La pleine, vrai’, total’,
grâce, amour, liberté
À MONSEIGNEUR
de la boullais, baron
et Seigneur de Chasteau-mur,
de la Tour doyre, de Pierrefitte, de Maillé, de Chaligné, &c.
MOnseigneur vous m’accuseriez à bon droit de félonie, si je faisais porter sur le front de mon Livre un autre nom que le vôtre si vertueux et noblement généreux, vous l’ayant présenté dès l’an mil-cinq-cent-septante-deux comme un devoir de Vassal dû avecques ses foi et hommage. Lequel aussi comme Seigneur suzerain vous reçûtes, ne le déboutant pas, pour vous venir à gré. Et en cette réception me tîntes quitte, pour le coup, de tant de bienfaits que de grâce favorable m’a élargi souvent et à pleine main votre libéralité. Dont la raison m’en engravera à jamais dans l’acier de ma mémoire un ferme souvenir, en le tenant toujours épris dans la reconnaissance de l’Âme qui me fera vivre en ce monde, pour fuir le misérable vice d’un ingrat oublieux. Mais le malheur du temps fut lors si contraire à mon intention et s’opposa tellement à mon Espoir et désir, qu’il ne se put exposer en lumière : demeurant imparfait à Paris sous la presse de Périer, qui en avait jà tiré une quantité de feuilles : quand on lui fit perdre avec lui tout ce qu’il en avait fait, et à moi mon attente, et exemplaire mis au net. Dont j’en fus privé, comme par un Vimaire grêleux on voit frustrée l’espérance du Laboureur de sa moisson battue, quand mûre il est prêt de l’engerber et jouir du fruit de son labeur. Ce triste méchef et accident malheureux m’avait un temps si bien anextasé la désireuse convoitise de le voir au jour, ayant une fois forcé ma volonté, que j’avais délibéré de moussement rabattre la pointe du souci que j’en avais toujours eu de ce faire, le sachant plutôt être un labeur de grand peine que spirituel. De fait étant comme prêt d’en transformer en Cendres, la substance des brouillards, je fus averti par les Gentilshommes qui vous accompagnaient en Gascogne, que vous en aviez reconnu des Fragments entre les mains d’une grande Reine, qui en faisait état et les louait comme dignes d’être vus, les montrant à ceux auxquels elle savait rien n’être noueux ni voilé pour leur purité d’entendement et qui se délectaient mêmement à la composition des Vers, qui aussi en faisaient estime, comme dignes d’être enrôlés avec les labeurs, propres à toutes personnes s’adonnant aux Vers et aux Poèmes. Adoncques, par cet avertissement j’eus crainte qu’un tiers ne triomphât des veillées de mon adolescence, qui en mérite l’honneur, et me résolus de le donner encore cette fois pour être mis en Impression, et vous le dédier, comme j’avais déjà fait : en attendant le vœu de ses frères en offrande. Lesquels sont propres aux ouvriers Poétiques pour attirer avec délectation les courages des lecteurs de leurs Œuvres et compositions jusques au dernier vers. Et ce par dispositions artistes, gentils choix de termes, Épithètes significatives, belles Métaphores, doctes Périphrases, Sentences convenables, propres comparaisons, et anciennes Histoires Poétiques à propos. Lesquelles choses sont la vraie richesse et principal ornement de la science Poétique. Donques Monseigneur je vous supplie très humblement, me faire l’honneur de continuer à l’avoir pour agréable, et le recevoir aussi humainement et le bienveigner aussi favorablement, que mon affection est humble et entière à le vous présenter.
Monseigneur en cet endroit, je supplie notre bon Dieu vous donner à jamais double accroissement d’honneur, et de Vertus, et en parfaite santé très heureuse, et longue vie de votre hommagière le Vergne sur Sèvre : ce 4 de septembre.
Votre fidèle Vassal, très humble et très affectionné serviteur,
pierre le gaygnard
Pierre LE GAIGNARD,
Promptuaire d’unisons,
Poitiers, Nicolas Courtoys, 1585
[Gallica, NUMM-50754, PDF_4_8],
(texte modernisé).
En ligne le 24/12/06.
Dernière révision le 27/02/21.