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Tant
dévoyé est mon désir sans feinte
À poursuivir cette dame fuyante,
Qui étant franche, et plus qu'amour puissante,
Vole devant mon cours tardif de crainte :
Que plus je veux le retirer par mainte
Bonne raison, moins m'obéir se vante,
Ne pour le vaincre ai vertu suffisante,
Qu'amour y fait résistance contrainte.
Or vu qu'il peut le frein par force prendre,
Je suis à lui et mon esprit s'y rend
Que malgré moi mort m'en convient attendre :
Seul pour venir au Laurier, d'où l'on prend
Un aigre fruit qui à l'autrui mal porte
Au goût d'angoisse à plus qu'il ne conforte.
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»» texte original
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ARGUMENT selon
Philieul : N'espère aucun frappé d'amour ses maux
consoler avec livres traitant telles matières, car ce ne fait
que croître ses angoisses.
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TAnt se
trouve égaré mon fol désir actif
À la suivre fuyant devant moi de vitesse,
Libre des lacs d'amour et de foi la maîtresse
Volant devant mon cours légèrement tardif :
Que plus je le retiens en mon cœur attentif,
Et plus il se détourne ou moins il voit de presse.
Peu me sert l'éperon, la volte, ni l'adresse,
Amour l'a fait ainsi de nature rétif.
Or après si le frein par force je retiens
Aucunement par là en arrêt le maintiens,
Mais malgré moi alors à mort il me transporte.
Seulement pour venir au laurier où s'essaie
Le fruit aigre, goûtant lequel, d'autrui la plaie
S'empire plus souvent qu'elle ne se conforte.
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Si fort est
dévoyé mon peu sage désir
À suivre celle-là qui de moi prend la fuite :
Et qui des rets d'amour libre, légère et vite
S'envole, et se dérobe à mon tardif courir.
Que plus que je l'appelle, et moins il veut ouïr,
Ni choisir sûr chemin auquel tant je l'invite,
Le tourner ne me vaut, l'éperon moins profite,
Par sa nature Amour le fait désobéir.
Et puisque prendre
aux dents son dur mors il
s'obstine
Seigneurié
de lui sous la loi je chemine
À la mort, qui tout droit m'emporte malgré moi.
Et ce tant seulement pour le laurier atteindre,
Dont se cueillit sûr fruit, lequel au lieu d'éteindre
Le mal de son goûteur, apporte plus d'émoi.
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»» texte original
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COMMENTAIRE DE
MALDEGHEM : L'homme a l'appétit des sens commun aux bêtes
& la raison & l'entendement aux anges et à Dieu. Dont se
plaint le Poète que son appétit sensuel est tant hors du
chemin de la raison à suivre Madame Laure qu'il ne lui vaut rien
l'appeler en derrière* avec la raison, tellement qu'il le
compare à un cheval opiniâtre et rebelle, qui emporte son
maître, & ce tout pour parvenir au Laurier, entendant Madame
Laure** duquel laurier se cueillit sûr & aigre fruit, qui
augmente le mal de celui qu'en goûte au lieu de lui donner
remède.
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* en derrière : en arrière.
** le laurier peut s'entendre aussi comme le laurier du poète
lauréat (cf. argument de Philieul supra).
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