C’est un hanap, affecté, féminin,
Hors plein d’émail, et dedans de venin
au lecteur.
j
e me suis
déjà persuadé et
tiens pour chose très certaine, que, qui saura
parmi quelles occupations j’ai
écrit mes vers Français, ou
tiendra mon entreprise pour trop audacieuse,
s’il m’est peu favorisant, et
soudain me dira que je ne devais faucher la
moisson d’autrui.
Ou bien, s’il
est tel qui daigne user envers moi de commune
bienveillance, ne déprisera nos
petits labeurs.
Considérant
que ma principale et mieux aimée
vacation est après l’étude du
droit Civil, pour auquel m’être
employé depuis l’enfance, et par
plusieurs années, je confesse avoir
mérité moins de Laurier.
Vrai
est, que faisant parfois trêves avec le
susdit étude, je recours à la
poésie, comme à suave et très
honnête
récréation :
ainsi que peuvent témoigner aucuns nos
vers longtemps y a publiés [1].
Contre
lesquels j’ai bien souvent
été non moins
courroucé et indigné,
que fut jamais Médée aux
Tragédies antiques contre ses
enfançons.
Je
prévoyais, que l’attrayante
débonnaireté des
Lecteurs me pourrait inciter à
écrire plusieurs vers, avec tel quel
désavantage des lois, qui, merci des
Cieux, nous ont assez bien
succédé.
Puis
j’avisais à un bon nombre de Virgiles de
notre Siècle, auxquels ne faut rien
présenter, qui ne soit revu et limé
diligemment.
Mais quand ils voudront
voir de bon œil nos œuvres, et comme dit est,
aviser à la diversité des
négoces, à l’âge de
l’Auteur, à la fortune si gauche et
sévère, qu’il semble qu’elle
ait délibéré faire
un petit Ulysse de moi en ma jeunesse, lors seront-ils, non dis-je
gracieux, mais bien émus à pitié.
Il en faut
toujours excepter ceux, à qui la
Poésie déplaît, tant
seulement pour ce qu’elle est
poésie, et n’ont égard
qu’elle délecte par fables,
profite par sentences, et aide à polir la
langue fréquentée et requise
ès cours du Prince souverain, et des
illustres Présidents.
Je cuide que cette
manière de gens hait ce à quoi ne peut atteindre,
ni aspirer.
Et à ceux-ci
j’offre de plein don beaux cinq cents écus, avec
toutefois condition telle, qu’ils
ne liront nos vers désormais.
Ce n’est pas
à moi à qui faut qu’on se dresse, pour
recouvrer un flatteur de messieurs les
lisants.
Combien que je
ne me plus oncques tant, que je ne les prie de prendre le tout
humainement, et de tel zèle que je le
présente, me soumettant au dé
hasardeux de juste
répréhension.
espoir sans espoir.
Estienne FORCADEL,
Poésie, Lyon,
1551, pp. 3-5
[Gallica, NUMM-70469, PDF_4_6]
(texte modernisé).
Notes
[1] « ainsi que peuvent témoigner aucuns nos vers longtemps y a publiés » : comme peuvent en témoigner certains de nos vers publiés il y a longtemps.
Liens
* On peut lire en ligne un travail d’étudiants en musicologie, au format PDF, « Plorez, mes yeulx », chanson de Dominique Phinot sur un texte d’Étienne Forcadel, sur le site medren.fr dédié aux étudiants de licence des cours de Musique de la Renaissance à l’Université Paris-Sorbonne.
Liens valides au 21/03/21.
En ligne le 03/06/13.
Dernière révision le 21/03/21.