Francesco PETRARCA (1304-1374)
Venise, 1470, f° 74r° [←Gallica].

PAssa la naue mia colma doblio

per aspro mare ameza nocte il uerno
infra scilla & caribdi & al gouerno
si edel signore anzil nimico mio
aciaschun un remo penser pronto & rio
che la tempesta el fin par chabbia aschermo
lauela rompe un uento humido eterno
disospir di speranze & di desio

P ioggia di lagrimar nebbia disdegni
bagna & ralenta legia stanche sarte
che son derror choignorantia atorto
celansi iduo miei dolci usati segni
morta fra londe e laragion & larte
tal chincomincio a disperar del porto

Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CXCVI, pp. 190-191 [←Gallica].

Comble d’oubly s’en passe mon nauire
Sur aspre mer d’hiuer en la minuict,
Parmi Caribde & Scille, ou tout me nuit,
Mon ennemy au gouuernal empire.

Chacune rame un dur souci retire,
Qui ne sa mort, ne la tempeste fuit:
Et puis ma uoile un uent romp & destruit,
Qui par souspirs, espoirs & desirs tire.

Pluye de pleurs, nuée de desdains
Bagne & destend mes cordes & mes uoiles,
Que l’ignorance ha tissu de ses mains

Auec erreur, i’ay pers mes deux estoiles.
Art, & raison sont ia mises à mort,
Tant que meshuy ie despere du port.

Lyon, Jean de Tournes, 1549, p. 28 [←Gallica].

Quand le desir de ma haulte pensee
Me fait voguer en mer de ta beauté,
Espoir du fruit de ma grand loyauté
Tient voile large à mon desir haulsee,

Mais ceste voile ainsi en l’air dressee,
Pour me conduire au port de priuauté,
Treuue en chemin vn flot de cruauté,
Duquel elle est rudement repoulsee.

Puis de mes yeux la larmoyante pluye,
Et les grans vens de mon souspirant cœur,
Au tour de moy esmeuuent tel orage,

Que si l’ardeur de ton amour n’essuye
Ceste abondance (helas) de triste humeur,
Ie suis prochain d’un perilleux naufrage.

Le Théâtre, Le second livre de la Gélodacrye,
Paris, V. Sertenas et G. Barbé, 1561, p. 225 [←Gallica].

Mon nauire s’en ua tout chargé d’oubliance
Sur une mer fascheuse, à minuict, en yuer,
Entre Scylle & Carybde, ou pour le gouuerner
Mon plus grand ennemi a pris toute puissance:

A chascun auiron un penser se balance,
Qui ueult & la tempeste & la mort esprouuer,
Contre le uoile un uent ne cesse d’estriuer
Humide de souspirs, de desirs, d’esperance.

Vne pluye de pleurs, la nüe de malheur
A mouïllé & lasché le uoile & le cordage,
Lesquels furent tissus d’ignorance et d’erreur:

Mes deux astres iumeaux à moy ne se presentent,
Et l’art & la raison dans la uague s’absentent,
Si bien que je ne puis esperer le riuage.

Paris, Abel L’Angelier, 1576, I, Sonnets, XLVIII, f° 14v° [←Gallica].

Ma nef s’en va flottant dessus la mer d’Amour,
Tantost bas, tantost hault, comme les flots la pressent:
Nulles terres, nuls ports à mes yeux s’apparoissent,
Rien que mer, rien que ciel ie ne vois à l’entour.

Mes antennes, mon mast sont esmeus tout autour,
Du Sers & de l’Autan, qui mille assauts leur dressent:
Ma carene s’affondre, & mes chables s’abaissent,
Et mille espais brouillars me recellent le iour.

Iupin sis en son char ses destriers rouges guide,
Et tonnant, esclairant, foudroyant par le vuide,
Me met dauant les yeux la mort & son effroy.

I’appelle en vain les Dieux, deplorant ma fortune,
Mais sourds sont les Iumeaux, & sourd aussi Neptune,
La mer, les vents, les Dieux coniurent contre moy.

Gramont, Ma barque char­gée d’oubli… (1842)   ↓   ↑   ⇑  →t.m.
Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CLVI, p. 132 [←Gallica].

description allégorique de sa peine amoureuse.

Ma barque char­gée d’oubli vogue au mi­lieu de la nuit, en hi­ver, sur une mer affreuse entre Scyl­la et Cha­rybde, et au gou­ver­nail est assis mon Sei­gneur, na­guère mon enne­mi ;

À chaque rame est un pen­ser har­di et fa­rouche qui semble se rail­ler de la tem­pête et de l’is­sue de ce voyage ; la voile se rompt sous l’ef­fort éter­nel d’un vent hu­mide et for­mé de sou­pirs, d’es­pé­rances et de dé­sirs ;

Une pluie de larmes, une neige de dé­dains baigne et alour­dit les cor­dages déjà fa­ti­gués qui sont tis­sus d’er­reur et d’igno­rance tor­dues en­semble ;

Mes deux signaux, qui me guident dou­ce­ment d’or­di­naire, sont main­te­nant ca­chés : la rai­son et l’art ont pé­ri au sein des ondes ; si bien que je com­mence à dé­ses­pé­rer du port.

F. Brisset, Mon navire, oublié… (1933)   ↓   ↓   ⇑  →t.m.
Pétrarque à Laure. Les Sonnets, « À Laure vivante »,
Paris, J.-A. Quereuil, 1933, CXXXVII, p. 137 [←Gallica].

Mon navire, oublié par tous, en plein hiver,
Sur la mer tourmentée, au milieu de la nuit,
Vogue entre Charybde et Scylla ; debout, mon maître,
Ou mieux mon ennemi, se tient au gouvernail.

L’inquiétude ardente et mauvaise qui semble
Braver tempête et mort, manœuvre chaque rame ;
Sous un vent constamment gonflé de longs soupirs
D’espoirs et de désirs, la voile est déchirée ;

Les larmes en torrent, les dédains en nuage,
S’en viennent alourdir les haubans fatigués
Et déjà surchargés d’erreur et d’ignorance.

Mes guides coutumiers disparaissent tous deux ;
Habileté, raison, sont mortes dans l’orage ;
Je crains de ne jamais arriver à bon port.

























Avignon, B. Bonhomme, 1555, I, CXCVI, pp. 190-191 [←Gallica].

Comble d’oubly s’en passe mon nauire
Sur aspre mer d’hiuer en la minuict,
Parmi Caribde & Scille, ou tout me nuit,
Mon ennemy au gouuernal empire.

Chacune rame un dur souci retire,
Qui ne sa mort, ne la tempeste fuit:
Et puis ma uoile un uent romp & destruit,
Qui par souspirs, espoirs & desirs tire.

Pluye de pleurs, nuée de desdains
Bagne & destend mes cordes & mes uoiles,
Que l’ignorance ha tissu de ses mains

Auec erreur, i’ay pers mes deux estoiles.
Art, & raison sont ia mises à mort,
Tant que meshuy ie despere du port.

Lyon, Jean de Tournes, 1549, p. 28 [←Gallica].

Quand le desir de ma haulte pensee
Me fait voguer en mer de ta beauté,
Espoir du fruit de ma grand loyauté
Tient voile large à mon desir haulsee,

Mais ceste voile ainsi en l’air dressee,
Pour me conduire au port de priuauté,
Treuue en chemin vn flot de cruauté,
Duquel elle est rudement repoulsee.

Puis de mes yeux la larmoyante pluye,
Et les grans vens de mon souspirant cœur,
Au tour de moy esmeuuent tel orage,

Que si l’ardeur de ton amour n’essuye
Ceste abondance (helas) de triste humeur,
Ie suis prochain d’un perilleux naufrage.

Le Théâtre, Le second livre de la Gélodacrye,
Paris, V. Sertenas et G. Barbé, 1561, p. 225 [←Gallica].

Mon nauire s’en ua tout chargé d’oubliance
Sur une mer fascheuse, à minuict, en yuer,
Entre Scylle & Carybde, ou pour le gouuerner
Mon plus grand ennemi a pris toute puissance:

A chascun auiron un penser se balance,
Qui ueult & la tempeste & la mort esprouuer,
Contre le uoile un uent ne cesse d’estriuer
Humide de souspirs, de desirs, d’esperance.

Vne pluye de pleurs, la nüe de malheur
A mouïllé & lasché le uoile & le cordage,
Lesquels furent tissus d’ignorance et d’erreur:

Mes deux astres iumeaux à moy ne se presentent,
Et l’art & la raison dans la uague s’absentent,
Si bien que je ne puis esperer le riuage.

Paris, Abel L’Angelier, 1576, I, Sonnets, XLVIII, f° 14v° [←Gallica].

Ma nef s’en va flottant dessus la mer d’Amour,
Tantost bas, tantost hault, comme les flots la pressent:
Nulles terres, nuls ports à mes yeux s’apparoissent,
Rien que mer, rien que ciel ie ne vois à l’entour.

Mes antennes, mon mast sont esmeus tout autour,
Du Sers & de l’Autan, qui mille assauts leur dressent:
Ma carene s’affondre, & mes chables s’abaissent,
Et mille espais brouillars me recellent le iour.

Iupin sis en son char ses destriers rouges guide,
Et tonnant, esclairant, foudroyant par le vuide,
Me met dauant les yeux la mort & son effroy.

I’appelle en vain les Dieux, deplorant ma fortune,
Mais sourds sont les Iumeaux, & sourd aussi Neptune,
La mer, les vents, les Dieux coniurent contre moy.

Gramont, Ma barque char­gée d’oubli… (1842)   ↓   ↑   ⇑ o
Poésies de Pétrarque, « Du vivant de Laure »,
Paris, Paul Masgana, 1842, sonnet CLVI, p. 132 [←Gallica].

description allégorique de sa peine amoureuse.

Ma barque char­gée d’oubli vogue au mi­lieu de la nuit, en hi­ver, sur une mer affreuse entre Scyl­la et Cha­rybde, et au gou­ver­nail est assis mon Sei­gneur, na­guère mon enne­mi ;

À chaque rame est un pen­ser har­di et fa­rouche qui semble se rail­ler de la tem­pête et de l’is­sue de ce voyage ; la voile se rompt sous l’ef­fort éter­nel d’un vent hu­mide et for­mé de sou­pirs, d’es­pé­rances et de dé­sirs ;

Une pluie de larmes, une neige de dé­dains baigne et alour­dit les cor­dages déjà fa­ti­gués qui sont tis­sus d’er­reur et d’igno­rance tor­dues en­semble ;

Mes deux signaux, qui me guident dou­ce­ment d’or­di­naire, sont main­te­nant ca­chés : la rai­son et l’art ont pé­ri au sein des ondes ; si bien que je com­mence à dé­ses­pé­rer du port.

F. Brisset, Mon navire, oublié… (1933)   ↓   ↑   ⇑  →t.m.
Pétrarque à Laure. Les Sonnets, « À Laure vivante »,
Paris, J.-A. Quereuil, 1933, CXXXVII, p. 137 [←Gallica].

Mon navire, oublié par tous, en plein hiver,
Sur la mer tourmentée, au milieu de la nuit,
Vogue entre Charybde et Scylla ; debout, mon maître,
Ou mieux mon ennemi, se tient au gouvernail.

L’inquiétude ardente et mauvaise qui semble
Braver tempête et mort, manœuvre chaque rame ;
Sous un vent constamment gonflé de longs soupirs
D’espoirs et de désirs, la voile est déchirée ;

Les larmes en torrent, les dédains en nuage,
S’en viennent alourdir les haubans fatigués
Et déjà surchargés d’erreur et d’ignorance.

Mes guides coutumiers disparaissent tous deux ;
Habileté, raison, sont mortes dans l’orage ;
Je crains de ne jamais arriver à bon port.

























textes originaux
[R]

 

En ligne le 27/03/20.
Dernière révision le 07/07/22.