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Si tellement
puis garantir ma vie
Du tourment âpre, et de l'être indigent,
Que l'appétit plus ne soit mon régent,
Et que splendeur de vos beaux yeux dévie :
Et que vous aie, ô dame, tant servie,
Que le poil d'or soit changé en argent,
Et qu'envieilli soit ce beau teint si gent,
Qu'à pouvoir plaindre a ma force ravie :
Au moins d'amour j'aurai tel avantage,
Que j'oserai vous dire mes travaux,
Et quels auront été mes passés maux.
Mais si le temps est contraire au présage :
Jà n'adviendra toutefois qu'en secret
Mon deuil n'ait quelque aise du tard regret.
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»» texte original
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ARGUMENT selon
Philieul : Ici commence notre pauvre passionné entrer en
matière,
disant, que si à présent ne s'ose plaindre à sa
dame
pour la crainte, qui vient de trop aimer : il vit au moins en
espérance,
le pouvoir un jour faire quand tous deux seront vieux, & dehors
soupçons
: & que lors trop tard on regrettera de n'avoir eu merci de la
peine
d'autrui.
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SI ma vie
se peut des furieux tourments
Et des tristes labeurs jusqu'à ce point défendre
Que sur mes derniers jours je puisse voir se rendre
De vos yeux excellents le doux enchantement :
Ces cheveux
de fin or argentés
seulement,
Et autres que joyeux et verts vêtements prendre,
Cette face vermeille avoir couleur de cendre
Qui me fait tourmenter et plaindre lentement.
Amour
peut-être lors me donra hardiesse
Que je vous conterai le martyre et tristesse
Des années, des jours et heures de mon cours.
Lors si l'âge
défend l'amoureuse caresse,
Pour le moins mes douleurs trouveront, ma maîtresse,
En vos regrets tardifs quelque peu de secours.
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Si ma vue
peut tant résister
à l'envi,
Au travail et tourment âpre et intolérable,
Que la force des ans dame douce, honorable
Le dard de tes beaux yeux me montre être ébloui.
Et les cheveux
d'argent (étant
évanoui
Leur teint d'or) sans guirlande ou coiffure semblable
Et au vert parement la face inconvenable
Qui à plaindre (à mon dam) m'a pris cœur et appui.
Amour me donnera au moins la hardiesse,
Que je découvrirai la cause de ma presse,
Quels ont été mes jours, mes heures et mes ans.
Et si la saison est aux beaux désirs contraire,
Ce ne sera point sans que ton cœur débonnaire
Fasse un soupir pour moi bien que hors de son temps.
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»» texte original
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COMMENTAIRE DE
MALDEGHEM : Le Poète n'ayant la hardiesse
de découvrir à Madame Laure quel était son
martyre,
dit que s'il peut tant résister à ses ennemis &
tourments,
qu'il puisse devenir vieil, & elle aussi, qu'alors par l'amour il
prendra
tant de hardiesse que de lui dire, quelle a été sa peine,
que
pour l'amour d'elle il a souffert. |
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