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Quand je suis
tout tourné vers celle part,
Où de beauté est la fleur
singulière :
Dont me demeure en l'esprit sa lumière
Si fermement, qu'onc n'en fera départ.
Je doute fort que mon cœur, qui en ard,
D'ennui ne fende (et sur l'heure dernière)
Mais d'un aveugle en ce suis la manière,
Qui ne sait point où va, au fort s'en part.
Ainsi je fuis de mort la dure atteinte,
Mais peu me vaut : d'autant que mon martyre,
Où que je sois faut que toujours y vienne.
Sans bruit languis : mais ma morte complainte
Ferait pleurer les gens, et je désire,
Que mon gref deuil secret dans moi se tienne.
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texte original |
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ARGUMENT selon
Philieul : Il allait d'Avignon à Vaucluse, & par le chemin
se contournant quelquefois devers Avignon, fit ce Sonnet. Et puis
être arrivé le soir à Vaucluse, se souvenant
d'avoir laissé sa dame un peu malade, à la contemplation
des étoiles fit le Sonnet ensuivant. |
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ALors que tout tourné
je suis en celle part
Où luit souvent Madame en beauté singulière
Et que m'est jointe au cœur la lueur coutumière,
Laquelle me détrait et ard de part en part.
Moi qui crains que mon corps de moi fasse départ
Voyant proche la fin de ma clarté première
Comme aveugle je vois privé de sa lumière
Qui ne sait où il va, toutefois il s'en part.
Ainsi devant les coups de mort j'échappe et fuis,
Mais si tôt mon désir éloigner je ne puis
Qu'il ne se trouve prompt (comme il sait) à me prendre.
Tacitement ainsi mon chemin je poursuis,
Car mon deuil découvert ferait pleurer, et puis
Je désire mes pleurs toutes seules épandre.
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Lorsque
comme transi je suis totalement,
Où que luit la splendeur du beau front de ma dame,
Et qu'au penser je sens sa clair-luisante flamme,
Qui peu à peu me mine et ard entièrement.
Craignant du cœur, qui cause à moi tel
différend,
Et rayant ma lumière en point pour rendre l'âme,
Je vais comme un aveugle, ou cil qui en mer rame,
Sans savoir où qu'il va, se donnant à tout vent.
Devant les coups mortels ainsi je prends la fuite,
Mais non si vitement que je n'aye conduite
Du désir, à me suivre étant accoutumé,
Je m'en vais sans parler, afin que jà la morte
Parole, à quelqu'un autre aucun ennui n'apporte,
N'aimant point qu'en mes pleurs je soye accompagné.
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texte original |
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COMMENTAIRE DE
MALDEGHEM : Il dit ici pourquoi il fuit quelquefois le regard de Mme
Laure,
ce qui est, que quand il est où qu'elle est, lui étant
demeuré en la
pensée combien est admirable sa beauté & combien
qu'elle opère en
lui ardant & consumant, il se part, voyant approcher par l'ardeur
la
fin de sa vie, qu'il appelle lumière : & ainsi se partant
sans la
belle vue de Mme Laure il demeure comme aveugle, qui ne sait où
qu'il va ;
& ainsi il dit, qu'il fuit la mort, mais soudainement l'accompagne
le désir de retourner vers icelle lumière de Mme Laure
passant secrètement
avec paroles, qu'il parlait à soi-même, lesquelles il
appelle mortes,
pour n'être entendues ou exprimées, & qui feraient
pleurer ceux
qui les ouiraient. |
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