’y a point de dif­fi­cul­té, je m’en suis moins don­né de peine. Il reste donc tant seu­le­ment de m’ac­quit­ter de la pro­messe que j’ai ci-dessus avan­cée, de faire voir au doigt et à l’œil, qu’il n’y a en tous ces Son­nets au­cune chose qui soit las­cive, ou appro­chante de las­ci­ve­té, d’au­tant que ce qui en a quelque appa­rence, doit être en­ten­du par allé­go­rie d’une fa­çon spi­ri­tuelle, et con­ve­nante à Jésus-Christ esprit et vrai Dieu im­mor­tel.

[R]

[p. 20] Voici donc ce qui peut sem­bler à quelques-uns appro­cher de trop près de la va­ni­té des Poètes pro­fanes, et d’au­tant aus­si s’éloi­gner de la vé­né­rable gra­vi­té qui par­tout appa­raît si claire aux livres des Écri­tures saintes : c’est que tan­tôt par la bouche de Christ, tan­tôt par celle de l’Église, je fais hau­te­ment éven­ter la gloire et plus riche beau­té des membres, qui non seu­le­ment con­viennent à un corps hu­main : mais qui peuvent ser­vir d’amorce pour avi­ver les étin­celles de l’amour las­cif, ou pu­dique, au cœur des plus sé­vères Ca­tons. Ce qui fait que par-ci par-là, on ren­contre si sou­vent en li­sant ces Son­nets : cette per­ruque noire [← son­net 131], ces che­veux d’or fri­sés [← son­net 149], ce front d’ivoire [← son­net 131], ces yeux flam­boyants [← son­net 149], ces lèvres de lis [← son­net 131], ou de co­rail, ces doigts d’albâtre, ces jambes de marbre [← son­net 169], et mille autres fa­çons de par­ler sem­blables. On ne trou­ve­ra moins étrange, que j’aie en­ri­chi puis après, tous ces membres-là, (dé­jà, selon leur ju­ge­ment mieux po­lis, et plus jo­li­ment fa­çon­nés, qu’il n’appar­tient à la mo­des­tie Chré­tienne) de vê­te­ments mol­lets de pourpre [← son­net 51] et d’écar­late, ou d’or­ne­ments d’or relui­sants, d’anneaux riches et pré­cieux, en­ri­chis en­core de perles, de ru­bis, de ba­lais, de sa­phirs, opales, éme­raudes et autres pierres pré­cieuses. Et sur­tout que j’aie fait men­tion de lit [← son­net 199], de couche [← son­net 137], de bai­sers [← son­net 189] et d’em­bras­se­ments [← son­net 22, son­net 42]. Ce qui semble moins con­ve­nir à cette sainte [p. 21] sé­vé­ri­té, que l’on peut aisé­ment re­mar­quer aux livres de notre sainte Bible. À cela je dis pour ré­ponse, que toutes ces mêmes des­crip­tions, tant de membres cor­po­rels, d’atours pré­cieux et exquis, que ces pri­vau­tés si grandes, se peuvent trou­ver attri­buées, soit à Christ, ou bien à l’Église, par les Au­teurs sus-allé­gués, que j’appelle de ga­ran­tie. Car aus­si sont-ils suf­fi­sants pour me dé­char­ger du blâme que l’on me vou­drait im­po­ser en cet en­droit, avec le té­moi­gnage grave des­quels j’ajoute une brève expo­si­tion de toutes ces choses que j’ai dé­crites ci-dessous, par la­quelle je mon­tre­rai plus qu’assez clai­re­ment à tous, que sous le man­teau de ces choses char­nelles et ter­restres, il nous faut cher­cher et com­prendre choses du tout spi­ri­tuelles et cé­lestes.

[R]

Sous le nom donques de l’époux, il nous faut en­tendre, comme j’ai jà dit ci-dessus, Jésus-Christ le Saint fils de Dieu, le­quel se donne un même nom dedans l’his­toire Évan­gé­lique. Par celui de l’épouse Chris­tine, est en­ten­due l’Église Chré­tienne qui par Foi est con­jointe à son Christ. Les com­pa­gnons de cet époux que j’ap­pelle quel­que­fois fils de Ju­da, sont les pro­phètes et Apôtres, les Pas­teurs et Doc­teurs de l’Église. Les com­pagnes de l’épouse des­quelles je parle aus­si en quelques Son­nets, sont le sur­plus des vrais fi­dèles qui suivent l’Église [p. 22] et sa foi. Si quel­que­fois je parle du chef de Jésus-Christ, je le con­si­dère en deux sortes, tan­tôt au re­gard de lui seu­le­ment, tan­tôt au re­gard de l’Église. Par le chef de Christ rap­por­té à Christ même, j’en­tends sa di­vi­ni­té qui appa­raît haut éle­vée par-dessus sa chair, comme le chef sur tous les autres membres. Mais si je le rap­porte à l’Église, je com­prends lors Jésus-Christ tout en­tier, vrai Dieu et homme tout en­semble, unique Mé­dia­teur du vieil et nou­veau Tes­ta­ment, et seul chef de toute l’Église. Et puis tout ain­si que le chef donne vie et vi­gueur à tous les membres, qui sans cela ne seraient qu’une orde et in­fecte cha­rogne : ain­si aus­si à la vé­ri­té Christ est ce­lui qui vi­vi­fie l’Église, don­nant la vie à tout le corps, et à cha­cun des autres membres, la­quelle il trans­met de soi en icelle par le ca­nal de la con­jonc­tion spi­ri­tuelle qui est entre lui chef unique, et les élus qui sont ses membres, unis en­semble par le lien du Saint-Esprit. Et comme en chaque corps hu­main il n’y peut avoir qu’un seul chef, à qui appar­tient de con­duire ces­tui corps qui lui est sou­mis, et le­quel autre­ment aveugle ne se peut si­non éga­rer, et s’éga­rant pré­ci­pi­ter : ain­si aus­si vé­ri­ta­ble­ment, d’au­tant qu’il n’y a qu’un seul corps d’Église com­po­sé de tous les élus qui sont en la terre et au ciel, il n’y peut avoir qu’un seul chef non plus, au­quel seul appar­tient de vi­vi­fier et con­duire le corps [p. 23] de cette Église Ca­tho­lique, et ce qu’il exé­cute de vrai en la ver­tu de son Esprit par le sceptre de sa pa­role. Ce chef que Jésus-Christ l’époux dit être mouil­lé de ro­sée [← son­net 49], et de la pluie qui coule doux lorsque le So­leil est cou­ché, sans doute nous doit faire en­tendre, que c’est en lui seul qu’il nous faut cher­cher et trou­ver le vrai et plai­sant ra­fraî­chis­s­e­ment, du­quel nous sommes ga­ran­tis contre l’ardeur vé­hé­mente et mor­telle du pé­ché, de la mort et de l’en­fer. Et c’est de lui aus­si que dé­coule si dou­ce­ment jus­ques à nous cette gra­cieuse rosée de toutes sortes de bé­né­dic­tions spi­ri­tuelles par la pré­di­ca­tion de sa pa­role. Voi­là l’occa­sion pour­quoi l’Église s’égaie si plai­sam­ment à rechan­ter en mille et mille sortes l’excel­lente et rare beau­té du chef de son loyal époux. Ce que l’épouse puis après admire les yeux de l’époux purs, éclai­rants et flam­boyants, par un tout seul re­gard des­quels elle est ra­vie en admi­ra­tion, est pour nous faire con­naître la blan­cheur et pu­re­té qui re­luit aux ju­ge­ments du Dieu vi­vant, qui certes sont dignes de grande louange, et admi­ra­tion sou­ve­raine : et qui pour leur clar­té et pu­re­té si grande sont jus­te­ment accom­pa­rés aux yeux flam­boyants, ou de feu. Des yeux cette épouse des­cend à la face et aux joues [← son­net 131] ver­meilles de cet époux plai­sant et beau, des­quels en­core elle cé­lèbre la louange en di­verses fa­çons, pource que c’est un [p. 24] signe de la pré­sence de Jésus-Christ au mi­lieu de l’Église, à la­quelle il se ma­ni­feste et donne à con­naître par la pré­di­ca­tion de l’Évan­gile. Une telle ma­ni­fes­ta­tion est à bon droit re­pré­sen­tée par la joue, la­quelle est tou­jours décou­verte, et par la­quelle les hommes ont de cou­tume de se ma­ni­fes­ter l’un à l’autre, en dé­cou­vrant leur face, et se pro­dui­sant en lu­mière. Les bras [← son­net 183], les doigts et les mains de Jésus-Christ sont ses œuvres admi­rables, très-pures et très-nettes de toute cor­rup­tion, et qui par tant sont accom­pa­rées à l’ivoire blanc et po­li, au­quel y a une telle égale sur­face, qu’il est non seu­le­ment beau à voir, mais plus doux en­core à tou­cher, n’y res­tant rien de ra­bo­teux ou moins apla­ni, non plus qu’aux ouvrages de Dieu. Par son ventre blanc et très-pur [← son­net 193], nous en­ten­dons ses mys­tères et se­crets plus in­times, aux­quels tou­te­fois on aper­çoit une mer­veil­leuse beau­té et pu­re­té aus­si. Les jambes qui sont accom­pa­rées à des pi­liers de marbre [← son­net 169], signi­fient la fer­me­té et sta­bi­li­té, tant de ses œuvres, que de sa pa­role im­muable. Les che­veux de Christ si­gni­fient l’abon­dance des ri­chesses que le Père lui a con­fé­rées pour nous : où aus­si la mul­ti­tude des élus, qui dé­pendent de lui comme les che­veux de la tête. Voilà ce qui con­vient à l’époux, et ce que nous de­vons re­cueil­lir de la beau­té et excel­lente dis­po­si­tion de tous les membres qui lui sont ici [p. 25] attri­bués. Par­lons main­te­nant de l’épouse, qui est l’Église Chré­tienne.

[R]

Or tout ainsi qu’elle a haut loué jusques ici la rare beau­té qui re­luit en tous les membres de l’époux, aus­si de sa part ne s’est-il non plus épar­gné à cé­lé­brer les louanges de l’exquise beau­té de sa chaste et pu­dique épouse, voire et d’un cha­cun des membres d’icelle en par­ti­cu­lier. Il chante en pre­mier lieu les che­veux d’or fri­sés de sa belle et blonde Chris­tine [← son­net 192, son­net 200], qui nous re­pré­sentent tous les fils de l’Église, et cette grande mul­ti­tude de fi­dèles qui s’as­semblent or­di­nai­re­ment en com­mun, pour ouïr la pré­di­ca­tion de l’Évan­gile. Or ne sont-ils moins beaux ni agré­ables aux yeux de Christ loyal époux, que les che­veux or­nés et bien agen­cés de quelque chaste et belle épouse aux yeux de son fi­dèle époux. Les yeux ver­doyants de Chris­tine [← son­net 190, son­net 192], des­quels Jésus-Christ est épris, sont les Pas­teurs et Doc­teurs de l’Église, qui sont la con­duite d’icelle, comme les yeux du corps hu­main. Et comme les yeux sont en lieu émi­nent de la face, et appa­raissent clairs et beaux par-dessus tous les autres membres, aus­si font, ou du moins doivent faire les Pas­teurs et Doc­teurs de l’Église. On les peut aus­si prendre pour la Foi, qui sert de lu­mière et de con­duite à l’Église, et par la­quelle seule, comme par les yeux éclai­rants, elle peut con­tem­pler son Christ, son frère et son cé­leste [p. 26] époux. Les lèvres [← son­net 142, son­net 198] et la bouche [← son­net 42] si­gni­fient, tant la pré­di­ca­tion de l’Évan­gile, que les pré­di­cateurs d’icelle. La cou­leur de lis si­gni­fie la pu­re­té de cette pré­di­ca­tion. Et celle de co­rail re­pré­sente le zèle sain­te­ment ardent, du­quel sont em­brasés les fi­dèles Pas­teurs et Doc­teurs. Le col ain­si blanc [← son­net 64, son­net 184, son­net 194] re­pré­sente les mêmes Pas­teurs, par le mi­nis­tère des­quels la pâ­ture de vie est comme trans­mise et trans­por­tée à tout le corps de l’Église, comme le boire et le man­ger est très-propre­­ment trans­por­té par le col jusques au fond de l’es­to­mac. La net­te­té, blan­cheur et beau­té admi­rable de l’Église tant et tant prisée par Jésus-Christ l’unique ma­ri, est la ré­mis­sion gra­tuite de ses pé­chés, l’im­pu­ta­tion de la jus­tice et sain­te­té du fils de Dieu, et puis en­core cette vie nou­velle que l’Esprit de Christ com­mence en elle, pen­dant qu’elle erre en ces bas lieux, et qui en­fin sera par­faite et de toutes parts accom­plie au sé­jour de l’im­mor­ta­li­té. Par la cou­leur noire nous en­ten­dons les afflic­tions de l’Église, à cause des­quelles tou­te­fois elle n’est de rien moins agré­able à Jésus-Christ. Les bai­sers sont l’étroite con­jonc­tion de Christ et de l’Église. Les vê­te­ments pré­cieux de l’épouse si­gni­fient toutes les grâces et bé­né­dic­tions des­quelles elle est rem­plie par Jésus-Christ. Ses bagues, car­cans et autres joyaux très-exquis nous repré­sentent cela même, comme les ru­bis et autres pierres pré- [p. 27] cieuses, des­quelles nous fai­sons men­tion. Le lit de l’épouse est le lieu où l’Église se repose (en quelque part qu’il soit) et est con­jointe à Jésus-Christ, de la­quelle douce et agréable con­jonc­tion spi­ri­tuelle et cé­leste, sont pro­créés et spi­ri­tuel­le­ment en­gen­drés tous les fi­dèles et élus. La cou­ronne de l’époux est cette grande et ma­gni­fique gloire qui lui est don­née par l’Église, lors­qu’elle met toute sa con­fiance en lui seul, n’atten­dant sa­lut que de lui. Il est vrai que Jésus-Christ est cou­ron­né de gloire par son Père, quand il est or­né et re­vê­tu des titres de Sau­veur éter­nel, et qu’il est par lui con­sti­tué hé­ri­tier de toutes choses, le Ré­demp­teur unique du genre hu­main, le Roi des Rois, le Sei­gneur des Sei­gneurs. Mais il est aus­si cou­ron­né par l’Église, quand il est d’elle recon­nu pour tel, et que par son mi­nistère la re­nom­mée de Jésus-Christ est épan­due par tout le monde uni­ver­sel. Le coche ou li­tière tant de Christ que de l’Église est la doc­trine des Pro­phètes et Apôtres, par la­quelle Christ est appor­té à l’Église, et l’Église re­por­tée à Jésus-Christ. L’Église est accom­pa­rée à un Jar­din [← son­net 100, son­net 45, son­net 62, son­net 162, son­net 196] plein d’arbres, d’herbes et de fleurs odo­ri­fé­rantes, à cause des dons excel­lents dont elle est ri­che­ment or­née. Elle est accom­pa­rée à la rose [← son­net 46, son­net 52, son­net 54] et au lis pour leur odeur dou­ce­ment suave. Les odeurs et on­guents pré­cieux sont sa renom­mée épan­due par l’uni­vers, et ses [p. 28] bonnes œuvres pro­cé­dantes d’une vraie foi. La haie dont elle est en­close est la pro­vi­dence de Dieu, par la­quelle il la dé­fend et con­tre­garde de tout dan­ger. Le Prin­temps est le temps du sa­lut de l’Église, et ses fleurs en sont les signes cer­tains, comme les Sa­cre­ments et la pa­role, qui aus­si est si­gni­fiée par la voix de la tour­te­relle. L’Hi­ver au con­traire est le temps de la per­sé­cu­tion, soit in­té­rieure ou exté­rieure, qui aus­si est re­pré­sen­tée par la nuit, du­rant la­quelle le Sei­gneur a accou­tumé de se pré­sen­ter à nous pour nous con­soler, et chas­ser dix, et dix mille té­né­breux épou­vante­ments de l’âme et de la cons­cience, qui bien sou­vent nous agitent au temps de l’adver­si­té. Par l’Ombre [← son­net 50] nous en­ten­dons les fi­gures et cé­ré­mo­nies de la Loi, qui sont nom­mées de ce nom par­tout en l’Écri­ture sainte. Par le dé­sert [← son­net 128] dont sort l’Église nous en­ten­dons, ou ce monde au re­gard du ciel, où elle est appe­lée par Jésus-Christ : ou la fausse re­li­gion au re­gard de la vé­ri­té, au se­cret et con­nais­sance de la­quelle elle est admise par ice­lui. Cette co­lonne de fu­mée [← son­net 128] à la­quelle elle est com­pa­rée, est pour si­gni­fier qu’elle tend et se dresse droit à Jésus-Christ son époux, de l’accès du­quel elle ne peut être aucu­ne­ment em­pê­chée. Le vin, le lait, et le miel [← son­net 200, son­net 198] nous re­pré­sentent la doc­trine, qui est une viande douce, dé­lec­table et sa­vou­reuse, tant pour les grands [p. 29] que pour les pe­tits. L’Église aus­si est accom­pa­rée à la Lune [← son­net 44, son­net 52, son­net 144, son­net 154], pour si­gni­fier que tout ain­si que la Lune ne perd point sa clar­té par les té­nèbres de la nuit, ains est aug­men­tée par ce moyen : aus­si l’Église ne perd point sa très-excel­lente beau­té par la nuit des afflic­tions. Elle est de même accom­pa­rée au So­leil et à la Lune [← son­net 106, son­net 194] à cause de sa pu­re­té et splen­deur très-claire. Voi­là en somme le sens spi­ri­tuel et cé­leste des choses cor­po­relles et ter­restres, qui sont ici attri­buées ou à Christ ou à son Église, qui montre que tout ce Dis­cours est fort éloi­gné d’in­tem­pé­rance ou las­ci­ve­té. S’il reste quelque chose dont je n’aie fait men­tion, je me pro­mets qu’il ne don­nera aucune peine au Lec­teur fi­dèle.

[R]

Il y a aussi quelques fa­çons de par­ler qui pour­raient sem­bler dures et dif­fi­ciles à en­tendre, si elles n’étaient éclair­cies par quelque brève et fa­cile expli­ca­tion. Entre les­quelles est cette-ci, que l’Éter­nel s’est asser­vi au temps [← son­net 39], et quelques autres sem­blables [← son­net 63], qui ne si­gni­fient autre chose, si­non que Christ qui est Éter­nel, s’est asser­vi au temps : mais tou­te­fois à rai­son de sa chair tant seu­le­ment, et non de sa di­vi­nité, qui est franche de temps en toutes sortes. Mais par une ma­nière de par­ler que les Théo­lo­giens appellent com­mu­ni­ca­tion des pro­prié­tés, on peut dire que Dieu est né, qu’il est mort et qu’il a souf­fert, com­bien que ç’ait été seu­le­ment en la chair. [p. 30] Il est vrai que l’on dit que Dieu a souf­fert, est mort et a été en­se­ve­li, et non pas la di­vi­ni­té, ce que je con­fesse être bien et sain­te­ment dit, à cause de quoi on pour­rait trou­ver dur ce qui suit après, que Christ a en­fer­mé le fort de sa di­vi­ni­té, bor­nant aucu­ne­ment de son in­fi­ni­té ce qu’on ne peut bor­ner [← son­net 68], comme si je me vou­lais éloi­gner de la doc­trine sain­te­ment re­çue con­for­mé­ment à la pa­role de Dieu tou­chant ce point, mais il le faut ré­soudre par la ma­nière de par­ler ci-dessus no­tée, et attri­buer le reste à la con­trainte du vers. Et cepen­dant quant au sens je ne veux si­gni­fier autre chose, si­non que Christ qui est Dieu éter­nel, et de sa na­ture in­fi­ni et in­com­pré­hen­sible, s’est ren­du comme fi­ni et comme com­pré­hen­sible en sa chair. Il est dit puis après que la chair de Christ a pris son ori­gine du ciel [← son­net 173], non pas pour si­gni­fier qu’il ait eu une chair d’autre na­ture que la nôtre (sans pé­ché tou­tefois) mais seu­le­ment pour mon­trer qu’il a été con­çu au ventre de la vierge Marie de la propre subs­tance d’icelle, d’une autre fa­çon néan­moins que le reste des hommes, c’est assa­voir par la ver­tu du Saint-Esprit, sans com­pa­gnie d’homme. Je dis que Jésus-Christ a assu­jet­ti à la mort l’im­mor­tel de sa vie [← son­net 79], d’au­tant qu’il était im­pos­sible qu’il fût dé­te­nu des liens de la mort, com­bien que je ne veuille pas nier que sa chair ne fût mor­telle comme la nôtre, non pas de sa na­ture à [p. 31] pro­pre­ment par­ler, mais seu­le­ment par dis­pen­sa­tion, d’au­tant qu’il avait char­gé sur soi notre obli­ga­tion, et cette dure con­di­tion d’apai­ser en notre nom l’ire de Dieu son père par sa mort. Quand je dis que la Loi en­fante le tort [← son­net 117], je n’en­tends autre chose que ce que dit Saint Paul aux Ro­mains cha­pitre 7, « je n’ai point con­nu que c’est que pé­ché, si­non par la Loi », comme aus­si je l’in­ter­prète au ver­set sui­vant. Cette fa­çon de par­ler peut sem­bler dure : Ô que d’amour di­vin la dou­ceur est cruelle [← son­net 57], mais il la faut prendre comme poé­tique, et est à vrai dire une fa­çon de par­ler exces­sive, par la­quelle l’Église est ra­vie en admi­ra­tion de l’extrême bon­té de Dieu, qui pour sau­ver l’homme pé­cheur, n’a point épar­gné son Fils inno­cent : en telle sorte néan­moins qu’en tout ce mys­tère il n’y a rien de cruel qu’on puisse attri­buer au Père, puis­qu’il a tel­le­ment don­né son Fils à la mort, que le Fils aus­si de sa part s’est fran­che­ment et vo­lon­tai­re­ment offert.

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Or avant que de faire fin je cuide qu’il ne sera point hors de pro­pos de dire quelque chose en pas­sant de l’ordre et dis­po­si­tion que j’ai ob­ser­vée en la com­po­si­tion de ce trai­té. Dès l’en­trée il de­meure clair que c’est un de­vis fa­mi­lier en forme de dia­logue entre Jésus-Christ et son Église, par le­quel ils se bien­veignent l’un l’autre d’une fa­çon mer­veil­leu­se­ment pri­vée, et pleine d’une grande et vé­hé­mente affec­tion. Il y a tou­jours [p. 32] deux Son­nets qui se regardent l’un l’autre com­men­çant par un même mot, qui sont au lieu des pro­pos et ré­ponse qui s’entre-suivent en un Dia­logue. La ma­tière qui y est con­te­nue nous montre quel est Jésus-Christ, en tant qu’il a été don­né du Père pour être Ré­demp­teur éter­nel du genre hu­main, et quelles grâces excel­lentes Dieu com­mu­nique à son Église par son moyen. Les prin­ci­paux points re­marquent prin­ci­pa­le­ment la chute de l’homme de sa jus­tice ori­gi­nelle, la cause effi­ciente de son sa­lut, par la­quelle il a été res­ti­tué en l’es­pé­rance de la vie éter­nelle. Il montre puis après comme Jésus-Christ est toute la ma­tière du salut des hommes. Et puis j’ajoute le moyen par le­quel ce saint sa­lut est avan­cé par ice­lui Jésus-Christ. Sur ce point je parle fort au long de sa nais­sance, mort, sé­pul­ture, ré­sur­rec­tion, ascen­sion et der­nier ju­ge­ment de Jésus-Christ le fils de Dieu. Il est vrai qu’entre tous ces points-là j’en­tre­lace quelques Son­nets qui ne con­tiennent autre chose que pro­pos et de­vis fort pri­vés et fa­mi­liers entre Jésus-Christ et l’Église, qui dé­montrent l’ar­dente amour et affec­tion qu’ils se portent l’un à l’autre, sui­vant les traces de Sa­lo­mon. Et qui plus est font preuve cer­taine des fruits et pro­fits qui nous re­viennent, de ce que Christ a fait pour nous. On y pour­ra trou­ver plu­sieurs Son­nets qui ne traitent qu’une même chose, mais di­ver­se­ment [p. 33] néan­moins, à cause de quoi, ayant égard que la di­ver­si­té est agré­able, même en choses de sem­blable na­ture, je ne les ai point vou­lu rayer, ému aus­si d’ail­leurs, c’est assa­voir, qu’il est bien per­mis aux poètes, de s’élar­gir ain­si en cette fa­çon d’écrire, et par di­verses fa­çons de par­ler expri­mer une même chose : ce que même le susdit Sa­lo­mon a fait en son Can­tique des Can­tiques. Et cela soit dit briè­ve­ment de l’ordre que j’ai ob­ser­vé en la com­po­si­tion de ce li­vret, en la­quelle je n’ai rien cher­ché, ni ne cherche en­core à pré­sent que la com­mune édi­fi­ca­tion de l’Église, don­nant quelque hon­nête plai­sir et ré­créa­tion, joint avec quelque ins­truc­tion et con­so­la­tion, aux esprits des gens de bien, jà fa­ti­gués et tra­vail­lés de la con­ti­nuelle lec­ture des choses plus graves.

[R]

On me dira in­con­ti­nent qu’il y a bien d’autres moyens, qui sont dix mille fois plus propres pour pro­fiter à l’Église de Dieu. Ce que je con­fesse fran­che­ment : mais comme de vrai il n’est pas le plus utile de tous ceux que l’on pour­rait bien mettre en avant, pour être en­ve­lop­pé de beau­coup de fa­çons de par­ler fi­gu­rées, aux­quelles le vul­gaire simple n’en­tend que le haut Alle­mand (ain­si que porte le pro­verbe) aussi n’est-il pas vide de toute uti­li­té. Mais en tout cas je n’en fais pas ma prin­ci­pale étude ou pro­fes­sion, et puis bien dire sans men­tir, que j’ai été ame­né [p. 34] comme par force à com­po­ser et écrire ces vers, alors que la ri­gueur du temps ne me per­met­tait de m’em­ployer à choses meil­leures. Car l’an mil cinq cent soixante-huit et soixante-neuf, qu’à cause des troubles de notre France, j’étais con­traint de me te­nir coi en lieu ser­ré et à l’écart, où j’étais pri­vé de la pré­sence de mes plus fa­mi­liers amis, et avec ce de mon étude, il me prit en­vie de m’em­ployer à ce genre d’écrire, au­quel tou­te­fois je ne m’étais exer­cé il y avait jà dix ans pas­sés, ni en tout ni en par­tie, jusques à n’avoir écrit un seul vers, que je sache, en tout ce temps-là. Et com­bien que du com­mence­ment le but de mon in­ten­tion ne fût autre, que de pas­ser ce temps fâ­cheux avec moins de dif­fi­cul­té, m’adon­nant à quelque hon­nête exer­cice, qui m’appor­tât quelque agréable plai­sir, au mi­lieu de tant d’en­nuis que j’étais con­traint de dé­vo­rer : et que je pusse en ce fai­sant par quelques saintes mé­di­ta­tions louer notre Dieu sou­ve­rain et tout bon, en par­ti­cu­lier, puisque je ne pou­vais pu­bli­que­ment, si est-ce qu’en­fin voyant un assez bon nombre de Son­nets que ce temps m’avait arra­chés, il me prit en­vie d’en choi­sir quelques-uns d’entre ceux qui me ve­naient le plus à gré, afin de les trans­crire à part. Or après les avoir com­mu­ni­qués à quelques-uns de mes amis, qui m’en ren­dirent beau­coup meil­leur té­moi­gnage que je n’eusse osé [p. 35] espé­rer, je me dé­li­bé­rai de leur faire voir la lu­mière : mais sur le point que je les devais dé­li­vrer à l’Im­pri­meur, le même temps fâ­cheux et tur­bu­lent qui pre­mière­ment me les avait fait con­ce­voir, m’em­pêcha lors de les en­fan­ter, étant con­traint à toute extré­mi­té de sor­tir hors notre Royaume. Et mes Son­nets que je n’eus moyen d’em­por­ter furent adju­gés et mis au feu, voire par quelques-uns de mes amis, non pour aucune chose qui leur dé­plût en iceux, mais éton­nés de la tem­pête qui écla­tait de toutes parts, et ayant extrê­me­ment peur d’être trou­vés sai­sis d’au­cunes écri­tures qui m’appar­tinssent. Ce qui leur fit brû­ler aus­si plu­sieurs autres écrits en prose, des­quels il ne m’est rien res­té. Par ce moyen je per­dis toute espé­rance de pou­voir ja­mais recou­vrer les sus­dits Son­nets, et n’y pen­sais plus que bien peu, lorsque après la tem­pête accoi­sée, re­cher­chant par­mi les pa­piers qui m’étaient res­tés du nau­frage, je mis la main sur le brouil­lis qui en avait été con­ser­vé par mé­garde, et comme une chose inu­tile. Toutefois je l’aban­don­nai là, tout dé­goû­té de le trans­crire, étant lors em­pê­ché à choses meil­leures, et qui con­viennent de plus près avec ma pro­fes­sion, qui m’est chère sur toutes choses, quand étant pri­vé­ment ren­fer­mé avec quelques-uns de mes amis, il y aura un an au mois de dé­cembre qui vient, l’un d’eux me fit en­tendre [p. 36] qu’il avait ouï par­ler de mes Son­nets, à quel­qu’un qui les avait lus, et au ju­ge­ment du­quel à bon droit je dé­fère beau­coup, qui lui en avait ren­du fort ho­no­rable té­moi­gnage, et dès lors je fus exci­té, et par eux-mêmes à peu près per­sua­dé de les mettre des­sus la presse, si ain­si était que le moyen m’en fût ren­du quelque fois, qui pour lors m’était dé­nié. Mais l’occa­sion ne s’en était point du de­puis offerte jusques à ce jour, que nos mi­sères et ca­la­mi­tés tant et tant sou­vent redou­blées, (et aux­quelles de tout mon cœur je souhaite une heu­reuse fin à la gloire de ce grand Dieu, au sa­lut de sa pauvre Église, et au re­pos de notre France) m’en pré­sentent dere­chef le moyen. En atten­dant donc quelque bonne issue à ces troubles pré­sents par quelque paix bien assu­rée, j’ai trans­crit ces vers pour les pré­sen­ter en pu­blic par le moyen de l’im­pres­sion, pour n’être vu dé­battre trop opi­niâ­tre­ment à l’en­contre de mes amis, sans dé­fé­rer de rien à leur ju­ge­ment, ni con­des­cendre en quelque sorte à leurs de­mandes. Il y a cela d’avan­tage, c’est que je sais que la jeu­nesse qui a tant soit peu goû­té la dou­ceur des lettres, est ordi­nai­re­ment cha­touil­lée d’un dé­sir de poé­sie, soit Grecque, La­tine, ou fran­çaise. Mais ce mal­heur est en la France, qu’il y a peu de ceux qui se sont exer­cés en cet art, (qui de soi saint et vrai­ment vé­né­rable, ne mé­rite point d’être pro­fa­né, ou au­tre­ment iré- [p. 37] vé­rem­ment trai­té) qui n’aient souil­lé et noir­ci sa blan­cheur de l’encre de leurs plumes las­cives. Ain­si la jeu­nesse peu caute, est ordi­nai­re­ment amor­cée par la lec­ture de tels poèmes, à choses sales et immondes, et du tout in­dignes de la Chré­tien­té. Pour­tant ai-je pen­sé que ce pe­tit trai­té, pour le moins en pour­ra con­ten­ter quelques-uns de ceux qui ont le cœur plus chaste, et qui ché­rissent de plus près cette blanche pu­di­ci­té, et en les con­ten­tant les re­ti­rer aus­si du dan­ger où ils se pré­ci­pitent, en fai­sant voile sur le large d’une si dan­ge­reuse mer, sans être mu­nis du com­pas d’une dis­crète pu­di­ci­té. Voi­là, ami Lec­teur, ce qui m’a ému de lais­ser sor­tir ces miens vers à la lu­mière de notre jour. Je prie le Sei­gneur, qu’il vous fasse la grâce d’en re­cueil­lir le plai­sir et pro­fit que je dé­sire, ou qu’il con­naît propre pour sa gloire et pour votre édi­fi­ca­tion. Bien vous soit.

[R]

De l’Éternel le bien
De moi le mal, ou rien.

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[R]
Sur les Sonnets Chrétiens de Marin
Le Saulx du Saussé.

Ores en ce siècle où nous sommes,

On voit que la plupart des hommes
Ne caresse plus la vertu,
Ains chacun s’égare et fourvoie,
Et peu sont que tenir l’on voie
Le chemin qui est peu battu.

Même les plus gentils Poètes,
Ont rendu leurs lyres infectes,
Des fredons de leurs sales vers,
Et ne sonnent leurs cordes molles
Autres chansons que d’amours folles,
Qui corrompent tout l’univers.

Mais toi d’une plus sainte veine,
Doux Saussé, tu fais mont et plaine
Retentir d’un chant gracieux,
Qui n’a rien de sale ou d’immonde,
Mais qui de sa douce faconde
Ravit nos âmes sur les cieux.

L’Union et douce concorde
Qui le ciel à la terre accorde,
Est le sujet qu’as entrepris,
Qui le Christ le Prince de vie,
Aux élus saintement marie,
Digne sujet des bons esprits.

Par P. D. L.

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En ligne le 09/10/05.
Dernière révision le 01/03/25.