Plutôt au ciel bœufs prendront leur pâture volant en l’air, et en vélocité pourront muer leur pondérosité
FRANÇOIS HABERT.
Le règne poétique de François Habert fut plus long et plus glorieux que celui de plusieurs des Poètes dont je vous ai déjà entretenu. [1] Habert eut l’avantage d’être connu de nos Rois, d’être appelé à leur Cour, de travailler par leurs ordres, et d’être honoré en particulier du titre de Poète de Henri II. Vous savez déjà une partie de ces faits : les traductions qu’Habert a publiées des Distiques de Caton, des Satires, et de quelques Épîtres d’Horace, des Métamorphoses d’Ovide, et de quelques-unes des Élégies amoureuses du même, de plusieurs opuscules de Philippe Béroalde, traductions dont je vous ai parlé, m’ont aussi donné lieu de vous rapporter plusieurs choses qui concernent le traducteur.
Habert ne parvint cependant que lentement à la gloire qu’il rechercha de bonne heure, et qui ne couronna presque que les dernières années de sa vie. Né à Issoudun en Berry d’une famille qui n’était guère connue alors, que dans le lieu de son établissement, il vint jeune à Paris pour y faire ses études, et il y prit du goût pour la poésie Latine et Française. Il avait dans cette Ville un Cousin Germain, qu’il nomme Maître Jean Guilloteau : ce Parent avait les mêmes inclinations ; l’un et l’autre étaient à peu près de même âge ; la liaison qu’ils formèrent entre eux fut si étroite, qu’Habert la compare à celle qui unissait Oreste et Pylade.
Leurs études et leurs plaisirs étaient les mêmes ; ils se montraient leurs productions, et Guilloteau applaudissait toujours à son Cousin. Mais enfin il fallut se séparer. Le père d’Habert voyant que son fils était près de finir le cours ordinaire des Études, et craignant qu’il ne se dérangeât dans une ville où la jeunesse a toujours rencontré tant d’écueils, vint à Paris dans le dessein de le ramener avec lui à Issoudun. Il paraît que ce père si attentif fit quelque séjour dans la Capitale du Royaume, et qu’il y fut témoin de la passion de son fils pour la poésie, puisque celui-ci écrivant dans la suite à Charles Billon qui résidait à Paris, il lui rappelle ces circonstances :
Je crois qu’avez assez connu
mon père,
Lorsqu’à Paris, en ma jeunese folle,
Il vint exprès pour m’ôter de
l’École :
Et en ce temps vous étiez, ce me semble,
En un logis constitués ensemble,
Où il vous plut voir quelque fantaisie
De ma jeunesse, et tendre poésie ;
Non que des yeux tant clairs elle fut digne,
Mais par autant qu’un peu était latine.
Dont puis après, au pays de Berry,
D’ouïr mes vers n’avez
été marri :
Ains quelquefois en merveilleux plaisir
De me récrire avez pris le loisir
En vers Latins, &c.
Habert demeura peu en Berry. Son père qui le destinait à la Jurisprudence, l’envoya à Toulouse où l’étude du Droit était très florissante ; son fils suivit ses intentions ; il s’appliqua avec ardeur à ce qui lui était enseigné, et il avait déjà acquis l’estime et l’affection de ses maîtres, lorsque la mort trop prompte de son père vint déranger ses projets. Le défunt avait eu plus de probité que de richesses. Chargé de quatre filles, il s’était incommodé pour donner à son fils une éducation convenable. En le perdant, Habert se vit privé du seul fonds sur lequel il avait été entretenu jusque-là. […]
Il était encore écolier étudiant à Toulouse, lorsqu’il publia le premier recueil de ses poésies, toutes en vers de dix syllabes. Il y prit pour devise, fi de Soulas, et l’intitula le Banni de Liesse, titre par lequel il s’est désigné dans presque tous ses autres ouvrages. Sa situation peu commode, et les revers qu’il éprouvait, le lui avaient fait prendre :
Puisque fortune incessamment me blesse,
Nommé je suis le Banni de Lyesse,
Ce nom m’est dû.
[…]
L’abbé GOUJET,
Bibliothèque française,
ou Histoire de la
Littérature française,
tome XIII, 1752, pp. 8-14
[Gallica, NUMM-50656, PDF_34_40]
(texte modernisé).
Notes
[1] La « vie » de François Habert succède, au début du treizième tome de la Bibliothèque de l’abbé Goujet, à celles de Maclou de La Haye et de Nicolas Denisot, et à l’évocation rapide des contributions des poètes publiés dans le recueil collectif intitulé Les Cantiques du sieur de Valagre : Valagre, la Maison-Fleur, Marin Le Saulx, Sautemont, La Roche-Chandieu, &c.
Liens
Étude
* On peut lire, sur Les Visions d’Oger le Dannoys au Royaulme de Fairie publiées par François Habert en 1542, Une épopée à la mode humaniste, étude d’Émanuelle Hoyer-Poulain parue en 1996 dans le n° 2 des Cahiers de recherches médiévales.
En ligne le 08/05/09.
Dernière révision le 10/02/23.