Les Épithètes
de Maurice de La Porte (1571)
 
 

Peu à peu en ligne, les Épithètes de Maurice de La Porte (1571).

 
 

À MONSIEUR M. FRANÇOIS

PIERRON, GRAND-VICAIRE DE

Monseigneur l’abbé de Molesmes.

M
Onsieur entre les hommes vi­cieux de ce monde, après les in­grats et su­perbes que je fuis comme la peste, il n’y en a point qui da­van­tage me dé­plaisent que les oisifs et tu­mul­tueux : les­quels aus­si ne ser­vant que de ruine per­ni­cieuse à la Ré­pu­blique, étaient à bon droit par les lois an­ciennes pu­nis­sables du der­nier sup­plice. Or afin que celui prin­ci­pa­le­ment qui n’af­fecte le ma­nie­ment des affaires pu­bliques, ains se con­tente de son pe­tit annuel re­ve­nu ne de­vienne l’un ou l’autre, je lui con­seil­le­rai d’em­ployer son esprit à la lec­ture des bons livres, et di­li­gem­ment y co­ter les choses qu’il trou­ve­ra dignes d’être re­mar­quées : parce qu’avec la com­mu­ni­ca­tion pri­vée de l’ami, nous n’avons ici-bas aucune fé­li­ci­té à cette-là com­pa­rable. Ain­si moi-même lors­que j’étais en votre mai­son sei­gneu­riale de Saint-Béroing (plai­sant sé­jour pour un homme d’étude) pra­ti­quant ce mien con­seil con­so­la­toire, il me sou­vient qu’ayant entre mes mains les doctes œuvres de mon­sieur de Ron­sard, prince de tous les poètes Fran­çais, je fus tel­le­ment amor­cé de sa douce-grave poé­tique science, que jamais ne les aban­don­nai que pre­miè­re­ment je n’en eusse extrait les Épi­thètes, les­quels je voyais par lui si pro­pre­ment accom­mo­dés : les­quels dis-je outre la grâce, force, et ver­tu qu’ils donnent à sa poé­sie, ils servent gran­de­ment à l’ex­pli­ca­tion d’icelle. Après vous avoir mon­tré ce com­men­ce­ment, vos pro­pos me firent connaître l’af­fec­tion que vous aviez que ce la­beur fût pour­sui­vi, de sorte que me pen­sant excu­ser sur ma pe­tite éru­di­tion et faible juge­ment, je fus vain­cu par vos impé­rieuses prières. Pour cette cause conti­nuant à lire ordi­nai­re­ment nos meil­leurs fran­çais, et ti­rant d’eux ce qui était propre à mon su­jet, j’ai exé­cu­té votre com­man­de­ment avec tel de­voir, qu’au­jour­d’hui je prends la har­diesse de me pré­sen­ter de­vant vos yeux, pour (s’il faut ainsi par­ler) en re­qué­rir acte. Vous sup­pliant de croire que si de­puis mon re­tour de la Bour­gogne en ce pays, la liber­té de mon esprit n’eût été cap­ti­vée par une infi­ni­té d’af­faires qui me sont sur­ve­nues, il y a plus d’un an que j’eusse satis­fait à votre volon­té. Si je ne sa­vais com­bien mon hon­neur vous est pré­cieux, Mon­sieur, et que tous les fruits de mon jar­din spi­ri­tuel, le­quel vous avez arro­sé, sont en votre garde et pro­tec­tion, je m’amu­se­rais à dis­cou­rir le di­vers juge­ment que l’on fe­ra de cet œuvre, afin que sup­por­tant l’in­fir­mi­té de mes forces il vous plût en prendre la dé­fense. Étant assu­ré que plu­sieurs ne trou­vant rien à leur goût, rejet­te­ront aus­si ces miens Épi­thètes, comme chose de peu d’effet pour ache­mi­ne­ment à la connais­sance des bonnes sciences. Mais la vé­ri­té étant pour moi, je n’ai affaire de Cen­seurs tant iniques, et cha­touil­leux, aux­quels plaire se­rait im­pos­sible, et suivre leur avis plus pré­ju­di­ciable à la jeu­nesse, à la­quelle je pense pro­fi­ter. Joint que sachant que vous y prenez plaisir, je suis plus satis­fait que si tels ne faisaient jamais que louer mon œuvre. Je me recom­mande.

Votre ami à jamais M. de la porte

Maurice DE LA PORTE,
Les Épithètes,
Paris, Gabriel Buon, 1571
[Gallica, NUMM-50715, PDF_2_3],
(texte modernisé).


 

AVERTISSEMENT

AU LECTEUR

J
E désire que tu saches, lec­teur, comme j’ai fait ce re­cueil d’Épi­thètes, m’amu­sant à lire les plus fa­meux poètes Fran­çais, outre les­quels j’ai lu pa­reil­le­ment en prose les meil­leurs au­teurs tra­duits en notre vul­gaire. Et tout ain­si que des plus belles et odo­rantes fleurs du jar­din l’in­dus­trieuse abeille pro­duit son miel déli­cieux : aus­si de ce qui m’a sem­blé le plus re­mar­quable en cette grande et la­bo­rieuse lec­ture, j’ai com­po­sé le pré­sent œuvre : au­quel (sans arro­gance je parle) tu trou­ve­ras pos­sible de quoi re­paître ton esprit, en atten­dant que par une se­conde édi­tion je te puisse en­tiè­re­ment ras­sa­sier, si j’aper­çois que ce mien pre­mier la­beur te soit agré­able. Car ce livre étant fait prin­ci­pa­le­ment pour l’in­tel­li­gence des poètes, je ne doute point que plu­sieurs nom propres poé­tiques avec leur fa­bu­leuse ex­pli­ca­tion n’y soient en­core né­ces­saires et de toi gran­de­ment re­quis. Voyant que beau­coup d’Épi­thètes ac­com­mo­dés à di­vers noms et dic­tions étaient dif­fi­ci­le­ment in­tel­li­gibles, et que faute de les en­tendre ils pour­raient être inu­tiles, j’ai ajou­té quelques an­nota­tions, les­quelles j’ai ti­rées non de mon cer­veau, mais prin­ci­pa­le­ment du Ca­le­pin, du dic­tion­naire poé­tique et his­to­rique, de la Chro­nique des Chro­niques, des vies de Plu­tarque, des Com­men­taires de Mu­ret, et Bel­leau sur les amours de Ron­sard, de l’His­toire uni­ver­selle du monde de notre Cos­mo­graphe Bel­le­fo­rest, de la Cos­mo­gra­phie de Muns­ter, des Com­men­taires de Mat­thiole sur Dios­co­ride, et des œuvres de plu­sieurs sa­vants per­son­nages : sans le se­cours des­quels je con­fesse in­gé­nue­ment que cet en­fant spi­ri­tuel fût avor­té, et n’eût ja­mais vu le pre­mier jour de sa nais­sance. Car ja­çoit que dès ma tendre jeu­nesse on m’eût dé­dié aux lettres, et que je les eusse ar­dem­ment pour­sui­vies, néan­moins tant pour com­plaire à mes pa­rents, qu’afin de m’as­su­rer quelque hon­nête moyen de vivre, mes études ont été si sou­vent in­ter­rom­pues et lon­gue­ment dis­con­ti­nuées, qu’au lieu d’avoir main­te­nant ré­pu­ta­tion entre les hommes doctes, je suis for­cé de me con­te­nir dans les li­mites de mon igno­rance. Je me fe­rais tort si je pas­sais sous l’ou­blieux si­lence, com­bien l’ad­mi­rable gref­fier de na­ture, Pline m’a pa­reil­le­ment sou­la­gé, le­quel tou­te­fois j’ai seu­le­ment allé­gué en ce que son opi­nion était su­jette à con­tre­dit : dont je t’aver­tis, Lec­teur, afin que si tu étais offen­sé de ce que n’ai coté les au­teurs, vu que par ma con­fes­sion je n’ai rien dit de moi-même, tu croies que je l’ai fait par crainte de don­ner l’hon­neur aux mo­dernes qui appar­tient aux an­ciens : pour les­quels si on me prend au poil, ma tête n’en de­meu­re­ra chauve, ains avec leurs inex­pu­gnables rai­sons s’éver­tue­ra de les ver­tueu­se­ment dé­fendre. Par aven­ture aus­si tu me re­pren­dras, pource que j’ai accom­pa­gné les Épi­thètes du chien de plu­sieurs noms propres : comme Souil­lard, Mi­raud, Gref­fier, et autres que j’ai appris dans les livres de vé­ne­rie avoir été chiens de bonne race : et qu’au Cra­paud j’ai bail­lé Ver­dier, et Grais­set, qui sont plu­tôt sy­no­nymes qu’épi­thètes : Mais après t’avoir accor­dé de les appe­ler ain­si que bon te sem­ble­ra, suis-je con­dam­nable en met­tant de quoi t’ai­der aus­si pro­pre­ment que d’un Épi­thètes ? Pour exemple je t’ai fait ces deux vers,

Quand le cerf buissonneux se pense mettre en fuite,
Il voit de chiens souillards une troupe à sa suite.

Je te prie que des dic­tions sem­blables tu fasses pa­reil ju­ge­ment, et ne trouves étrange si par­lant de l’eau, de la terre, des cou­leurs, et des choses qui les re­çoivent, j’en aie mis les dif­fé­rences au rang de leurs Épi­thètes : même j’en ai bail­lé quelques-uns à Al­cide, Bé­ré­cynthe, Cu­mée, Cyn­thienne, et autres noms adjec­tifs : d’au­tant que j’ai en ce­la sui­vi nos poètes, les­quels à l’imi­ta­tion des La­tins ain­si le pra­tiquent, afin d’être ai­dés en la com­po­si­tion et rime de leurs vers.…

Maurice DE LA PORTE,
Les Épithètes,
Paris, Gabriel Buon, 1571
[Gallica, NUMM-50715, PDF_4_6],
(texte modernisé).