Marin  Le  Saulx 
 Le Préambule… 
Theanthropogamie
en forme de dialogue par sonnets chrestiens
 BnF Gallica, ark:/12148/bpt6k71977q/f81 
Londres, Thomas Vautrolier,
1577
Pages limi­naires Sonnets 1 à 20 Sonnets 21 à 40 Sonnets 41 à 60 Sonnets 61 à 80 Sonnets 81 à 100
Sonnets 101 à 120 Sonnets 121 à 140 Sonnets 141 à 160 Sonnets 161 à 180 Sonnets 181 à 200 Sonnets 201 à 215
Sonnets 81 à 100
texte original
81. Je voyoy des hauts cieux la dextre courroucee…
83. S’il y a dans le ciel qui en rond se pourmeine…
85. Le ciel ayant lasché tous les traicts de son ire…
87. Ceux qui plus doctement parlent de la nature…
89. Comme on void quelquefois sortir d’vn creux rocher…
91. Sous le corps mort gisant de ce Verbe faict chair…
93. Ce grand pere des temps, ce Dieu dont la iustice…
95. Ce Dragon boursouflé, Empereur de la mort…
97. Par vn sentier tortu en cent mille replis…
99. Le sang vermeil que rend la grappe pressuree…
82. Je voyoy sous les cieux dans le vague de l’air…
84. S’il y a sur la terre encor quelque iustice…
86. Le ciel ayant lasché de son courroux l’orage…
88. Ceux qui plus curieux cerchent soigneusement…
90. Comme on void quelque fois le Sacre audacieux…
92. Sous le foible pouuoir d’vne main indomtable…
94. Ce grand pere des temps qui les temps a conceu…
96. Ce Dragon boursouflé, ce monstre audacieux…
98. Par vn sentier ouuert a la chair incognu…
100. Le crystal de la source enfantant par la pleine…
 
 
 
 
 
sonnet.   81.
sonnet.   82.

JE voyoi des hauts cieux la dextre courroucee
Marteler ſur le chef de mon loyal eſpoux,
Dvne horrible fureur lhorreur de mille coups,
Et ſa priere auec rudement repouſſee:

Ie voyoi puis apres vne vague pouſſee
Dvn fort vent, qui ſouffloit dvn terrible courroux,
Agiter rudement, puis deſſus, puis deſſous
Vne hurque flotant ſur la vague inſenſee:

Le ciel ayant laſché ſes eſclats foudroyans,
Et la mer eſcumé tous ſes flots effroyans,
Tant que de mon eſpoux la mort seſt enſuyuie,

Iay veu incontinent raſſerener les cieux,
Et la mer appaiſer ſes flots audacieux,
La hurque en paix flotant, & le mort plein de vie.

JE voyoi ſous les cieux dans le vague de lair,
De ſacres & dautours vne bande bourrelle,
Siflans dvn bec crochu, & fendans lair de laile,
En roüant çà & là legerement voller:

Ie voyoi au milieu lentement bauoller
Dvne aile my-rompue, vne colombe belle,
Fuyant les grifs mortels de la troupe cruelle,
Qui cuidoit aux Enfers la faire deualler:

Ie voyoy deſſous elle en la terre immobile,
Mille loups enragez, mille lyons, & mille
Qui cruels pourchaſſoyent & ſa chair & ſon ſang:

Chacun deux eſperoit lengloutir toute entiere,
Quand vn Aigle ſacré dvne aile plus legere,
La tira du danger dans le ciel net & blanc.

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sonnet.   83.
sonnet.   84.

SIl y a dans le ciel qui en rond ſe pourmeine,
Ainſi comme lon dict, quelque deluge deaux,
Ie lappelle, & la mer, & les lacs clairs & beaux,
Les fleuues & torrens courans parmy la pleine,

Pour faire vn ſeul courant, qui face vne fonteine
Dans mon cerueau humide, & de là deux ruiſſeaux,
Coulans par mes deux yeux, comme par deux tuyaux,
Qui teſmoignent laigreur de lennuy qui me geine.

Pleurez auecques moy pucelles de Syon,
Ayez fils de Iuda de moy compaßion,
Sentez laigre rigueur de ma douleur chetiue,

La mort a retranché leſpoir de tout mon bien,
Serrant mon cher eſpoux dvn fier mortel lien.
Reſiouy toy, ta mort sous ſa mort eſt captiue.

SIl y a ſur la terre encor quelque iuſtice,
Et entre les humains quelque iuſte amitié,
Quelque compaßion, quelque douce pitié,
Qui deteſte lhorreur de quelque ſanglant vice.

Sil eſt quelque equité qui damne liniuſtice,
Sil eſt quelque douceur franche dle texte porte "dinimitié"inimitié*,
Balancez droictement vne ſeule moitié
Du tort que lon me faict, pour mon loyal ſeruice.

Voſtre infame peché, voſtre importable tort,
Ma cauſé ſans mercy, & lEnfer, & la mort,
Par leſquels vous auez, & le ciel, & la vie:

Ie me ſuis à la mort pour lhomme habandonné,
Et luy ay des hauts cieux lheritage donné,
Et ceſt homme peruers a ſur ma gloire enuie.

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sonnet.   85.
sonnet.   86.

LE ciel ayant laſché tous les traicts de ſon ire
Deſſus le chef batu de mon loyal eſpoux,
Et la terre vomy laigreur de ſon courroux,
Et la mort le mortel de ſon ſanglant martyre,

Sathan voyant perdu le fort de ſon empire,
Qui ſouloit captiuer la liberté de tous,
Arma le bras meurtrier qui ouurit a grands coups
Le rocher de la chair qui faict quaux cieux iaſpire.

De ſon coſté percé ſortit vne fonteine,
Qui deux diuers ruiſſeaux enfanta par la pleine,
Lvn de ſang, lautre deau courans par lVniuers,

Qui pour venger de Chriſt la mort iniurieuſe,
Noyerent au profond de leur onde eſcumeuſe,
Le Diable & le peché, la mort & les enfers.

LE ciel ayant laſché de ſon courroux lorage
Deſſus le chef doré de Chriſtine aux beaux yeux,
Et la terre vomy ſon courroux odieux,
Et les Enfers profonds leur dépiteuſe rage,

LAnte-chriſt non content dvn ſi cruel dommage,
Eſtant du propre bien de Chriſtine enuieux,
Ietta dvn feu bruſlant la flambe en mille lieux,
Cuidant de ma Chriſtine affoiblir le courage:

Mais ce feu qui bruſloit dvne ardeur violente,
Se voutant comme vn arc ſur Chriſtine dolente,
Le metal de ſon cœur a ſi bien refondu,

Quil reluiſt maintenant ſans aucune rouillure,
Nayant perdu au feu que lord de ſa ſouillure,
Et ce meurtrier ſe void dans ſon feu confondu.

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sonnet.   87.
sonnet.   88.

CEux qui plus doctement parlent de la nature,
Et fouillent dans le ſein de ſes ſecrets diuers,
Pour monſtrer puis apres aux yeux de lVniuers
De ſes ſecrets eſclos la viue pourtraiture.

Diſent que le ſerpent occit de ſa pointure,
Les fils du Pelican dans leur nid deſcouuers,
Qui arroſez du ſang de ſes coſtez ouuerts,
Renaiſſent derechef veinqueurs de la morſure.

O mille & mille fois miracle eſmerueillable !
O ſacré ſacrement ſainctement remarquable !
Que nature a donné aux ſaincts deuotieux

De ce grand Pelican vnique en ſon eſpece,
Qui ſauue ſes petits de la mort domtereſſe,
Par le ſang de ſa chair & les rauit aux cieux.

CEux qui plus curieux cerchent ſoigneuſement,
Le ſecret naturel dvne chacune choſe,
Au ſein de la nature eſtroittement encloſe,
Dvn eſprit fatigué docte ſoulagement,

Diſent que la colombe inuiolablement,
Garde ſociété, & iamais ne depoſe
La premiere amitié, ains comme chaſte eſpoſe
Aime ſon cher mary perpetuellement.

La colombe en la Loy ſeruoit au ſacrifice,
La colombe apporta au heraut de iuſtice
Le Sacrement de paix pour ſa poſterité:

La colombe de Chriſt en loyauté vnique,
Porte dedans ſon bec la paix Euangelique,
Offrant ſon corps pour Chriſt la vie & verité.

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COmme on void quelq̃fois ſortir dvn creux rocher
Et grauir au coupeau de quelque arbre ſauuage,
Vn Dragon aguettant dvne mortelle rage,
LElephant quil a veu de ceſt arbre approcher,

Et dvne dent bourrelle en la croupe acrocher
Ceſt animal grondant en vain deſſous la charge,
Pour boire yurongnement ſon ſang dvn goſier large,
Et lardeur de ſa ſoif de ce ſang eſtancher,

Puis lElephant perdant auec ſon ſang ſon ame,
En tombant accabler ce Dragon tout infame,
Et en mourant meurtrir le meurtrier de ſa vie,

Ainſi void-on la mort qui dvne dent bourrelle,
Pourſuyuoit mon eſpoux dvne mort treſ-cruelle,
Morte deſſous ſa mort, par ſa mortelle enuie.

COmme on void quelque fois le Sacre audacieux,
Pourchaſſant le Heron dvne haïne mortelle,
Se perdre dedans lair dvne ſi hautaine aile,
Quon diroit quil voudroit eſcheller les hauts cieux,

Et puis incontinent refondre en ces bas lieux
Dvn cingler plus iſnel, & dvne force telle
Senferrer leſtomach de la propre allumelle,
Du Heron qui meurtrit le Sacre iniurieux:

Ainſi void-on ſouuent ſur ceſte terre baſſe,
Les ſacres des Enfers qui dvne fiere audace
Pourchaſſent à la mort ma colombe aux yeux vers,

Qui tendant de ſon bec ceſte pointe aiguiſee,
Des ſacres met a mort la troupe deguiſee:
Car ſon bec peut fauſſer les portes des Enfers.

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sonnet.   91.
sonnet.   92.

SOus le corps mort giſant de ce Verbe faict chair,
Quatre monſtres hideux tous recouvers deſcailles,
Qui ſouloyent aux humains cauſer mille batailles,
Ie vy pallement morts tout dvn coup trébuſcher.

Deſſous le dextre bras ie vy à lapprocher,
Le peché qui ſouloit de ſes rouges tenailles,
Pinſer les cœurs humains, couuert de ſes entrailles,
Preßé comme du faix de quelque grand rocher.

Sous lautre eſtoit lEnfer : Sathan courboit le chef
Deſſous le dextre pied : & la mort de rechef
Sous le gauche hauſſoit ſa teſte demy viue,

Qui cuidoit de nouueau les humains abyſmer,
Mais ſentant lEſprit vif ce corps mort ranimer,
Elle a quité le prix à la chair deux fois viue.

SOus le foible pouuoir dvne main indomtable,
Iay veu courber le chef aux Princes & aux Rois,
Et dvn cœur tout deuot baiſer les ſainctes Loix
De celle qui des Roys eſt leffroy redoutable.

De ſon Empire ſainct le ſceptre inuiolable,
Qui faict ſous lequité de ſes cœleſtes droicts
Trembler les plus puiſſans, neſt riẽ plus que ſa voix,
Aux bons & aux peruers douce ou eſpouuantable.

Tous ceux là qui font ioug ſous ſon authorité,
Adorants de ſes loix la ſaincte verité,
Viuent francs de la mort en lImmortelle gloire.

Car ma mort a veinqu ſes puiſſants ennemis,
Que iay ſous le pouuoir de ſes ſecrets ſoumis,
Pour la faire iouïr du fruict de ma victoire.

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sonnet.   93.
sonnet.   94.

CE grand pere des temps, ce Dieu dont la iuſtice
Nenfante que rondeur, droiture, & equité,
Qui ce monſtre hideux, quon nomme iniquité,
Eſtrangle de ſes mains, avec ſon iniuſtice,

Voyant lhomme meurtry du poiſon de ſon vice,
Habandonner chetif des iours lantiquité,
Apres avoir Iuſtice & Verité quité,
De Iuſtice & de vie a veinqu leur malice.

Pour ne perdre bening louurage de ſes mains,
Il a habandonné le Chriſt chef des humains
A la vengeuse mort, du peché iuſte peine.

Pour ſauuer le pecheur il meurtrit linnocent,
A vne iniuſte mort ſa iuſtice conſent,
Sans violer des droicts lequité ſouueraine.

CE grand pere des temps qui les temps a conceu,
Pour enfanter de temps vne age meſuree,
Sous qui le rond poly de la ſphere aſuree
Tourne le temps qui coule & neſt point apperceu,

Voyant que ma colombe au flanc auoit receu,
Dvne fleche bourrelle, au venin teinturee
De leternelle mort, qui ſa mort a iuree,
Vn aſpre coup mortel du creux abyſme iſſu,

Pour ſauuer de la mort ma blanche colombelle,
Feiſt fouiller dans mon sein dvne longue allumelle,
Et trouuer en mon mal a ce coup gueriſon:

Ainſi mon mal mortel a donné ſanté pleine,
A celle que la mort dvne mortelle peine,
Geinoit dedans leſtroit de ſa fiere priſon.

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sonnet.   96.

CE Dragon bourſouflé, Empereur de la mort,
Me pourchaſſant a mort par vne iniuſte enuie,
Dans la mer de la mort fiſt abyſmer ma vie,
Qui ſubmergeoit les ſens de mon cœur deſ-ia mort,

Quãd le Chriſt mõ eſpoux par vne mort qui mord,
Le peché, qui la mort a me meurtrir conuie,
Mordit iuſquà la mort la mort par mort ſuyuie,
Mettant à mort ma mort & mon peché plus ord.

Sa mort donc a meurtry ma noire mort mortelle,
Sa mort donne la mort & la vie immortelle
A ma chair, qui ſous mort ſans ceſte mort giſoit.

Ainſi ma mort vaut mieux que ma vie inſolente,
Qui meurtriſſoit ma chair dvne mort violente,
Qui ſans Chriſt tout le monde a ſon gré maiſtriſoit.

CE Dragon bourſouflé, ce monſtre audacieux,
Chef de tous reprouuez, & deux außi le pire,
Qui de mort, qui dEnfer tient le puiſſant empire,
Voulut vn iour priuer lhomme des hautains cieux:

Pour ſeparer la terre & ſon rond ſpacieux
Du haut ciel immortel, ce meurtrier (qui conſpire
La mort de tous humains,) vint baſtir & conſtruire
Vn mur diniquité en ces terreſtres lieux.

Mais ie qui en ma chair par vne mort cruelle,
Meurtris tout le mortel de ſa mort eternelle,
Priuant par mort la mort de ſon empeſté dard,

Dvn torrent de mon ſang ſortant de ma poitrine,
Iay faußé de ce mur limprenable machine,
Sur qui Sathan fichoit ſon ſanglant eſtendard.

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sonnet.   97.
sonnet.   98.

PAr vn ſentier tortu en cent mille replis,
Ie ſuy en meſgarant dvne courſe legere
Le peché que je fuy, & ſa coulpe meurtriere,
Et de ſes fruicts amers mon ventre ie remplis:

Ce que ie hay de cœur, de faict ie laccomplis,
Ce que iayme de cœur, ie le reiette arriere,
Iay en haine la mort, & ſi ſuy ſa banniere,
Ie ſouhaitte les cieux, & fuy les cieux polis.

Que di-ie que ie ſuy? ceſt ma chair inconſtante,
Qui ſuit mort & peché, que dardeur violente
LEſprit deteſte & fuit, & embraſſe le ciel:

O Chriſt deliure moy de ceſte chair mortelle,
Et ſauue dans ton ciel ma poure ame immortelle,
Qui boit dedans ſa chair du peché lamer fiel.

PAr vn ſentier ouuert a la chair incognu,
Ie pourſuy en la chair des cieux hautains la trace,
Et fay voir a la chair lEternel face a face,
Au ciel ou ſans ma chair nul ne fuſt paruenu.

Ma chair, franche de chair, en chair à ſubuenu,
A ceſte chair de chair, luy faiſant au ciel place,
Ma chair meurtrit la chair, ma chair de ſang efface
Le meurtrier de la chair, des creux Enfers venu.

Ma chair donne a la chair par mort vie eternelle,
Ma chair donne lesprit a ceſte chair charnelle,
Ma chair guide la chair aux cieux par ſes enfers.

Ma chair donne a la chair de ſa chair nourriture,
Ma chair faict a la chair de tous biens ouuerture,
Par le ſentier des maux que ma chair a ſoufferts.

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sonnet.   99.
sonnet.   100.

LE ſang vermeil que rend la grappe preſſuree
Deſſous les pieds meurtriers du cruel vendẽgeur,
Qui dvne auare main, au preſſoir rauageur,
De la boiteuse mere a la fille eſpuree,

Nemmielle vn gouſt plus doux de ſa douce puree,
Que de lamour de Chriſt la naïue douceur,
Emmielle tous mes ſens, & dvn nectar plus ſeur
Enyure limmortel de mon ame aſſeuree.

La mort eſt le preſſoir, & Chriſt eſt le raiſin,
Son ſang qui coule doux eſt la liqueur du vin,
Qui enyure mes ſens dvne immortelle vie.

O de mon cher eſpoux la fidele amitié !
Qui pour moy shabandonne a la mort ſans pitié,
Qui pourchaſſoit ma mort dvne mortelle enuie.

LE cryſtal de la ſource enfantant par la pleine
Mille & mille ruiſſeaux dvn cryſtal tout pareil,
Qui dvn pré plein de fleurs arrouze le vermeil,
Et murmure vn doux bruit de lõgue, & lõgue haleine,

Le Iardin arrouzé dvne viue fonteine,
Qui prodigue au Printemps vn eſmail nompareil
Dvn million de fleurs, quau coucher du Soleil
Zephire en sesbatant doucettement haleine,

Ne peuuent apporter tant de plaiſir aux yeux,
Que mapportent au cœur les aſtres radieux
Qui decorent le chef de ma Chriſtine belle.

Le Iardin eſt Chriſtine, & ſes fils ſont les fleurs,
Les ruiſſeaux ſont lEſprit, & ſes dons les couleurs,
Et Zephire eſt le Chriſt qui ſa Chriſtine appelle.

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En ligne le 23/08/21.
Derniere révision le 21/02/25.