Pierre LE GAYGNARD
(?-?)
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1585 : S’être vu des plus grands…
 

La pleine, vrai’, total’,

grâce, amour, liberté

 

Épitre dédicatoire
 

À MONSEIGNEUR
de la boullais, baron

et Seigneur de Chasteau-mur,

de la Tour doyre, de Pierrefitte, de Maillé, de Chaligné, &c.

MOnsei­gneur vous m’ac­cu­se­riez à bon droit de félo­nie, si je fai­sais por­ter sur le front de mon Livre un autre nom que le vôtre si ver­tueux et noble­ment géné­reux, vous l’ayant pré­sen­té dès l’an mil-cinq-cent-septante-deux comme un devoir de Vas­sal dû avecques ses foi et hom­mage. Lequel aus­si comme Sei­gneur suze­rain vous reçûtes, ne le débou­tant pas, pour vous venir à gré. Et en cette récep­tion me tîntes quitte, pour le coup, de tant de bien­faits que de grâce favo­rable m’a élar­gi sou­vent et à pleine main votre libé­ra­li­té. Dont la raison m’en engra­ve­ra à jamais dans l’acier de ma mémoire un ferme sou­ve­nir, en le tenant tou­jours épris dans la recon­nais­sance de l’Âme qui me fera vivre en ce monde, pour fuir le misé­rable vice d’un ingrat oublieux. Mais le malheur du temps fut lors si contraire à mon inten­tion et s’oppo­sa tel­lement à mon Espoir et désir, qu’il ne se put expo­ser en lumière : demeu­rant impar­fait à Paris sous la presse de Périer, qui en avait jà tiré une quan­ti­té de feuilles : quand on lui fit perdre avec lui tout ce qu’il en avait fait, et à moi mon attente, et exem­plaire mis au net. Dont j’en fus pri­vé, comme par un Vimaire grê­leux on voit frus­trée l’espé­rance du Labou­reur de sa mois­son bat­tue, quand mûre il est prêt de l’en­ger­ber et jouir du fruit de son labeur. Ce triste méchef et acci­dent malheu­reux m’avait un temps si bien anex­ta­sé la dési­reuse con­voi­tise de le voir au jour, ayant une fois for­cé ma volon­té, que j’avais déli­bé­ré de mous­se­ment rabattre la pointe du sou­ci que j’en avais tou­jours eu de ce faire, le sachant plu­tôt être un labeur de grand peine que spi­ri­tuel. De fait étant comme prêt d’en trans­for­mer en Cendres, la subs­tance des brouil­lards, je fus aver­ti par les Gen­tils­hommes qui vous accom­pa­gnaient en Gas­cogne, que vous en aviez recon­nu des Frag­ments entre les mains d’une grande Reine, qui en fai­sait état et les louait comme dignes d’être vus, les mon­trant à ceux aux­quels elle savait rien n’être noueux ni voi­lé pour leur puri­té d’en­ten­de­ment et qui se délec­taient même­ment à la com­po­si­tion des Vers, qui aus­si en fai­saient estime, comme dignes d’être enrô­lés avec les labeurs, propres à toutes per­sonnes s’adon­nant aux Vers et aux Poèmes. Adoncques, par cet aver­tis­se­ment j’eus crainte qu’un tiers ne triom­phât des veil­lées de mon ado­les­cence, qui en mérite l’hon­neur, et me réso­lus de le don­ner encore cette fois pour être mis en Impres­sion, et vous le dédier, comme j’avais déjà fait : en atten­dant le vœu de ses frères en of­frande. Lesquels sont propres aux ouvriers Poé­tiques pour atti­rer avec délec­ta­tion les cou­rages des lec­teurs de leurs Œuvres et com­po­si­tions jus­ques au der­nier vers. Et ce par dispo­si­tions artistes, gen­tils choix de termes, Épithètes signi­fi­ca­tives, belles Méta­phores, doctes Péri­phrases, Sen­tences conve­nables, propres com­pa­rai­sons, et anciennes His­toires Poé­tiques à pro­pos. Lesquelles choses sont la vraie richesse et princi­pal orne­ment de la science Poé­tique. Donques Monsei­gneur je vous supplie très humble­ment, me faire l’hon­neur de conti­nuer à l’avoir pour agré­able, et le rece­voir aussi humai­ne­ment et le bien­vei­gner aus­si favo­ra­ble­ment, que mon affec­tion est humble et entière à le vous pré­sen­ter.

Monsei­gneur en cet endroit, je sup­plie notre bon Dieu vous don­ner à jamais double accrois­se­ment d’hon­neur, et de Ver­tus, et en par­faite san­té très heu­reuse, et longue vie de votre homma­gière le Vergne sur Sèvre : ce 4 de sep­tembre.

Votre fidèle Vas­sal, très humble et très affec­tion­né ser­vi­teur,

pierre le gaygnard

Pierre LE GAIGNARD,
Promptuaire d’unisons,
Poitiers, Nicolas Courtoys, 1585
[Gallica, NUMM-50754, PDF_4_8],
(texte modernisé).


En ligne le 24/12/06.
Dernière révision le 27/02/21.