Vous n’êtes qu’un enfant
à vous voir dans la bouche
[…] Ce nom de galimatias n’a point d’origine certaine, et toutefois l’on en use maintenant dans les plus sérieux livres pour signifier le langage que je dis : mais le premier qui a usé de ce mot est le Comédien Bruscambille, qui l’a donné pour titre à quelques-uns de ses Prologues qui ont été faits pour n’avoir point de sens, et depuis l’on l’a donné à des discours qui de vérité ont bien été faits pour avoir du sens, mais qui n’en ont guère néanmoins. Ce langage est composé de diverses figures que la Rhétorique des Latins ne comprend point et pour lesquelles on ne peut trouver de noms chez les Grecs. Il y a des pointes et des contrepointes sur les mots qui sont doublés en tant de différentes sortes que l’exemple seulement peut le faire comprendre. L’on en trouve un peu dans le discours de Jason, mais ce n’est rien qui ne voit les Amours de Nervèze, les Amours de Des Escuteaux, Chrysaure et Phinimène, les Alarmes d’Amour, et tant d’autres livres qui ont été faits en un même temps ; car notez qu’il y a douze ans que nos Courtisans s’imaginaient tous que ce langage était le meilleur du monde, tellement que les petits Secrétaires de la Cour s’en escrimaient à qui mieux mieux. La corruption vint aussi jusqu’à la Poésie, qui n’en fut pas plus exempte que la Prose, et un Poète de ce temps-là écrivait ainsi sur ce sujet à un autre de ses amis.
Poète dont lisant les vers
je les admire,
Et mille fois le jour les lis, les admirant,
Chatouillant les esprits du plaisir de te lire,
Es-tu point chatouillé du plaisir qu’on y prend ?
Les retours de tes mots qui par se
contredire
D’un son aigu se vont en pointe rencontrant,
Apprennent à ma main comme il faut bien écrire,
Et ma main leur écrit comme bien elle apprend.
Ô merveille du monde, et
monde de merveille,
Grâce pareille au Ciel, en terre sans pareille ;
Esprit chéri des Dieux, et Dieu des beaux esprits,
Excellence du siècle, et
siècle d’excellence,
Te louant de m’avoir montré cette science,
M’oserais-je louer d’avoir si bien appris ?
Voilà comme les mots faisaient la culbute les uns par dessus les autres dans la Poésie, et quelques-uns semblaient imiter les bricoles des jeux de paume. […]
Charles SOREL,
Le Berger extravagant, troisième partie,
1628,
« Remarques sur le neuvième
livre », pp. 444-445
[gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6566846p] [PDF_726_727].
Liens
Étude en ligne
* On peut lire, de Jean Paul Barbier-Mueller « Antoine de Nervèze (v. 1558- après 1622) : retour sur un dossier biographique », un article paru dans la revue Seizième Siècle en ligne sur Persée.
Liens valides au 11/11/22.
En ligne le 28/02/18.
Dernière révision le 11/11/22.