Plutôt seront Rhône, et Saône déjoints,
Que d’avec toi mon cœur se désassemble
MAURICE SCÈVE.
Maurice Sève ou Scève, plus connu que Brodeau [1], était, dit-on, de l’ancienne Maison des Marquis de Sceva. Sa famille était venue du Piémont s’établir à Lyon avec quantité d’autres illustres familles étrangères. Maurice exerça à Lyon la profession d’Avocat, et fut Conseiller-Échevin de cette Ville. Le Promptuaire des Médailles, qui le place parmi les illustres Lyonnais, en parle comme d’un homme d’un rare mérite, qui s’était distingué par une grande capacité, et qui avait surtout un talent singulier à imaginer des Emblèmes, des Inscriptions, des Devises, des Desseins de Trophées et d’Arcs de triomphe ; en un mot tout ce qui fait l’âme des décorations publiques dans les réceptions des Princes, et dans les autres Fêtes de cette nature. Aussi eut-il la meilleure part, pour tout ce qui dépend de l’invention et de l’esprit, à la magnifique réception qui fut faite à Lyon au Roi Henri II et à la Reine Catherine de Médicis sa femme, lorsqu’ils y firent solennellement leur première entrée en 1548. Maurice Scève en fournit les desseins, il fut chargé d’en conduire l’exécution, et Claude de Taillemont qui y eut part, n’y travailla que sous sa conduite. La relation de cette Fête a été imprimée en 1549 in-8° à lyon ; et le père de Colonia en donne un abrégé dans le tome second de son Histoire littéraire de la même Ville.
Pendant le séjour que Clément Marot fit à Lyon, et dont il se félicite en plusieurs endroits de ses poésies, il rechercha l’amitié de Maurice Scève, et mérita de l’obtenir. Elle ne lui fut pas inutile. Marot trouva dans cet ami généreux et éclairé, non seulement l’appui dont il avait besoin dans les affaires disgracieuses qu’il s’attirait quelquefois, mais encore des avis et des lumières pour perfectionner ses ouvrages. On voit dans ses poésies des preuves bien marquées de l’intime commerce qu’il entretenait avec Maurice Scève. Docile à ses avis, il ne refusa de les suivre que lorsque Maurice voulut l’engager à se perfectionner dans la Musique. Marot s’en excusa par cette jolie Épigramme qu’il lui envoya :
En m’oyant chanter quelquefois,
Tu te plains qu’être je ne daigne
Musicien, et que ma voix
Mérite bien que l’on
m’enseigne :
Voire, que la peine je prenne
D’apprendre Ut re mi fa sol la :
Que Diable veux-tu que j’apprenne ?
Je ne bois que trop sans cela.
Maurice avait lui-même beaucoup de goût pour la Musique : et pour mieux dire, il en avait pour tous les arts et pour toutes les sciences. « C’était, dit La Croix-Du-Maine, un homme fort docte et fort bon Poète Français, grand rechercheur de l’Antiquité, doué d’un esprit émerveillable, de grand jugement et singulière invention. » Du Verdier ajoute qu’il était petit homme en stature, mais du tout grand en savoir ; et vous venez de voir que Sainte-Marthe dit la même chose [2]. Étienne Dolet n’en parle pas moins avantageusement en plusieurs endroits de ses poésies Latines imprimées à Lyon en 1538 in-4° et en plusieurs endroits de ses Commentaires de la langue Latine.
Je connais de Maurice Scève deux Églogues, l’une intitulée Arion, l’autre qui porte pour titre la Saulsaie. […] Cette Églogue n’est pas mal versifiée, et l’on y trouve du sentiment. Elle a paru à Lyon en 1547 in-8° et a été réimprimée dans la même Ville en 1549 sous le seul titre d’Éclogue de la vie solitaire, dans le recueil intitulé, Livre de plusieurs pièces, que je vous ai déjà cité. Maurice Scève n’a pas mis son nom à cette Églogue, mais il s’est désigné par cette maxime qu’il avait adoptée, souffrir, non souffrir.
[…]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la Littérature
française,
tome XI, 1747, pp. 442-446
[Gallica, NUMM-50654, PDF_491_495]
(texte modernisé).
Notes
[1] La « vie » de Maurice Scève succède dans la Bibliothèque de l’abbé Goujet à celle de Victor Brodeau.
[2]
Dans la « vie » de Charles de
Sainte-Marthe, qui précède
d’une « vie » celle de
Maurice Scève, l’abbé Goujet
écrit :
« La plus
importante de toutes les pièces de Charles de
Sainte Marthe, est son Élégie
du Tempé de France, en l’honneur
de Madame la Duchesse d’Étampes ;
comme l’auteur emploie une partie
de cette pièce à faire connaître les
Poètes qui avaient quelque
réputation, et qu’il y donne
leur caractère, je me contenterai
de vous rapporter ce qu’il dit sur ce sujet.
[…]
Puis Érato un Saint-Gelais maintient,
Qui sa partie avec les autres tient,
Chantant des sons de sa sonnante lyre,
Plaisants à tous, et utiles à lire.
Auprès duquel un Scève
s’est assis,
Petit de corps, d’un grand esprit rassis,
Qui l’écoutant, malgré qu’il
en ait, lie
Aux graves sons de sa douce Thalie. »
Liens
* Les trente émissions d’Une histoire langagière de la littérature d’Henri Van Lier (diffusées pour la première fois sur France Culture en 1989) peuvent être écoutées sur une page du site anthropogenie.com. La quatrième de ces émissions est consacrée à Maurice Scève et à Ronsard, entre autres poètes du seizième siècle.
[liens valides au 02/11/20]
En ligne le 15/04/09.
Dernière révision le 02/11/20.