Comte de Laval, de Monfort, de Haucourt, etc. Baron de Vitré, de Rochefort, etc. son très-honoré Seigneur Marin Le Saulx : Salut.
MON Seigneur, encore que Dieu vous ait fait la grâce d’être né, tant du côté paternel que maternel, de deux des plus grandes et plus illustres maisons de France : si est-ce que j’ose bien dire que l’excellence de vos rares vertus, et surtout de votre constance, à maintenir contre tant et tant de difficultés, le pur et saint service de sa majesté, à plus haut publie votre nom, tant au pays de votre naissance, que jusqu’aux entrailles des Royaumes étrangers, que n’a fait toute la grandeur de votre si ancienne maison : et vraiment en votre personne on peut droitement remarquer l’immuable vérité de notre Dieu souverain, qui promet de continuer son alliance des pères aux enfants, vous ayant laissé héritier, non tant des grandes et riches possessions de vos prédécesseurs, que de leur saint zèle et constance invincible : et entre tous de mon Seigneur votre père qui s’est rendu immortel à la postérité, par cette sienne tant sainte et ardente affection, à maintenir le bon nom et l’honneur du Dieu vivant. Ce qui fait [p. 4] que hardiment je m’adresse maintenant à vous, avec ce mien petit livret, encore qu’au reste je n’aie jamais eu cet honneur de vous voir, pour vous offrir tout humble service que peut un homme de ma condition : non tant assuré de la suffisance de ce que je présente, que de votre bonté accoutumée, qui comme j’espère prendra de bonne part, plutôt ma bonne affection que ce que je présente, pour être beaucoup au-dessous de ce que bien vous méritez. Car mon intention a été, Mon Seigneur, de vous faire entendre combien je m’estime votre obligé pour les grâces excellentes dont l’Éternel vous a orné, et combien je désire uniquement de vous pouvoir faire quelque humble service à l’avenir : si tant est que tout petit que je suis, il vous plaise me commander, et que je puisse en quelque chose répondre à ce que vous pourriez demander de moi. J’ai davantage désiré de soulager et recréer aucunement votre esprit, qui quelquefois se peut trouver ennuyé, pour être si assiduellement retenu par la lecture des Auteurs et sciences plus graves, en vous présentant des vers Français nullement éloignés de votre principale profession, qui est la piété et la justice. Si je ne suis point déçu de mon intention, je m’estimerai très étroitement obligé pour ce regard, d’en rendre grâces à Dieu. Auquel je supplie, Mon Seigneur, vous maintenir en sa garde, et faire prospérer de plus en plus la grandeur de votre maison en toutes sortes de bénédictions spirituelles et temporelles. De Londres ce 29e d’Août 1577.
S’Il y a quelques-uns qui reprennent cette façon d’écrire dont j’ai usé en ce Dialogue de l’Église et de Jésus-Christ, il ne m’arrivera rien de nouveau, et que je n’aie bien prévu, voire dès le commencement. Car dès lors que je mis la main à la plume pour composer ce petit traité, je me promis d’avoir à faire à deux sortes de gens spécialement qui ne failliraient point à me condamner. Les uns pour être d’un naturel tant chagrin et si difficile, qu’ils ne peuvent rien trouver bon, s’il ne part de leur propre main : les autres pour n’atteindre pas mon but ni mon intention. Or comme j’estime m’être loisible de mépriser hardiment les premiers, avec leur jugement pervers : aussi d’autre part ai-je pensé, avant que de laisser sortir ce petit livret en lumière, pour être communiqué au public, que je devais user de quelque préface, qui pût contenter, si non du tout, pour le moins en quelque partie les autres, qui sans cela pourraient bien trop facilement s’offenser. Et [p. 6] d’autant que je me doute qu’ils se pourront achopper à deux choses principalement, je tâcherai d’autant plutôt aussi de leur en lever toute juste occasion. Car pourvu qu’ils prennent en paiement, ce qui est fondé sur ce roc immuable de l’éternelle parole de Dieu, et de l’invincible raison, je me promets bien tant de leur sincérité et bonté, qu’ayant le tout examiné et éprouvé sur cette touche, ils se tiendront pour satisfaits.
Or pour parler du premier point, difficilement trouveront-ils bon, que sous le voile d’un mariage charnel, j’aie voulu comme envelopper cette conjonction spirituelle et vraiment céleste de Jésus-Christ et de l’Église, du lien étroit de laquelle, sont liées et serrées de près toutes les vertus les plus belles, toutes les grâces les plus rares, et tous les dons les plus exquis, dont cette Église est enrichie, de la seule grâce et libéralité de son Christ, son loyal époux. Et pour le second quand je leur aurai satisfait sur ce point, leur ayant clairement montré, que je n’ai rien fait indigne de Chrétien en cette mienne comparaison, pour le moins répliqueront-ils, que j’ai décrit ce mariage d’une façon par trop charnelle, et non guère éloignée, à leur avis, de quelque orde lasciveté. À tant après avoir montré qu’il n’y a rien au premier point, qui soit aliène ou étrange de la gravité des Écritures saintes, desquelles j’ai suivi la trace et le [p. 7] chemin plus aplani, il me restera de faire connaître, qu’il n’y a en tout ce Discours aucune chose qui soit lascive, ni approchante seulement d’aucune ordure ou lasciveté : pourvu qu’elle soit bien entendue et rapportée à son droit but.
Pour le regard donc de la comparaison que je fais du mariage spirituel de l’Église et de Jésus-Christ, avec le mariage charnel qui se traite ici parmi nous entre le mari et la femme, il n’y a certes rien tant commun en toute l’Écriture sainte. Et puis bien justement affirmer, qu’il n’y a point ou peu d’Auteurs entre les écrivains Sacrés, qui aient traité cette matière, qui n’aient usé pour l’éclaircir de cette même comparaison. Salomon qui l’un des premiers s’est égayé en cet argument, a poursuivi fort amplement cette même similitude, au livre que par excellence il nomme le Cantique des Cantiques, duquel j’ai pris quasi de mot à mot, la plupart de ce qui est contenu en tout ce mien petit traité, voire et cela qui en apparence semble approcher de plus près de lasciveté. Là le susdit Salomon sous la figure d’un chaste mariage, déduit par allégories ou paraboles, mais très clairement néanmoins, la très-étroite conjonction de Jésus-Christ avec l’Église, laquelle il a de tout temps choisie pour lui être épouse sainte et chaste, voire perpétuellement. Là ce [p. 8] même Auteur par ses écrits délecte élégamment les oreilles des auditeurs, de la douceur des devis gracieux, et de vrai saintement amoureux, d’entre le vrai Salomon Roi de paix notre Seigneur Jésus-Christ, et de son épouse sainte et chaste, l’Église vraiment Chrétienne. Là il fait voir à l’œil aussi les familières privautés, et néanmoins spirituelles et pudiques, par lesquelles on peut connaître l’ardente charité et dilection de l’époux envers son épouse. Là puis après d’autre côté un chacun peut bien contempler l’affection véhémente et ardente de cette même chaste épouse, et comme elle est saintement ravie en la contemplation de la bonté gratuite de son époux, et des grâces singulières, desquelles par son moyen seul elle jouit un chacun jour. Là finalement, dis-je, on peut aisément remarquer le désir ardent qui chastement embrase le cœur de cette sainte et pudique épouse, d’une affection extrêmement grande qu’elle a d’être de plus en plus insinuée en l’amour de son divin époux, et de n’être jamais repoussée pour aucune tache ou macule qui se puisse trouver en elle. Après ce docte et sage Salomon, l’Auteur du Psaume 45 a traité ce même argument sous la même similitude, façonnant un chant nuptial de Jésus-Christ et de son Église sous la figure de quelque mariage charnel. Ésaïe qui le suit après, sous cette même [p. 9] couverture a voilé aucunement ce même mariage spirituel et divin de Jésus-Christ avec l’Église. Ézéchiel ne s’est point éloigné de la même similitude, ains l’a poursuivie fort au long au livre de sa Prophétie, chap. 16, bien que ç’ait été diversement : car son but n’était pas comme à Salomon, de célébrer par un cantique cette étroite conjonction de Christ avec sa sainte épouse, ains de montrer tout au contraire, l’ingratitude étrangement vilaine de l’Église ancienne envers son Dieu, qui après avoir de lui reçu une infinité de bénéfices s’en était néanmoins départie pour adorer les dieux étranges. Ce qui est clairement exposé par le susdit Prophète sous la figure et ressemblance d’un mariage charnel, tel que l’on voit entre les hommes. Ozée non plus ne l’a point trouvée de mauvaise grâce, ains l’a saintement appropriée en traitant de cette même matière, à la déduction de son propos. L’Apôtre Saint Paul entre les Auteurs du nouveau Testament, a tiré à soi cette similitude, comme très-propre à la matière qu’il traitait de la conjonction spirituelle de Jésus-Christ et de l’Église. Et pour faire fin de mettre en compte les Auteurs qui se sont exercés en ce même genre d’écrire, Saint Jean l’Évangéliste, lequel a écrit le dernier de tous nos écrivains Sacrés : au livre de l’Apocalypse chapitre 19 fait droitement ressembler Jésus-Christ [p. 10] l’agneau sans macule, à un époux qui célèbre le jour de ses noces au ciel avec l’Église son épouse, qui s’est ornée et reparée de crêpe très-pur et luisant, qui sont, comme lui même expose, les justifications des saints, pour lui être présentée puis après sainte, chaste et sans aucune corruption. Si tant et tant d’Auteurs divins, tous organes du Saint-Esprit, n’ont fait aucune difficulté, de décrire sous la figure d’un mariage charnel et terrestre, l’étroite et sainte conjonction de Jésus-Christ avec l’Église : nul, ce me semble, ne me pourra justement condamner, d’avoir ainsi traité cet argument, usant de leur façon d’écrire : s’il ne veut quant et quant condamner les graves Auteurs de notre sainte Bible, et en leurs personnes aussi le Saint-Esprit qui est Dieu immortel, ce qui ne serait certes sans blasphème. Or quand nous n’aurions aucuns Auteurs qui nous eussent aplani ce chemin, si est-ce toutefois qu’ayant la seule raison pour guide, nous le pouvons assurément entreprendre, sans crainte de nous égarer.
Car comme il n’y a rien plus étroit entre toutes les choses célestes que le mariage de Christ et de l’Église son épouse (excepté toujours la conjonction de l’union des trois personnes en l’unité de l’essence de Dieu) aussi n’y a-t-il rien entre toutes les choses terrestres, ni plus étroit, ni plus conjoint, que l’alliance de l’homme et de la [p. 11] femme, laquelle se fait par le lien d’un juste et chaste mariage. Et tout ainsi que cette est la première conjonction d’entre tous les hommes mortels, mère et surgeon de toutes les autres, comme celle de laquelle seule elles prennent toutes leur origine, aussi le mariage spirituel de l’Église avec Jésus-Christ, est la conjonction première du Dieu vivant avec les hommes, et de laquelle sont déduites puis après toutes les conjonctions spirituelles et divines, comme les ruisseaux de leur source. C’est par le moyen de cette si étroite conjonction que tous les fidèles sont engendrés de Dieu au giron fertile de l’Église, qui fait la communion de tous les saints, en laquelle nous avons tous un seul et même Dieu, pour père, lequel nous tient pour ses enfants. En cette même communion nous avons un seul Christ pour chef, pour frère et pour époux aussi, et en lui seul nous sommes frères, et tous cohéritiers du Ciel. En elle même nous avons un même Saint-Esprit pour vie, dont il advient que tous ensemble ne faisons qu’un seul corps divin, qui a un même chef en Christ. Et comme le lien du mariage charnel n’en peut joindre que deux à la fois, savoir est le légitime mari avec sa légitime femme, qui ne peut jamais avoir aucune légitime conjonction de mariage avec un tiers, aussi à vrai dire le lien de la conjonction de Jésus-Christ avec l’Église, ne peut jamais admettre un tiers. [p. 12] Et l’Église conjointe à Christ ne se peut joindre avec un tiers, sans polluer son mariage et commettre un vilain adultère, vilain je dis, voire d’autant plus, qu’il est spirituel et non charnel. Car comme il n’y a qu’un époux qui est Jésus-Christ immortel, aussi n’y a-t-il qu’une épouse l’Église sainte Chrétienne et Catholique, c’est à dire épandue parmi tout ce grand univers. Tout ainsi aussi qu’en ce mariage charnel le mari est chef de la femme, au pouvoir duquel elle est assujettie de Dieu, aussi Christ est chef de l’Église, qui lui donne vie et vigueur, de la parole et conduite duquel seul elle doit dépendre, pour saintement s’assujettir à tout ce qu’il voudra commander. Comme encor la conjonction du mari avec la femme est liée d’un lien si étroit, qu’il est du tout indissoluble sinon par mort ou adultère, ainsi aussi est-il de la conjonction divine de Christ et de son épouse l’Église, cent mille millions de fois trop plus étroitement conjointe, qu’aucune autre qui se puisse jamais contracter entre tous les hommes mortels. Car aussi ne la peut-on dissoudre sinon par l’adultère d’Apostasie et défection de Dieu aux idoles, tel ou semblable que celui qu’a commis ce détestable Mahomet, et tous ceux-là qui de son temps abandonnèrent Jésus-Christ pour suivre son apostasie. Ce qui se doit entendre du corps de l’Église en commun, et [p. 13] non pas des particuliers, chacun desquels se peut bien séparer de Christ par mille et mille autres façons répugnantes à sa volonté. Et comme par le mariage charnel du mari avec son épouse, il y a une telle conjonction et communauté de tous biens, que tout ce que l’un ou l’autre des parties a de commodités ou incommodités, aux biens, au corps, ou en l’esprit, chacun le peut bien dire sien : aussi véritablement en ce mariage de Jésus-Christ avec l’Église il y a une telle conjonction et communion de toutes choses, que comme Christ peut justement appeler toutes nos incommodités siennes (qui est tout ce que nous avons apporté de notre part pour être confondu en la communauté) aussi pouvons-nous appeler nôtre, tout ce que Christ a reçu du ciel, sa justice, et sainteté, sa vie et immortalité. Au surplus tout ainsi qu’il ne peut arriver rien de plus grave en un saint et chaste mariage, que quand l’épouse se débauche, pour rendre son lit impur et sale, en le communiquant à d’autres qu’à son légitime mari, aussi ne peut-il arriver rien de plus grave que cela même entre Jésus-Christ et l’Église. Comme aussi bon mari supporte, voire avec une grande douceur mille et mille imperfections en sa femme, pourvu qu’au reste elle lui réserve son lit pudique et impolu, ainsi aussi si nous faisons comparaison entre les imperfections qui se peuvent trouver en [p. 14] l’Église, et le crime d’Apostasie et défection du vrai Dieu, aux dieux étranges, quoique les uns et les autres soient abominables devant les yeux de celui qui est la même pureté : si est-ce toutefois que Jésus-Christ, le parangon de toute douceur, supporte beaucoup plutôt et plus facilement les autres péchés de l’Église, qu’il lave et nettoie de son sang, qu’il ne fait pas ce crime horrible, par lequel l’Église se retirant de lui, se débauche à la façon des putains effrontées, après le bois et la pierre, l’or, l’argent, le cuivre et l’airain : ou bien après tous ces faux dieux qui n’ont point fait ni ciel ni terre. Car cela certes advenant, Christ est ému d’un juste courroux, et provoqué à jalousie, et dont finalement s’ensuit, si l’épouse ne se repent, le divorce et entière séparation. Et comme encor les enfants procréés d’un légitime mariage, sont faits héritiers en commun de l’une et de l’autre des parties : de même aussi tous les fidèles engendrés de ce mariage de Jésus-Christ avec l’Église, sont véritablement héritiers tant de lui que de son épouse, et de tout ce qui leur appartient soit en terre ou là-sus aux cieux. Pour faire fin, tout ainsi que le fondement d’un droit et juste mariage est cet amour et mutuelle dilection de l’une et l’autre des parties, qui embrase chastement leurs cœurs, d’un feu qui doucement les brûle, sans aucune impudique passion : ainsi aussi certainement [p. 15] cette mutuelle dilection et réciproque charité de Jésus-Christ et de l’Église, est le fondement ferme de leur mariage, et tant étroite conjonction. C’est ce qui fait que l’époux et l’épouse aussi jouissent heureusement l’un de l’autre avec dix mille privautés. C’est aussi de la même source que procèdent toutes ces pudiques caresses, tous ces doux et plaisants devis d’entre Jésus-Christ et l’Église, dont Salomon fait mention. Tous lesquels à la vérité se doivent prendre et interpréter d’une façon du tout céleste et vraiment spirituelle, telle qu’est ce mariage céleste duquel nous parlons maintenant, comme nous montrerons cela ci-dessous beaucoup plus clairement, Dieu aidant. Voilà Pourquoi le Saint-Esprit au livre des Écritures saintes, n’a fait aucune difficulté de nous exposer l’un par l’autre, qui certes ne voit rien d’impur au mariage charnel qu’il a lui-même institué, et qui ne puisse convenir avec le mariage spirituel de Christ et de son Église.
Je confesserai volontiers qu’en la corruption en laquelle nous sommes à présent, il est fort difficile, voire et qui plus est impossible, de trouver un mariage si saint, si chaste, si beau, et si pur, qu’il n’y ait du tout que redire. Mais l’esprit de Dieu lequel n’a point les yeux charnels, pour regarder à la façon des hommes, pénètre bien plus avant que nous ne faisons pas, se présentant [p. 16] en dictant ces choses, non un mariage souillé d’une infinité de pollutions procédantes de notre propre corruption, qui seules noircissent la blancheur et pureté d’icelui, mais un plutôt, éloigné de toute pollution : et du tout tel qu’il eût été entre les hommes s’ils fussent demeurés au droit de leur première condition. Car c’est chose bien assurée que si Adam eût pu longuement posséder la félicité excellente en laquelle il avait été constitué, et tant, dis-je, et si longuement, qu’il eût pu jouir, lui innocent de la femme innocente, et d’elle engendrer des enfants doués d’une même innocence, c’est chose vraie et bien certaine qu’il eût expérimenté une bien plus grande douceur du mariage, en toute chasteté néanmoins, que nous ne faisons pas maintenant. Il y eût eu entre lui et sa femme une perpétuelle paix, et qui n’eût jamais pu être entrerompue par quelque cuisant chagrin de l’une et l’autre des parties. Ils eussent pu mutuellement sentir le feu et les plus vives étincelles d’un amour chaste et bien réglé, retenus cependant en leurs bornes. Ils eussent joui des effets d’une pudique volupté, et sans aucun débordement. Ils eussent cueilli l’un et l’autre les fruits de leurs chastes amours, sans être aucunement troublés de nos aveugles passions. Et si n’eussent été privés des devis et propos gracieux, des baisers et embrassements propres aux [p. 17] chastes mariages, du tout confits en la douceur d’une tempérée affection, qui n’eût outrepassé la borne d’une sainte pudicité. Voilà proprement le mariage sous la figure duquel le Saint-Esprit nous veut faire contempler celui de Christ et de l’Église, qui est de tous points accompli.
Et ne faut jà émerveiller s’il nous est maintenant difficile, ou pour dire mieux impossible, de représenter aux yeux de notre frêle entendement, un tel et si saint mariage, qui n’en avons jamais rien expérimenté. Car en cette corruption en laquelle nous sommes, il n’y a rien si saint qui ne soit par nous profané, rien si juste qui ne soit corrompu, et rien si net qui ne soit souillé. Même les affections naturelles qui naissent et croissent avec nous, sont en quelque sorte souillées du venin de notre intempérance et déréglé débordement. De là advient que nous ne pouvons craindre, désirer, espérer, haïr ou aimer aucune chose, que toutes ces passions-là, quoique toutes soient naturelles, ne tirent de nous quelque tache d’intempérance, et deviennent souillées par ce moyen, qui fussent néanmoins demeurées en leur première pureté en Adam saint et innocent. Ce qui se voit en Jésus-Christ, qui a eu telles passions sans aucun péché néanmoins, pour n’avoir point outrepassé l’étroite borne de cette égale tempérance. Or quand il est question de considérer [p. 18] le mariage de Dieu vivant avec l’Église, il nous faut sortir hors de nous, pour monter jusque dans le ciel. Quand il est question de le nous représenter voilé du voile de quelque mariage charnel, alors nous faut-il représenter un mariage, non tel qu’il est pour le présent immonde, impur, et imparfait, mais tel qu’il eût vraiment été, si l’homme innocent fût demeuré en sa justice originelle. Alors nous n’y trouverons rien qui ne soit saint, qui ne soit chaste, et qui ne soit bien convenant au mariage spirituel de l’Église et de Jésus-Christ. Et ceci soit dit quant au premier point.
Que si quelqu’un réplique maintenant que je me suis éloigné, en la façon d’écrire que j’ai suivie, de la modestie et tempérance, que l’on peut aisément remarquer en un tel chaste mariage que j’ai dépeint ici-dessus, j’ai à répondre en un seul mot, que l’on pourrait faire un tel sinistre jugement de Salomon en son Cantique, si le Saint-Esprit ne lui avait rendu du ciel un témoignage tout contraire. Si donc en décrivant choses spirituelles et célestes, il s’est aucunement accommodé au sens charnel et imparfait de l’homme, pour déclarer choses si hautes, si divines, et si très-saintes, en la manière des choses même que l’on voit au sens et à l’œil, et qui adviennent chacun jour entre ceux-là qui sont conjoints par le lien de ma- [p. 19] riage, et n’en est justement repris : pourquoi trouvera quelqu’un étrange, que j’aie suivi en cet endroit ses traces si souvent battues par tous les écrivains Sacrés, voilant comme eux de quelque allégorie, ce qui en vers aurait mauvaise grâce, s’il était exprimé d’une façon simple et sans figure ? Puisque le Saint-Esprit use souvent de cette façon d’enseigner partout aux Écritures saintes, pour l’instruction des fidèles, qui est-ce qui trouvera mauvais, que nous la rapportions nous-mêmes au commun profit de l’Église, pour laquelle j’ai entrepris d’écrire ce petit traité ? J’eusse coté en marge les passages desquels j’ai tiré ce discours, mais d’autant que le livre des Cantiques de Salomon est fort bref, il est aisé sans cela, de remarquer en le lisant l’endroit de la si vive source, dont sont découlés ces ruisseaux. Car quant aux autres passages de l’Écriture sainte, que j’eusse pu aussi coter, d’autant qu’en iceux il n’y a point de difficulté, je m’en suis moins donné de peine. Il reste donc tant seulement de m’acquitter de la promesse que j’ai ci-dessus avancée, de faire voir au doigt et à l’œil, qu’il n’y a en tous ces Sonnets aucune chose qui soit lascive, ou approchante de lasciveté, d’autant que ce qui en a quelque apparence, doit être entendu par allégorie d’une façon spirituelle, et convenante à Jésus-Christ esprit et vrai Dieu immortel.
[p. 20] Voici donc ce qui peut sembler à quelques-uns approcher de trop près de la vanité des Poètes profanes, et d’autant aussi s’éloigner de la vénérable gravité qui partout apparaît si claire aux livres des Écritures saintes : c’est que tantôt par la bouche de Christ, tantôt par celle de l’Église, je fais hautement éventer la gloire et plus riche beauté des membres, qui non seulement conviennent à un corps humain : mais qui peuvent servir d’amorce pour aviver les étincelles de l’amour lascif, ou pudique, au cœur des plus sévères Catons. Ce qui fait que par-ci par-là, on rencontre si souvent en lisant ces Sonnets : cette perruque noire [← sonnet 131], ces cheveux d’or frisés [← sonnet 149], ce front d’ivoire [← sonnet 131], ces yeux flamboyants [← sonnet 149], ces lèvres de lis [← sonnet 131], ou de corail, ces doigts d’albâtre, ces jambes de marbre [← sonnet 169], et mille autres façons de parler semblables. On ne trouvera moins étrange, que j’aie enrichi puis après, tous ces membres-là, (déjà, selon leur jugement mieux polis, et plus joliment façonnés, qu’il n’appartient à la modestie Chrétienne) de vêtements mollets de pourpre [← sonnet 51] et d’écarlate, ou d’ornements d’or reluisants, d’anneaux riches et précieux, enrichis encore de perles, de rubis, de balais, de saphirs, opales, émeraudes et autres pierres précieuses. Et surtout que j’aie fait mention de lit [← sonnet 199], de couche [← sonnet 137], de baisers [← sonnet 189] et d’embrassements [← sonnet 22, sonnet 42]. Ce qui semble moins convenir à cette sainte [p. 21] sévérité, que l’on peut aisément remarquer aux livres de notre sainte Bible. À cela je dis pour réponse, que toutes ces mêmes descriptions, tant de membres corporels, d’atours précieux et exquis, que ces privautés si grandes, se peuvent trouver attribuées, soit à Christ, ou bien à l’Église, par les Auteurs sus-allégués, que j’appelle de garantie. Car aussi sont-ils suffisants pour me décharger du blâme que l’on me voudrait imposer en cet endroit, avec le témoignage grave desquels j’ajoute une brève exposition de toutes ces choses que j’ai décrites ci-dessous, par laquelle je montrerai plus qu’assez clairement à tous, que sous le manteau de ces choses charnelles et terrestres, il nous faut chercher et comprendre choses du tout spirituelles et célestes.
Sous le nom donques de l’époux, il nous faut entendre, comme j’ai jà dit ci-dessus, Jésus-Christ le Saint fils de Dieu, lequel se donne un même nom dedans l’histoire Évangélique. Par celui de l’épouse Christine, est entendue l’Église Chrétienne qui par Foi est conjointe à son Christ. Les compagnons de cet époux que j’appelle quelquefois fils de Juda, sont les prophètes et Apôtres, les Pasteurs et Docteurs de l’Église. Les compagnes de l’épouse desquelles je parle aussi en quelques Sonnets, sont le surplus des vrais fidèles qui suivent l’Église [p. 22] et sa foi. Si quelquefois je parle du chef de Jésus-Christ, je le considère en deux sortes, tantôt au regard de lui seulement, tantôt au regard de l’Église. Par le chef de Christ rapporté à Christ même, j’entends sa divinité qui apparaît haut élevée par-dessus sa chair, comme le chef sur tous les autres membres. Mais si je le rapporte à l’Église, je comprends lors Jésus-Christ tout entier, vrai Dieu et homme tout ensemble, unique Médiateur du vieil et nouveau Testament, et seul chef de toute l’Église. Et puis tout ainsi que le chef donne vie et vigueur à tous les membres, qui sans cela ne seraient qu’une orde et infecte charogne : ainsi aussi à la vérité Christ est celui qui vivifie l’Église, donnant la vie à tout le corps, et à chacun des autres membres, laquelle il transmet de soi en icelle par le canal de la conjonction spirituelle qui est entre lui chef unique, et les élus qui sont ses membres, unis ensemble par le lien du Saint-Esprit. Et comme en chaque corps humain il n’y peut avoir qu’un seul chef, à qui appartient de conduire cestui corps qui lui est soumis, et lequel autrement aveugle ne se peut sinon égarer, et s’égarant précipiter : ainsi aussi véritablement, d’autant qu’il n’y a qu’un seul corps d’Église composé de tous les élus qui sont en la terre et au ciel, il n’y peut avoir qu’un seul chef non plus, auquel seul appartient de vivifier et conduire le corps [p. 23] de cette Église Catholique, et ce qu’il exécute de vrai en la vertu de son Esprit par le sceptre de sa parole. Ce chef que Jésus-Christ l’époux dit être mouillé de rosée [← sonnet 49], et de la pluie qui coule doux lorsque le Soleil est couché, sans doute nous doit faire entendre, que c’est en lui seul qu’il nous faut chercher et trouver le vrai et plaisant rafraîchissement, duquel nous sommes garantis contre l’ardeur véhémente et mortelle du péché, de la mort et de l’enfer. Et c’est de lui aussi que découle si doucement jusques à nous cette gracieuse rosée de toutes sortes de bénédictions spirituelles par la prédication de sa parole. Voilà l’occasion pourquoi l’Église s’égaie si plaisamment à rechanter en mille et mille sortes l’excellente et rare beauté du chef de son loyal époux. Ce que l’épouse puis après admire les yeux de l’époux purs, éclairants et flamboyants, par un tout seul regard desquels elle est ravie en admiration, est pour nous faire connaître la blancheur et pureté qui reluit aux jugements du Dieu vivant, qui certes sont dignes de grande louange, et admiration souveraine : et qui pour leur clarté et pureté si grande sont justement accomparés aux yeux flamboyants, ou de feu. Des yeux cette épouse descend à la face et aux joues [← sonnet 131] vermeilles de cet époux plaisant et beau, desquels encore elle célèbre la louange en diverses façons, pource que c’est un [p. 24] signe de la présence de Jésus-Christ au milieu de l’Église, à laquelle il se manifeste et donne à connaître par la prédication de l’Évangile. Une telle manifestation est à bon droit représentée par la joue, laquelle est toujours découverte, et par laquelle les hommes ont de coutume de se manifester l’un à l’autre, en découvrant leur face, et se produisant en lumière. Les bras [← sonnet 183], les doigts et les mains de Jésus-Christ sont ses œuvres admirables, très-pures et très-nettes de toute corruption, et qui par tant sont accomparées à l’ivoire blanc et poli, auquel y a une telle égale surface, qu’il est non seulement beau à voir, mais plus doux encore à toucher, n’y restant rien de raboteux ou moins aplani, non plus qu’aux ouvrages de Dieu. Par son ventre blanc et très-pur [← sonnet 193], nous entendons ses mystères et secrets plus intimes, auxquels toutefois on aperçoit une merveilleuse beauté et pureté aussi. Les jambes qui sont accomparées à des piliers de marbre [← sonnet 169], signifient la fermeté et stabilité, tant de ses œuvres, que de sa parole immuable. Les cheveux de Christ signifient l’abondance des richesses que le Père lui a conférées pour nous : où aussi la multitude des élus, qui dépendent de lui comme les cheveux de la tête. Voilà ce qui convient à l’époux, et ce que nous devons recueillir de la beauté et excellente disposition de tous les membres qui lui sont ici [p. 25] attribués. Parlons maintenant de l’épouse, qui est l’Église Chrétienne.
Or tout ainsi qu’elle a haut loué jusques ici la rare beauté qui reluit en tous les membres de l’époux, aussi de sa part ne s’est-il non plus épargné à célébrer les louanges de l’exquise beauté de sa chaste et pudique épouse, voire et d’un chacun des membres d’icelle en particulier. Il chante en premier lieu les cheveux d’or frisés de sa belle et blonde Christine [← sonnet 192, sonnet 200], qui nous représentent tous les fils de l’Église, et cette grande multitude de fidèles qui s’assemblent ordinairement en commun, pour ouïr la prédication de l’Évangile. Or ne sont-ils moins beaux ni agréables aux yeux de Christ loyal époux, que les cheveux ornés et bien agencés de quelque chaste et belle épouse aux yeux de son fidèle époux. Les yeux verdoyants de Christine [← sonnet 190, sonnet 192], desquels Jésus-Christ est épris, sont les Pasteurs et Docteurs de l’Église, qui sont la conduite d’icelle, comme les yeux du corps humain. Et comme les yeux sont en lieu éminent de la face, et apparaissent clairs et beaux par-dessus tous les autres membres, aussi font, ou du moins doivent faire les Pasteurs et Docteurs de l’Église. On les peut aussi prendre pour la Foi, qui sert de lumière et de conduite à l’Église, et par laquelle seule, comme par les yeux éclairants, elle peut contempler son Christ, son frère et son céleste [p. 26] époux. Les lèvres [← sonnet 142, sonnet 198] et la bouche [← sonnet 42] signifient, tant la prédication de l’Évangile, que les prédicateurs d’icelle. La couleur de lis signifie la pureté de cette prédication. Et celle de corail représente le zèle saintement ardent, duquel sont embrasés les fidèles Pasteurs et Docteurs. Le col ainsi blanc [← sonnet 64, sonnet 184, sonnet 194] représente les mêmes Pasteurs, par le ministère desquels la pâture de vie est comme transmise et transportée à tout le corps de l’Église, comme le boire et le manger est très-proprement transporté par le col jusques au fond de l’estomac. La netteté, blancheur et beauté admirable de l’Église tant et tant prisée par Jésus-Christ l’unique mari, est la rémission gratuite de ses péchés, l’imputation de la justice et sainteté du fils de Dieu, et puis encore cette vie nouvelle que l’Esprit de Christ commence en elle, pendant qu’elle erre en ces bas lieux, et qui enfin sera parfaite et de toutes parts accomplie au séjour de l’immortalité. Par la couleur noire nous entendons les afflictions de l’Église, à cause desquelles toutefois elle n’est de rien moins agréable à Jésus-Christ. Les baisers sont l’étroite conjonction de Christ et de l’Église. Les vêtements précieux de l’épouse signifient toutes les grâces et bénédictions desquelles elle est remplie par Jésus-Christ. Ses bagues, carcans et autres joyaux très-exquis nous représentent cela même, comme les rubis et autres pierres pré- [p. 27] cieuses, desquelles nous faisons mention. Le lit de l’épouse est le lieu où l’Église se repose (en quelque part qu’il soit) et est conjointe à Jésus-Christ, de laquelle douce et agréable conjonction spirituelle et céleste, sont procréés et spirituellement engendrés tous les fidèles et élus. La couronne de l’époux est cette grande et magnifique gloire qui lui est donnée par l’Église, lorsqu’elle met toute sa confiance en lui seul, n’attendant salut que de lui. Il est vrai que Jésus-Christ est couronné de gloire par son Père, quand il est orné et revêtu des titres de Sauveur éternel, et qu’il est par lui constitué héritier de toutes choses, le Rédempteur unique du genre humain, le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs. Mais il est aussi couronné par l’Église, quand il est d’elle reconnu pour tel, et que par son ministère la renommée de Jésus-Christ est épandue par tout le monde universel. Le coche ou litière tant de Christ que de l’Église est la doctrine des Prophètes et Apôtres, par laquelle Christ est apporté à l’Église, et l’Église reportée à Jésus-Christ. L’Église est accomparée à un Jardin [← sonnet 100, sonnet 45, sonnet 62, sonnet 162, sonnet 196] plein d’arbres, d’herbes et de fleurs odoriférantes, à cause des dons excellents dont elle est richement ornée. Elle est accomparée à la rose [← sonnet 46, sonnet 52, sonnet 54] et au lis pour leur odeur doucement suave. Les odeurs et onguents précieux sont sa renommée épandue par l’univers, et ses [p. 28] bonnes œuvres procédantes d’une vraie foi. La haie dont elle est enclose est la providence de Dieu, par laquelle il la défend et contregarde de tout danger. Le Printemps est le temps du salut de l’Église, et ses fleurs en sont les signes certains, comme les Sacrements et la parole, qui aussi est signifiée par la voix de la tourterelle. L’Hiver au contraire est le temps de la persécution, soit intérieure ou extérieure, qui aussi est représentée par la nuit, durant laquelle le Seigneur a accoutumé de se présenter à nous pour nous consoler, et chasser dix, et dix mille ténébreux épouvantements de l’âme et de la conscience, qui bien souvent nous agitent au temps de l’adversité. Par l’Ombre [← sonnet 50] nous entendons les figures et cérémonies de la Loi, qui sont nommées de ce nom partout en l’Écriture sainte. Par le désert [← sonnet 128] dont sort l’Église nous entendons, ou ce monde au regard du ciel, où elle est appelée par Jésus-Christ : ou la fausse religion au regard de la vérité, au secret et connaissance de laquelle elle est admise par icelui. Cette colonne de fumée [← sonnet 128] à laquelle elle est comparée, est pour signifier qu’elle tend et se dresse droit à Jésus-Christ son époux, de l’accès duquel elle ne peut être aucunement empêchée. Le vin, le lait, et le miel [← sonnet 200, sonnet 198] nous représentent la doctrine, qui est une viande douce, délectable et savoureuse, tant pour les grands [p. 29] que pour les petits. L’Église aussi est accomparée à la Lune [← sonnet 44, sonnet 52, sonnet 144, sonnet 154], pour signifier que tout ainsi que la Lune ne perd point sa clarté par les ténèbres de la nuit, ains est augmentée par ce moyen : aussi l’Église ne perd point sa très-excellente beauté par la nuit des afflictions. Elle est de même accomparée au Soleil et à la Lune [← sonnet 106, sonnet 194] à cause de sa pureté et splendeur très-claire. Voilà en somme le sens spirituel et céleste des choses corporelles et terrestres, qui sont ici attribuées ou à Christ ou à son Église, qui montre que tout ce Discours est fort éloigné d’intempérance ou lasciveté. S’il reste quelque chose dont je n’aie fait mention, je me promets qu’il ne donnera aucune peine au Lecteur fidèle.
Il y a aussi quelques façons de parler qui pourraient sembler dures et difficiles à entendre, si elles n’étaient éclaircies par quelque brève et facile explication. Entre lesquelles est cette-ci, que l’Éternel s’est asservi au temps [← sonnet 39], et quelques autres semblables [← sonnet 63], qui ne signifient autre chose, sinon que Christ qui est Éternel, s’est asservi au temps : mais toutefois à raison de sa chair tant seulement, et non de sa divinité, qui est franche de temps en toutes sortes. Mais par une manière de parler que les Théologiens appellent communication des propriétés, on peut dire que Dieu est né, qu’il est mort et qu’il a souffert, combien que ç’ait été seulement en la chair. [p. 30] Il est vrai que l’on dit que Dieu a souffert, est mort et a été enseveli, et non pas la divinité, ce que je confesse être bien et saintement dit, à cause de quoi on pourrait trouver dur ce qui suit après, que Christ a enfermé le fort de sa divinité, bornant aucunement de son infinité ce qu’on ne peut borner [← sonnet 68], comme si je me voulais éloigner de la doctrine saintement reçue conformément à la parole de Dieu touchant ce point, mais il le faut résoudre par la manière de parler ci-dessus notée, et attribuer le reste à la contrainte du vers. Et cependant quant au sens je ne veux signifier autre chose, sinon que Christ qui est Dieu éternel, et de sa nature infini et incompréhensible, s’est rendu comme fini et comme compréhensible en sa chair. Il est dit puis après que la chair de Christ a pris son origine du ciel [← sonnet 173], non pas pour signifier qu’il ait eu une chair d’autre nature que la nôtre (sans péché toutefois) mais seulement pour montrer qu’il a été conçu au ventre de la vierge Marie de la propre substance d’icelle, d’une autre façon néanmoins que le reste des hommes, c’est assavoir par la vertu du Saint-Esprit, sans compagnie d’homme. Je dis que Jésus-Christ a assujetti à la mort l’immortel de sa vie [← sonnet 79], d’autant qu’il était impossible qu’il fût détenu des liens de la mort, combien que je ne veuille pas nier que sa chair ne fût mortelle comme la nôtre, non pas de sa nature à [p. 31] proprement parler, mais seulement par dispensation, d’autant qu’il avait chargé sur soi notre obligation, et cette dure condition d’apaiser en notre nom l’ire de Dieu son père par sa mort. Quand je dis que la Loi enfante le tort [← sonnet 117], je n’entends autre chose que ce que dit Saint Paul aux Romains chapitre 7, « je n’ai point connu que c’est que péché, sinon par la Loi », comme aussi je l’interprète au verset suivant. Cette façon de parler peut sembler dure : Ô que d’amour divin la douceur est cruelle [← sonnet 57], mais il la faut prendre comme poétique, et est à vrai dire une façon de parler excessive, par laquelle l’Église est ravie en admiration de l’extrême bonté de Dieu, qui pour sauver l’homme pécheur, n’a point épargné son Fils innocent : en telle sorte néanmoins qu’en tout ce mystère il n’y a rien de cruel qu’on puisse attribuer au Père, puisqu’il a tellement donné son Fils à la mort, que le Fils aussi de sa part s’est franchement et volontairement offert.
Or avant que de faire fin je cuide qu’il ne sera point hors de propos de dire quelque chose en passant de l’ordre et disposition que j’ai observée en la composition de ce traité. Dès l’entrée il demeure clair que c’est un devis familier en forme de dialogue entre Jésus-Christ et son Église, par lequel ils se bienveignent l’un l’autre d’une façon merveilleusement privée, et pleine d’une grande et véhémente affection. Il y a toujours [p. 32] deux Sonnets qui se regardent l’un l’autre commençant par un même mot, qui sont au lieu des propos et réponse qui s’entre-suivent en un Dialogue. La matière qui y est contenue nous montre quel est Jésus-Christ, en tant qu’il a été donné du Père pour être Rédempteur éternel du genre humain, et quelles grâces excellentes Dieu communique à son Église par son moyen. Les principaux points remarquent principalement la chute de l’homme de sa justice originelle, la cause efficiente de son salut, par laquelle il a été restitué en l’espérance de la vie éternelle. Il montre puis après comme Jésus-Christ est toute la matière du salut des hommes. Et puis j’ajoute le moyen par lequel ce saint salut est avancé par icelui Jésus-Christ. Sur ce point je parle fort au long de sa naissance, mort, sépulture, résurrection, ascension et dernier jugement de Jésus-Christ le fils de Dieu. Il est vrai qu’entre tous ces points-là j’entrelace quelques Sonnets qui ne contiennent autre chose que propos et devis fort privés et familiers entre Jésus-Christ et l’Église, qui démontrent l’ardente amour et affection qu’ils se portent l’un à l’autre, suivant les traces de Salomon. Et qui plus est font preuve certaine des fruits et profits qui nous reviennent, de ce que Christ a fait pour nous. On y pourra trouver plusieurs Sonnets qui ne traitent qu’une même chose, mais diversement [p. 33] néanmoins, à cause de quoi, ayant égard que la diversité est agréable, même en choses de semblable nature, je ne les ai point voulu rayer, ému aussi d’ailleurs, c’est assavoir, qu’il est bien permis aux poètes, de s’élargir ainsi en cette façon d’écrire, et par diverses façons de parler exprimer une même chose : ce que même le susdit Salomon a fait en son Cantique des Cantiques. Et cela soit dit brièvement de l’ordre que j’ai observé en la composition de ce livret, en laquelle je n’ai rien cherché, ni ne cherche encore à présent que la commune édification de l’Église, donnant quelque honnête plaisir et récréation, joint avec quelque instruction et consolation, aux esprits des gens de bien, jà fatigués et travaillés de la continuelle lecture des choses plus graves.
On me
dira incontinent qu’il y a bien
d’autres moyens, qui sont dix mille fois plus propres pour
profiter à l’Église de Dieu.
Ce que je
confesse franchement : mais comme
de vrai il n’est pas le plus utile de tous ceux que
l’on pourrait bien mettre en avant, pour
être enveloppé de
beaucoup de façons de parler
figurées, auxquelles le
vulgaire simple n’entend que le haut
Allemand (ainsi que porte le proverbe) aussi
n’est-il pas vide de toute
utilité.
Mais en tout cas je
n’en fais pas ma principale
étude ou profession, et puis bien dire
sans mentir, que j’ai été
amené [p. 34]
comme par force à composer et
écrire ces vers, alors que la rigueur du temps ne
me permettait de m’employer
à choses meilleures.
Car l’an mil
cinq cent soixante-huit et soixante-neuf, qu’à
cause des troubles de notre France, j’étais
contraint de me tenir coi en lieu
serré et à l’écart,
où j’étais privé de
la présence de mes plus familiers
amis, et avec ce de mon étude, il me prit envie de
m’employer à ce genre
d’écrire, auquel
toutefois je ne m’étais
exercé il y avait jà dix ans
passés, ni en tout ni en partie, jusques
à n’avoir écrit un seul vers, que je
sache, en tout ce temps-là.
Et combien que
du commencement le but de mon
intention ne fût autre, que de
passer ce temps fâcheux avec moins de
difficulté,
m’adonnant à quelque
honnête exercice, qui
m’apportât quelque agréable
plaisir, au milieu de tant
d’ennuis que j’étais
contraint de dévorer :
et que je pusse en ce faisant par quelques saintes
méditations louer notre Dieu
souverain et tout bon, en
particulier, puisque je ne pouvais
publiquement, si est-ce
qu’enfin voyant un assez bon nombre de
Sonnets que ce temps m’avait
arrachés, il me prit envie d’en
choisir quelques-uns d’entre ceux qui me
venaient le plus à gré, afin de les
transcrire à part.
Or après les
avoir communiqués à
quelques-uns de mes amis, qui m’en rendirent
beaucoup meilleur
témoignage que je n’eusse
osé [p. 35]
espérer, je me
délibérai de leur
faire voir la lumière : mais sur le point
que je les devais délivrer à
l’Imprimeur, le même temps
fâcheux et turbulent qui
premièrement me les avait fait
concevoir, m’empêcha
lors de les enfanter, étant
contraint à toute
extrémité de sortir
hors notre Royaume.
Et mes Sonnets
que je n’eus moyen d’emporter
furent adjugés et mis au feu, voire par
quelques-uns de mes amis, non pour aucune chose qui leur
déplût en iceux, mais
étonnés de la tempête
qui éclatait de toutes parts, et ayant
extrêmement peur d’être
trouvés saisis
d’aucunes écritures qui
m’appartinssent.
Ce qui leur fit
brûler aussi plusieurs autres
écrits en prose, desquels il ne m’est
rien resté.
Par ce moyen je
perdis toute espérance de pouvoir
jamais recouvrer les susdits
Sonnets, et n’y pensais plus que bien peu,
lorsque après la tempête
accoisée, recherchant
parmi les papiers qui m’étaient
restés du naufrage, je mis la main sur le
brouillis qui en avait été
conservé par mégarde,
et comme une chose inutile.
Toutefois je
l’abandonnai là, tout
dégoûté de le
transcrire, étant lors
empêché à choses
meilleures, et qui conviennent de plus
près avec ma profession, qui
m’est chère sur toutes choses, quand
étant privément
renfermé avec quelques-uns de mes amis, il
y aura un an au mois de décembre qui vient,
l’un d’eux me fit entendre [p. 36] qu’il avait
ouï parler de mes Sonnets, à
quelqu’un qui les avait lus, et au
jugement duquel à bon droit je
défère beaucoup, qui lui en
avait rendu fort honorable
témoignage, et dès lors je fus
excité, et par eux-mêmes à peu
près persuadé de les mettre
dessus la presse, si ainsi était que le
moyen m’en fût rendu quelque fois, qui
pour lors m’était
dénié.
Mais
l’occasion ne s’en était point
du depuis offerte jusques à ce jour, que nos
misères et
calamités tant et tant
souvent redoublées, (et
auxquelles de tout mon cœur je souhaite une
heureuse fin à la gloire de ce grand Dieu, au
salut de sa pauvre Église, et au repos de
notre France) m’en présentent
derechef le moyen.
En attendant
donc quelque bonne issue à ces troubles
présents par quelque paix bien
assurée, j’ai transcrit ces vers
pour les présenter en public par
le moyen de l’impression, pour
n’être vu débattre trop
opiniâtrement à
l’encontre de mes amis, sans
déférer de rien à
leur jugement, ni condescendre en
quelque sorte à leurs demandes.
Il y a cela
d’avantage, c’est que je sais que la
jeunesse qui a tant soit peu
goûté la douceur des lettres,
est ordinairement
chatouillée d’un
désir de poésie, soit Grecque,
Latine, ou française.
Mais ce
malheur est en la France, qu’il y a peu de ceux qui
se sont exercés en cet art, (qui de soi saint et
vraiment vénérable, ne
mérite point d’être
profané, ou autrement
iré- [p. 37]
véremment traité) qui
n’aient souillé et noirci sa
blancheur de l’encre de leurs plumes
lascives.
Ainsi la
jeunesse peu caute, est
ordinairement amorcée
par la lecture de tels poèmes, à choses
sales et immondes, et du tout indignes de la
Chrétienté.
Pourtant ai-je
pensé que ce petit
traité, pour le moins en pourra
contenter quelques-uns de ceux qui ont le
cœur plus chaste, et qui chérissent de
plus près cette blanche
pudicité, et en les
contentant les retirer
aussi du danger où ils se
précipitent, en faisant voile sur
le large d’une si dangereuse mer, sans
être munis du compas d’une
discrète
pudicité.
Voilà,
ami Lecteur, ce qui m’a ému de
laisser sortir ces miens vers à la
lumière de notre jour.
Je prie le
Seigneur, qu’il vous fasse la grâce
d’en recueillir le plaisir et
profit que je désire, ou qu’il
connaît propre pour sa gloire et pour votre
édification.
Bien vous soit.
De l’Éternel le bien
De moi le mal, ou rien.
Ores en ce siècle où nous sommes,
On voit que la plupart des hommes
Ne caresse plus la vertu,
Ains chacun s’égare et fourvoie,
Et peu sont que tenir l’on voie
Le chemin qui est peu battu.
Même les plus gentils
Poètes,
Ont rendu leurs lyres infectes,
Des fredons de leurs sales vers,
Et ne sonnent leurs cordes molles
Autres chansons que d’amours folles,
Qui corrompent tout l’univers.
Mais toi d’une plus sainte
veine,
Doux Saussé, tu fais mont et plaine
Retentir d’un chant gracieux,
Qui n’a rien de sale ou d’immonde,
Mais qui de sa douce faconde
Ravit nos âmes sur les cieux.
L’Union et douce concorde
Qui le ciel à la terre accorde,
Est le sujet qu’as entrepris,
Qui le Christ le Prince de vie,
Aux élus saintement marie,
Digne sujet des bons esprits.
Par P. D. L.
[R]
En ligne le
09/10/05.
Dernière révision le 01/03/25.