Pierre de RONSARD (1524-1585)
Les Mélanges, « Ode à sa Maîtresse »,
Paris, Gilles Corrozet, 1554, ff. 33r-34r° [←Gallica].

Q uand au temple nous serons
A genouillés, nous ferons
L es deuots, selon la guise
D e ceux qui pour loüer dieu
H umbles, se courbent au lieu
L e plus secret de leglise.

M ais quand au lit nous serons
E ntrelassés nous ferons
L es lascifs, selon les guises
D es amans, qui librement
P ratiquent folatrement
D ans les dras cent mignardises.

P ourquoi donque, quand ie veus
O u mordre tes beaus cheueus,
O u baiser ta bouche aimée,
O u tatonner ton beau sein,
C ontrefais-tu la nonnain
D edans vn cloistre enfermée?

P our qui gardes-tu tes yeus,
E t ton sein delicieus,
T a ioüe, & ta bouche belle?
E n veus-tu baiser Pluton
L a bas, apres que Caron
T aura mise en sa nacelle?

A pres ton dernier trespas
G resle, tu nauras labas
Q uvne bouchette blesmie:
E t quand mort, ie te verrois
A us ombres ie nauourois
Q ue iadis tu fus mamie.

T on test naura plus de peau,
E t ton visage si beau
N aura venes ny arteres,
T u nauras plus que les dens,
T elles, quon les voit dedans
L es testes des cimeteres.

D onque tandis que tu vis
C hange, Maistresse, dauis,
E t ne mespargne ta bouche,
I ncontinent tu mourras,
L ors tu te repentiras
D e mauoir esté farouche.

A h ie meurs, ah baise-moi,
A h maistresse approche-toi,
T u fuis comme faon qui tremble
A u moins souffre que ma main
S ébatte vn peu dans ton sein,
O u plus bas si bon te semble.

Quand au temple nous serons… (1560)   ↓   ↑   ⇑  →t.m.  
Paris, Gabriel Buon, 1560, V, XXVI, ff. 245v-246r° [←Gallica].

QVand au temple nous serons
Agenouillés nous ferons
Les deuots, selon la guise
De ceus qui pour loüer dieu
Humbles, se courbent au lieu
Le plus secret de leglise.

Mais quand au lit nous serons
Entrelassés nous ferons
Les lascifs, selon les guises
Des amans, qui librement
Pratiquent folatrement
Dans les dras cent mignardises.

Pourquoi donque, quand ie veus
Ou mordre tes beaus cheueus,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans vn cloistre enfermée?

Pour quy gardes-tu tes yeus,
Et ton sein delicieus,
Ta iouë, & ta bouche belle?
En veus-tu baiser Pluton
Là bas, apres que Charon
T’aura mise en sa nacelle?

Apres ton dernier trespas
Gresle, tu nauras là bas
Quvne bouchette blesmie:
Et quand mort, ie te verrois
Aus ombres, ie nauourois
Que iadis tu fus mamie.

Ton test naura plus de peau,
Ny ton visage si beau
N’aura venes ni arteres,
Tu nauras plus que les dens 
Telles quon les voit dedans
Les testes des cimeteres.

Donque tandis que tu vis
Change, Maistresse, dauis,
Et ne mespargne ta bouche,
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De mauoir esté farouche.

Ah ie meurs, ah baise moi,
Ah maistresse aproche toi,
Tu fuis comme Fan qui tremble:
Au moins soufre que ma main
S’esbate vn peu dans ton sein,
Ou plus bas si bon te semble.





























Quand au temple nous serons… (1560)   ↓   ⇑   ↑  →t.m.  
Paris, Gabriel Buon, 1560, V, XXVI, ff. 245v-246r° [←Gallica].

QVand au temple nous serons
Agenouillés nous ferons
Les deuots, selon la guise
De ceus qui pour loüer dieu
Humbles, se courbent au lieu
Le plus secret de leglise.

Mais quand au lit nous serons
Entrelassés nous ferons
Les lascifs, selon les guises
Des amans, qui librement
Pratiquent folatrement
Dans les dras cent mignardises.

Pourquoi donque, quand ie veus
Ou mordre tes beaus cheueus,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans vn cloistre enfermée?

Pour quy gardes-tu tes yeus,
Et ton sein delicieus,
Ta iouë, & ta bouche belle?
En veus-tu baiser Pluton
Là bas, apres que Charon
T’aura mise en sa nacelle?

Apres ton dernier trespas
Gresle, tu nauras là bas
Quvne bouchette blesmie:
Et quand mort, ie te verrois
Aus ombres, ie nauourois
Que iadis tu fus mamie.

Ton test naura plus de peau,
Ny ton visage si beau
N’aura venes ni arteres,
Tu nauras plus que les dens 
Telles quon les voit dedans
Les testes des cimeteres.

Donque tandis que tu vis
Change, Maistresse, dauis,
Et ne mespargne ta bouche,
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De mauoir esté farouche.

Ah ie meurs, ah baise moi,
Ah maistresse aproche toi,
Tu fuis comme Fan qui tremble:
Au moins soufre que ma main
S’esbate vn peu dans ton sein,
Ou plus bas si bon te semble.


Quand au temple nous serons… (1584)   ↓   ↑   ⇑  →t.m.  
Les Œuvres, Le premier livre des Amours,
Paris, Gabriel Buon, 1584, Stances, p. 65 [←Gallica].

QVand au temple nous serons
Agenouillez, nous ferons
Les deuots selon la guise
De ceux qui pour loüer Dieu
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de lEglise.

Mais quand au lict nous serons
Entrelassez, nous ferons
Les lascifs selon les guises
Des Amans qui librement
Pratiquent folastrement
Dans les draps cent mignardises.

Pourquoy donque quand ie veux
Ou mordre tes beaux cheueux,
Ou baiser ta bouche aimee,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans vn cloistre enfermee?

Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein delicieux,
Ton front, ta léure iumelle?
En veux-tu baiser Pluton
Là bas, apres que Charon
Taura mise en sa nacelle?

Apres ton dernier trespas
Gresle, tu nauras là bas
Quvne bouchette blesmie :
Et quand mort ie te verrois
Aux Ombres ie nauourois
Que iadis tu fus mamie.

Ton test naura plus de peau,
Ny ton visage si beau
Naura veines ny arteres :
Tu nauras plus que les dents 
Telles quon les voit dedans
Les testes de cimeteres.

Donque tandis que tu vis,
Change, Maistresse, dauis,
Et ne mespargne ta bouche :
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De mauoir esté farouche.

Ah ie meurs ! ah baise moy!
Ah, Maistresse, approche toy!
Tu fuis comme vn Faon qui tremble:
Au-moins souffre que ma main
Sesbate vn peu dans ton sein,
Ou plus bas, si bon te semble.






















textes originaux
[R]

 

En ligne le 05/04/25.
Dernière révision le 07/04/25.